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Elle désigna de l’index certaines zones de l’écran. « En votre qualité de commandante de la flottille, vous serez la kommodore Marphissa. En fonction de leur ancienneté, les commandants d’unité, selon qu’ils sont vice-CECH ou appartiennent à l’encadrement, seront kapitans de première, deuxième ou troisième classe. Ensuite, leurs subalternes et employés du sous-encadrement deviendront kapitan-levtenant, levtenant de deuxième classe et, pour les jeunes officiers, enseygnes de vaisseau.

— Il me semble que ces changements seront bien accueillis, déclara Marphissa. Il est bon qu’ils diffèrent à la fois de ceux imposés par le général Drakon et de la chaîne de commandement observée par l’Alliance. Les forces mobiles… les vaisseaux, je veux dire, apprécieront cette distinction.

— Y a-t-il dans cette nouvelle hiérarchie des points qui vous semblent obscurs ? s’enquit Iceni.

— Il n’existe aucun grade supérieur à celui de kommodore ? »

Iceni s’esclaffa. « Vous vous en inquiétez déjà ? Atmiral.

— Atmiral, répéta Marphissa comme si elle savourait déjà le titre.

— Il nous faudra encore quelques vaisseaux de plus avant que nous n’ayons l’usage d’un atmiral, kommodore Marphissa. »

Ils se trouvaient à trente minutes-lumière du point de saut pour Kane. Assise sur la passerelle du croiseur lourd, Iceni se tourna vers Marphissa. « Kommodore, conduisez la flottille au point de saut pour Kane et ordonnez à toutes les unités de se préparer à entrer en action dès l’émergence.

— Kane ? s’étonna Marphissa, qui s’était visiblement attendue à Taroa. A-t-on procédé à une estimation de ce qu’on risquerait d’y affronter ?

— Je vous brieferai dès notre entrée dans l’espace du saut. »

Soit dans cinq heures à 0,1 c. Iceni resta sur la passerelle à scruter son écran où les vaisseaux, qui se déplaçaient pourtant à près de trente mille kilomètres par seconde, semblaient ne couvrir qu’en rampant les énormes distances d’un système stellaire. À cette vélocité, gagner Laka, l’étoile la plus proche, exigerait près de vingt-cinq ans.

Archaïque, cette technologie éprouvée permettrait à la flottille d’atteindre Kane en six jours, mais cela en empruntant un raccourci à travers une dimension toujours mal connue où les distances se trouvaient considérablement abrégées.

Alors qu’on approchait enfin du point de saut, Marphissa se tourna vers Iceni. « Permission de procéder au saut vers Kane ?

— Accordée. Toutes les unités devront être parées au combat à l’émergence.

— Oui, madame la présidente. » Marphissa transmit ces ordres aux autres vaisseaux puis leur commanda de sauter.

Iceni ressentit l’étrange torsion habituelle quand disparurent les innombrables étoiles qui scintillaient sur l’éternel velours noir de l’espace. Les images qui leur parvenaient de l’extérieur montraient à présent, à leur place, le néant morne et monotone de l’espace du saut. Alors que les vaisseaux humains l’empruntaient depuis des siècles, on ne l’avait toujours pas exploré car on ne connaissait aucun moyen d’y parvenir. Les vaisseaux ne pouvaient pas dévier de leur trajectoire entre ces zones réduites de l’espace qu’on avait baptisées les points de saut et qui permettaient de quitter l’espace conventionnel pour celui du saut. Les senseurs n’y détectaient qu’une grisaille infinie.

Et les lumières. Une de ces lueurs énigmatiques s’épanouit alors même qu’Iceni observait son écran. Nul ne savait ce qu’elles recouvraient, ce qui les provoquait ni ce qu’elles signifiaient, si tant est qu’elles eussent un sens. Des bruits couraient à leur sujet, bien sûr, et des superstitions. Quand elle se trouvait dans l’espace conventionnel ou à la surface d’une planète, Iceni se moquait en son for intérieur de ceux qui voyaient en elles la preuve de l’existence d’une puissance transcendante qui observerait l’humanité. Mais, dans l’espace du saut, parfaitement étranger à tout ce qui était humain, un frisson la parcourait dès qu’elle en apercevait une, comme si elle regardait en face ce que l’esprit humain ne pourrait jamais appréhender. En ces moments-là, les vieilles histoires que lui racontait son père sur les vivantes étoiles semblaient se parer d’un nouvel éclat.

Il n’existait aucun moyen non plus de communiquer de vaisseau à vaisseau ou avec l’univers conventionnel. Les secrets y étaient donc préservés. « Kommodore, il est temps de discuter de notre mission. »

La kommodore nouvellement promue eut le mérite de prendre la nouvelle sans broncher. « Un cuirassé ?

— Oui. »

Marphissa eu un geste indécis. « Ça devrait être… captivant.

— Oui », répéta Iceni en espérant que ça ne le serait pas trop.

Six jours plus tard, la flottille se préparait à émerger à Kane. Le croiseur lourd était en état d’alerte et sa kommodore semblait farouchement déterminée. « Si ce cuirassé nous guette à l’émergence et qu’il est lui aussi paré au combat, l’engagement risque d’être très bref.

— Êtes-vous prête à le vérifier, kommodore ? s’enquit Iceni en s’efforçant de conférer à sa voix et à son maintien assurance et résolution.

— Oui, madame la présidente. »

Étoiles et noirceur de l’espace se substituèrent au néant de grisaille, et Iceni s’échina à lutter contre les effets pervers de l’émergence afin d’accommoder et de se concentrer sur son écran pour découvrir ce qui les attendait à Kane.

Neuf

Des alarmes résonnaient à bord du croiseur lourd ; ceux des systèmes de visée qui n’avaient pas été affectés par l’émergence se verrouillèrent sur le gros vaisseau qui stationnait près du point de saut et attendirent l’autorisation d’un humain pour tirer. Au moyen de ruses apprises depuis longtemps, Iceni réussit à s’arracher à sa désorientation.

Bon, rien de bien effrayant dans les parages.

Un rire nerveux traversa toute la passerelle, chacun se remettant peu à peu suffisamment pour consulter son propre écran.

« Un cargo », marmonna Marphissa. L’énorme vaisseau marchand rectangulaire progressait juste au-dessus du point de saut, à moins d’une minute-lumière, et s’apprêtait manifestement à sortir du système avec sa cargaison. Sans doute les Mondes syndiqués s’effondraient-ils, violence et incertitude économique explosaient-elles un peu partout, mais les affaires restaient les affaires. « Faut-il l’intercepter ?

— Non, répondit Iceni. Nous devons continuer de commercer avec cette région et encourager les gens à nouer avec nous des relations d’échange. Souhaitez bon vent à son équipage et certifiez-lui que Midway veillera à la sécurité de tous ceux qui voudront traiter avec nous. »

Pendant que Marphissa s’exécutait, Iceni étudia son écran. La flottille n’avait émergé du point de saut qu’à cinq heures-lumière de l’étoile. Le diamètre du système de Kane est inférieur à celui de Midway. La planète la plus proche se trouvait à vingt minutes-lumière, assez éloignée de la chaleur du luminaire pour être glacée. Deux géantes gazeuses étaient plus proches de l’étoile, dont une à trois heures-lumière et l’autre à une heure-lumière et demie. Par-delà, assez voisines de Kane pour bénéficier de sa chaleur, on repérait encore trois planètes intérieures. L’une était trop froide pour héberger des hommes et l’autre un poil trop brûlante. Mais la troisième, à sept minutes-lumière seulement de Kane, était tout à fait hospitalière. C’était elle qui abritait, dans des villes et des cités cramponnées aux lisières de continents restés le plus souvent à l’état vierge, la majeure partie de la présence humaine dans le système.