Marphissa avait déjà vérifié : « Le commandant du C-818 déclare que ses unités de propulsion ne rendent qu’à soixante pour cent. Elles ont pourtant été testées après leur réparation et fonctionnaient à cent pour cent. »
Au moins la flottille se trouvait-elle encore à proximité de la planète. Iceni appela Togo. « Ceux qui ont certifié effectuées les réparations des unités de propulsion principales du C-818 étaient corrompus ou incompétents. Identifie ces individus et fais un exemple.
— De quelle force cet exemple ? Dois-je les faire fusiller ? »
Elle détestait apprendre que quelqu’un avait failli à ses responsabilités. « S’il s’agit de corruption, oui. En cas d’incompétence, affecte-les au plus bas niveau du personnel de maintenance.
— Ceux qui parlent au nom du peuple ont bruyamment fait valoir que les tribunaux et le système judiciaire devaient redevenir équitables, fit remarquer Togo. Une exécution sommaire n’aurait d’autre résultat que de renforcer encore cette opinion dans l’esprit de nos concitoyens. »
Pourquoi fallait-il toujours compliquer les choses les plus simples ? « Très bien. L’incompétence relève de la discipline interne et non des tribunaux selon la loi des Mondes syndiqués, qu’il nous faudra d’ailleurs changer. Si ton enquête statue en revanche à la corruption, accorde-leur un bref procès puis passe-les par les armes. »
Cela réglait au moins cet aspect du problème mais n’aidait en rien le C-818. « Vice-CECH Marphissa, ordonnez au C-818 de regagner sa position orbitale et de prendre ses ordres du… général Drakon jusqu’à mon retour.
— Du général Drakon ? » Pressentant déjà l’agacement d’Iceni, Marphissa s’empressa de saluer. « Je les en avise sur-le-champ, madame la présidente.
— Et dites-leur de faire réparer correctement ces unités de propulsion !
— Oui, madame la présidente. »
Iceni fixa son écran d’un œil furibond et permit à son humeur exécrable de se diffuser autour de sa personne comme un noir halo. Sans le C-818, il ne lui restait plus que trois croiseurs lourds. Certes, elle avait encore les quatre croiseurs légers et sept des avisos, mais, pour assaillir un cuirassé disposant peut-être de défenses et d’un armement substantiel déjà opérationnel, c’était une force ridiculement réduite.
Au moins les avisos qu’elle avait envoyés à Kane et Taroa étaient-ils rentrés à temps pour l’accompagner. Peut-être auraient-ils l’heur de servir assez longtemps de cibles au cuirassé pour éviter aux autres bâtiments des dommages incapacitants.
En revanche, l’aviso qu’elle avait dépêché à Lono n’en était toujours pas revenu. Qu’était-il arrivé là-bas ? Autre sujet d’inquiétude.
« Madame la présidente ? »
La tête d’Iceni pivota comme la tourelle d’un canon pour se braquer sur Marphissa. « Quoi ?
— Puis-je fournir à nos unités une estimation de la durée de cette opération ? s’enquit prudemment la vice-CECH.
— Y a-t-il un problème d’approvisionnement pour un de nos vaisseaux ?
— Non, madame la présidente. Tous sont parés pour une campagne prolongée. » Marphissa la scruta avant d’ajouter : « Toutes les armes sont aussi alimentées au maximum.
— Parfait. » Tout était donc pour le mieux, du moins à cet égard. Et il lui fallait remercier Marphissa d’avoir su maintenir les vaisseaux en état de combattre. « Vous avez très bien fait. Je vous confirme dans vos fonctions de commandante de la flottille jusqu’à nouvel ordre. Prise d’effet immédiate.
— Je… Je vous remercie, madame la présidente. »
Iceni se surprit à lui sourire en coin. « Ne me remerciez que lorsque vous saurez ce que j’attends de vous à ce poste. »
Morgan fit irruption dans le bureau de Drakon, l’air curieusement enjouée. Malin entra derrière elle avant que la porte ne se fût refermée, ce qui eut le don d’assombrir fugacement son humeur joviale. Mais elle se reprit aussitôt et décocha un sourire au général. « Un seul mot de vous et elle est morte. »
Drakon se rejeta en arrière et prit son temps pour répondre. « Tu veux sans doute parler de la présidente Iceni ?
— Oui, mon général. J’ai un machin qui ne demande qu’à se déclencher juste à côté d’elle. Avec démenti incorporé. Très chouette. »
Au lieu de lui répondre, Drakon se tourna vers Malin.
« Vous devez vous poser deux questions, mon général, affirma celui-ci. Primo, vous fiez-vous à l’agent qui se prétend prêt à agir en votre nom…
— L’agent en question a de bonnes raisons de mener cette action ! le coupa Marphissa.
— … et, deuxio, plus capital encore, souhaitez-vous réellement la mort d’Iceni ? Que vous rapporterait-elle et qu’y perdriez-vous ? »
Morgan secoua la tête d’un air écœuré. « Ce qu’il y gagnerait ? Tout le monde sauf toi saurait répondre à cette question. »
Drakon brandit une paume comminatoire pour mettre fin à la querelle puis reporta le regard sur Morgan. « Jusqu’à quel point pouvons-nous nous fier à cet agent ?
— J’ai envoyé quelques coups de sonde, l’agent y a répondu et nous avons ensuite tourné l’un autour de l’autre en une sorte de valse-hésitation, le temps de vérifier si nos intérêts coïncidaient. Il peut approcher Iceni de très, très près, souligna-t-elle, et, s’il sait s’y prendre correctement, il n’aura pas besoin de frapper dans ce système stellaire.
— C’est une nouvelle recrue, rétorqua Malin. Nous ne savons pas grand-chose de ses antécédents.
— Comment as-tu… ? » Morgan foudroya Malin du regard. « Si nous attendons le moment idéal, nous n’agirons jamais. Mais Iceni, elle, prendra des mesures. Vous savez pertinemment que nous ne pouvons attendre indéfiniment d’avoir cent pour cent de réussite, mon général.
— C’est vrai, reconnut Drakon. Mais la question primordiale c’est de savoir si j’y tiens et, si c’est le cas, si le moment est bien choisi. Je vous ai appris à tous les deux, et à vous deux seulement, où se rendait Iceni. Vous savez combien il est vital que cette mission réussisse.
— La vice-CECH Marphissa connaît son métier, affirma Morgan. Elle saura se débrouiller sans Iceni.
— Ça n’a rien d’une certitude, et Iceni ne vous a pas pris pour cible, mon général, déclara Malin.
— Autant que ce soit établi ! aboya Morgan.
— J’en ai davantage la conviction que toi, lui répondit Malin avec un sourire glacial. Si quelqu’un cherchait à viser le général Drakon, tu le saurais. »
Le compliment prit un instant Morgan de court, mais elle s’en remit très vite. « Je ne suis pas parfaite. Le général Drakon est assez avisé pour ne placer sa confiance en personne, ajouta-t-elle avec un regard laissant clairement entendre que la pique était destinée à Malin.
— Pourquoi ferait-il confiance à cet agent, alors ? C’est une vieille ruse du SSI, mon général. Faites miroiter une embellie à quelqu’un et, s’il avale l’hameçon, il ne vous reste plus qu’à ferrer. Comment savons-nous si Iceni n’attend pas précisément que vous envoyiez cet ordre ? Si vous vous y résolvez et que c’est un traquenard, vous aurez fait le jeu de la présidente. »
Les yeux de Morgan flamboyèrent. « Insinuerais-tu que je travaille pour Iceni ?
— Jamais je ne sous-entendrais une telle accusation. Je la porterais de vive voix si j’en avais la preuve.
— Seulement si j’avais le dos tourné ! Mon général, je connais mon boulot. Je sais ce que fera l’agent. »
Drakon ferma les yeux pour soupeser ses options. Le fond de l’affaire, c’est que je ne tiens pas à éliminer Iceni. À moins d’y être contraint. Elle s’acquitte à merveille de sa part du marché et n’a pas tenté jusque-là de me couper l’herbe sous le pied, du moins en apparence. Qu’elle puisse agir en sous-main est une autre paire de manches. « Non, finit-il par dire. Je ne crois pas que ce soit le bon moment, ni que je doive adopter cette solution extrême à moins qu’on ne me force ostensiblement la main. En outre, avant de faire confiance à cet agent pour une opération aussi critique, j’aimerais en savoir davantage sur sa personne. »