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— Je me garderais bien de porter une telle accusation contre vous, madame la présidente.

— Tant mieux. » Iceni posa un instant les yeux sur la planète habitée, distante de près de cinq heures-lumière. Si bien qu’elle ne recevrait pas son message avant cinq heures et que la réponse, même si on la renvoyait aussitôt, mettrait approximativement le même délai à lui parvenir. Dix heures donc à prendre patience, et elle avait assez mal dormi tant l’inquiétait ce qui risquait de la guetter à Kane. « Je vais aller me reposer. Avisez le colonel Rogero que nous ne pouvons guère nous attendre à recourir à ses forces spéciales avant une quarantaine d’heures. Et prévenez-moi de tout changement appréciable de la situation.

— À vos ordres, madame la présidente, répondit Marphissa, de nouveau tout à son affaire. Qu’en est-il de l’état de préparation des vaisseaux ? Voulez-vous qu’on les maintienne en alerte Un ?

— Non. » Iceni s’était parfois retrouvée sous les ordres de CECH exigeant de leur équipage qu’il restât sur le qui-vive pendant des jours d’affilée afin d’être toujours « prêt à tout », de sorte que, lorsqu’ils affrontaient enfin l’ennemi, les hommes étaient complètement épuisés et fort loin, donc, d’être parés à combattre. Elle n’allait pas répéter la même erreur. « Ramenez les vaisseaux au mode de croisière. Faites savoir à tous les commandants d’unité que je tiens à ce que les matelots soient frais et dispos lorsque nous approcherons de la géante gazeuse. » Ça n’avait rien non plus d’humanitaire. C’était purement rationnel.

Toujours est-il que le soulagement qui gagna les jeunes officiers et les spécialistes de la passerelle en fut presque tangible. Iceni réprima un sourire en se remémorant l’époque où elle-même se résignait à rester de faction sur la passerelle pendant une durée indéfinie alors que l’ennemi se trouvait encore à plusieurs heures-lumière. Chacun ici savait que l’objectif était un cuirassé, pourtant tous avaient l’air enjoués et confiants. Elle avait du mal à le comprendre.

En refermant la porte de sa cabine, elle éprouva cette sensation de répit que procure toujours la protection d’une barricade infranchissable. Depuis quand n’était-elle pas sortie dans la rue sans s’inquiéter de savoir si on la suivait ?

Cela dit, elle se fiait de plus en plus à Marphissa. Tout en cette fille laissait entendre qu’elle était intelligente, capable, loyale et prête à parler franchement à ses supérieurs. Cette dernière vertu aurait au mieux été regardée comme agaçante par les CECH et vice-CECH, mais Iceni, elle, en reconnaissait la valeur chez une subalterne quand elle s’assortissait de ces autres qualités. Si du moins Marphissa les possédait toutes, et en particulier la loyauté.

Ont-ils réellement décidé de m’appuyer parce qu’ils s’attendaient à ce que je me soucie de leur sort ? Je m’en inquiète certes, au point de ne pas les avoir abandonnés aux Énigmas quand la situation semblait désespérée. C’était mon devoir de CECH responsable du système de Midway. Je suis comme ça – je fais bien mon travail –, et ne pas me soucier d’eux maintenant que mon propre sort repose sur leur combativité serait la dernière des folies.

Elle s’étendit sur sa couchette et fixa le plafond en se demandant pourquoi le souvenir de la joviale assurance qui régnait dans l’équipage la comblait d’aise. L’opinion des matelots ne comptait pas. Eux-mêmes ne comptaient pas. On le lui avait ressassé toute sa carrière durant.

Pourtant elle s’était rebellée contre tout ce qu’on lui avait inculqué, non ? Pourquoi ?

Parce que ce système avait failli.

« CECH Janusa. »

L’homme qui avait envoyé le message avait l’air de l’accueillir cauteleusement. Elle ne le reconnut pas.

« Je suis le CECH Reynard. Bienvenue à Kane. Je vous félicite de votre victoire à Midway et j’apprécierais que vous me fassiez parvenir le récit du combat que vous y avez livré afin que je prenne exemple sur vous. »

Ce n’est pas un CECH. Il s’exprime comme un vice-CECH et cherche à me flatter pour me soutirer des renseignements. Intéressant.

Le « CECH Reynard » afficha une figure soucieuse. « Je dois vous informer que notre installation des forces mobiles orbitant autour de la quatrième planète du système a été récemment vidée de ses fournitures par une autre flottille syndic. Si vous décidiez de plutôt faire route vers la deuxième planète, je peux vous assurer que la vôtre recevra tout le soutien requis. Ce qui vous permettra de vous réapprovisionner aussi vite que possible avant de reprendre le cours de votre mission. Au nom du peuple, Reynard, terminé. »

Alors, « Reynard », quel est ton vrai nom et quel jeu joues-tu réellement ? Le pouvoir des Mondes syndiqués a-t-il été renversé ici ? Qu’est-il advenu du CECH Chan, qui aux dernières nouvelles était encore aux manettes ? Les serpents auraient pu l’éliminer, auquel cas tu ne serais qu’un substitut des Syndics, bombardé après que le SSI aurait massacré les CECH de Kane.

Il a aussi l’air pressé de nous voir repartir. Je peux au moins être sûre d’une chose : « Reynard » ne tient pas à ce que nous gagnions la géante gazeuse. C’est bon signe. « Maintenez le cap vers l’installation des forces mobiles », ordonna-t-elle à Marphissa.

Elle réfléchit à ce qu’elle devait faire ensuite puis activa son unité de com.

« Ici la CECH Janusa, répondant au CECH Reynard. Hélas, je n’ai pas le temps de me détourner vers votre deuxième planète. Ma flottille continuera de se diriger vers l’installation des forces mobiles, où je suis sûre de trouver de quoi me réapprovisionner. Au nom du peuple, Janusa, terminé. »

Nouveau message : « De la CECH Janusa au commandant de la flottille stationnée près de la quatrième planète du système de Kane. Je suis ici pour faire appliquer les ordres directs du gouvernement de Prime. Je désire être contactée le plus tôt possible par votre commandant. Des impératifs urgents réclament des modifications drastiques de vos attributions. » Ces impératifs étant surtout la nécessité de vous éloigner de cette installation des forces mobiles afin de me faciliter la tâche.

« La CECH Janusa met franchement le paquet, fit remarquer la kommodore Marphissa dès qu’Iceni eut envoyé son second message.

— C’est une salope impénitente, admit Iceni. Ainsi personne ne mettra en doute sa qualité de CECH. Avez-vous réussi à contacter officieusement un des commandants d’unité de cette autre flottille ?

— J’ai envoyé quelques coups de sonde par le truchement des canaux non réglementaires du système de com, mais ils sont restés lettre morte jusque-là.

— Avisez-moi dès que vous recevrez une réponse. Je préfère ajouter des vaisseaux de guerre à ma flottille que les combattre. »

Vingt-huit heures de transit les séparaient encore de l’installation des forces mobiles.

Le message suivant survint sept heures plus tard, en provenance de l’installation orbitale de la géante gazeuse plutôt que de la planète habitée. « CECH Janusa, veuillez changer de cap et vous diriger vers la deuxième planète. J’ai le regret de vous informer que nous sommes victimes ici d’une grave épidémie consécutive à la dernière visite d’une flottille à notre installation. Nous devons encore découvrir le traitement adéquat. Plus de la moitié de notre personnel est d’ores et déjà frappé d’incapacité. Au nom du peuple, ici la vice-CECH Petrov, commandante intérimaire de l’installation orbitale, terminé.

— Elle a l’air en bonne santé pour quelqu’un qui commande à une installation frappée par une épidémie, fit remarquer Iceni. Kommodore Marphissa, ordonnez au médecin de bord d’évaluer la véracité du message de cette vice-CECH Petrov, si c’est bien son nom. »