— Arrêtez, espèce d’imbécile ! cria-t-il. N’entrez pas là dedans !
Le fugitif se trouvait à l’entrée du service FROB.
Ils atteignirent trop tard le sas d’entrée et, impuissants, ils virent à travers le hublot le SRTT ouvrir la porte intérieure avant de s’enfoncer vers le niveau inférieur, écrasé par une gravité quatre fois supérieure à celle extérieure. La porte interne se referma automatiquement, ce qui permit à Prilicla et à Conway de pénétrer à leur tour dans le sas et de s’équiper pour affronter l’environnement qui régnait dans ce service.
Conway se glissa frénétiquement dans le scaphandre lourd qui se trouvait dans la chambre du sas, et il régla rapidement la répulsion de sa ceinture G pour compenser la gravité de la salle. Prilicla, entretemps, avait effectué les mêmes opérations sur son propre équipement. Tout en vérifiant l’étanchéité des joints et des fermetures de son scaphandre, et en maudissant cette perte de temps pourtant indispensable, Conway put voir à travers le hublot d’inspection une scène qui le fit frissonner.
Le pseudo-Illensien SRTT gisait sur le sol, écrasé par la pression. Il était agité de légers soubresauts et un des nourrissons FROB, dont la curiosité avait été éveillée par cette chose à l’aspect bizarre, venait déjà vers lui d’un pas lourd. Un de ses grands pieds spatulés dut écraser le SRTT allongé sur le sol, parce qu’il bondit plus loin et commença rapidement à changer d’aspect. Les appendices fragiles et membraneux du PVSJ semblèrent se dissoudre dans le corps principal qui redevint le lézard aux tentacules griffus qu’ils avaient déjà vu au sas numéro six. C’était la plus épouvantable de toutes les apparences du SRTT.
Mais le nourrisson FROB était près de cinq fois plus volumineux que le SRTT, et il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il en fût effrayé. À l’aide de sa tête massive, il poussa le SRTT qui alla s’écraser contre le mur, vingt mètres plus loin. Le FROB voulait jouer.
Les deux médecins étaient à présent sortis du sas et ils se tenaient sur la passerelle menant à la coupole, d’où ils surplombaient la scène. Le SRTT se modifiait à nouveau, très rapidement. Le corps de lézard à tentacules n’était guère pratique, sous quatre G, pour faire face à ce bébé gigantesque, et le SRTT adoptait une autre forme.
Le FROB s’était à nouveau rapproché de lui, et il l’observait, fasciné.
V
— Docteur, sauriez-vous vous servir du treuil ? demanda Conway. Oui ? Alors, allez-y …
Comme Prilicla se hâtait le long de la passerelle en direction de la coupole de contrôle, Conway régla sa ceinture sur une gravité nulle, et il cria :
— Je vais vous diriger depuis le bas.
À présent sans poids, il se donna une poussée qui le fit descendre vers le sol.
Mais Conway n’était pas un étranger, pour le bébé FROB. Il était même fort probable que le nourrisson était las de voir cette silhouette qui ne savait jouer qu’à une seule chose : lui piquer de grosses aiguilles dans le corps, pendant qu’une main énorme et puissante l’immobilisait. Et, malgré les cris de Conway et ses gestes frénétiques, le bébé l’ignora. De plus, les autres patients du service commençaient à éprouver de l’intérêt pour le SRTT qui changeait constamment de forme …
— Non ! cria Conway, épouvanté en voyant en quoi le visiteur se transformait. Non ! Arrêtez ! Pas ça !..
Mais il était trop tard. Tous les occupants du service se ruèrent vers le SRTT, dans un tumulte assourdissant de grognements excités et de cris aigus qui, pour les enfants les plus âgés, étaient traduits par :
— Poupée ! Poupée ! Jolie poupée !
Conway bondit dans les airs pour ne pas être écrasé, et il regarda vers le bas la masse grouillante des FROB. Il eut la ferme conviction que le malheureux SRTT avait perdu la vie. Mais non. L’être avait réussi à survivre. Il n’avait pas été écrasé par les pieds monstrueux et les coups de tête avides, parce qu’il s’était collé contre le mur. Il émergea de la mêlée, meurtri mais toujours sous la même forme de caméléon qu’il avait adoptée avec l’idée fausse qu’en devenant un FROB modèle réduit, il serait en sécurité.
— Vite ! Le grappin ! hurla Conway.
Prilicla était prêt. Les mâchoires massives du grappin se balançaient déjà au-dessus du SRTT hébété, et lorsque Conway cria elles tombèrent et se refermèrent sur la créature. Le terrien bondit vers l’un des câbles du treuil et s’y agrippa. Tandis qu’ils s’élevaient, il s’adressa au SRTT.
— Vous êtes en sécurité, maintenant. Détendez-vous, je suis ici pour vous aider …
En réponse, le SRTT eut une violente convulsion qui faillit faire lâcher prise à Conway. Soudain, l’être était devenu une créature au corps de serpent, souple et visqueux, qui glissa hors des griffes du grappin et qui s’écrasa sur le sol avec un bruit mat. Les FROB sifflèrent d’excitation et chargèrent à nouveau.
Cette fois, la créature qui avait été effrayée dès son arrivée et qui n’avait cessé de fuir depuis, ne pourrait pas survivre, pensa Conway avec un sentiment d’horreur mêlé de pitié et d’exaspération. O’Mara l’écorcherait vif, pour ce qu’il allait faire, mais il sauverait momentanément la vie du SRTT s’il lui permettait de fuir.
Sur le mur opposé au sas d’entrée que Prilicla et lui-même avaient emprunté pour pénétrer dans la salle, se trouvait la porte par laquelle les malades FROB y étaient admis. C’était une simple porte, parce qu’elle donnait dans un couloir conduisant au bloc opératoire FROB qui était maintenu sous la même gravité et la même pression que cette salle. Conway plongea dans le vide jusqu’aux commandes de la porte qu’il fit glisser en position ouverte. Le SRTT, qui n’était pas aveuglé par la peur au point de ne pas voir cette issue, prit la fuite. Conway referma le panneau juste à temps pour empêcher certains malades de sortir eux aussi, puis il remonta vers la coupole dans l’intention de faire son rapport sur cet épouvantable gâchis à O’Mara.
La situation était à présent bien plus grave qu’ils ne l’avaient tous supposé. Pendant qu’il s’était trouvé à l’autre extrémité de la salle, Conway avait vu une chose qui rendrait la capture du fugitif encore plus difficile, et qui expliquait sa réaction lorsqu’il s’était adressé à lui : les restes brisés et écrasés du traducteur du SRTT.
La main de Conway se posait déjà sur l’interrupteur de l’interphone, lorsque Prilicla s’adressa à lui.
— Excusez-moi, docteur, mais est-ce que ma faculté de déceler vos émotions peut vous démoraliser ? Ou est-ce que le fait de dire tout haut ce que je peux avoir trouvé vous déplaît ?
— Hein ? Quoi ?
Conway pensa qu’il devait irradier de l’impatience, parce que son assistant avait choisi un bien mauvais moment pour poser une pareille question ! Il eut envie de ne pas faire cas de Prilicla, mais il estima alors que d’attendre quelques secondes avant de faire son rapport à O’Mara ne changerait rien à la situation, et il était possible que son assistant jugeât la chose importante. Les extra-terrestres étaient souvent bizarres.
— Non aux deux questions, répondit-il. Bien qu’à la réflexion je pourrais être embarrassé si vous faisiez part de vos découvertes à une tierce personne. Pourquoi me demandez-vous cela ?
— Parce que j’ai pris conscience de votre profonde inquiétude pour vos patients, à cause de ce SRTT. J’éprouve des scrupules à accroître encore cette anxiété en vous faisant part du genre, et de l’intensité, des émotions que je viens de déceler dans l’esprit de cette créature.