« Plus que dix mètres avant d’atteindre la limite de la chambre forte, déclara un soldat. Où diable peuvent-ils bien être ?
— Espérons qu’ils… » L’homme s’interrompit brusquement pour se rejeter en arrière. Des tirs venaient de se déchaîner dans la coursive.
« On les a trouvés ! » hurla quelqu’un. Toute l’équipe de Rogero avait ouvert le feu et le quadrillage des balles traçantes fut durant un bref instant si aveuglant dans la coursive que la visière de Rogero s’assombrit pour protéger ses yeux, virant pratiquement au noir.
« Giclez ! » vociféra-t-il. Ses hommes chargèrent. Les tirs des armes légères des serpents ricochaient sur les cuirasses, faisant chanceler ceux qui fonçaient dans le tas.
Iceni perdit un instant le fil : les images affluaient trop vite pour qu’on pût les interpréter. Rogero et ses hommes tiraient sur tout ce qui bougeait, des silhouettes en cuirasse légère s’abattaient, bondissaient, tentaient de fuir, retombaient, parfois littéralement déchiquetées quand elles étaient touchées par plus d’une balle.
« Zone dégagée.
— Déployez-vous et cherchez-en d’autres », ordonna Rogero en enjambant un cadavre pour jeter un coup d’œil derrière un angle.
Lourdement blindée, la principale écoutille de la passerelle s’ouvrait au fond d’une brève coursive. Les éraflures du blindage témoignaient de tentatives d’effraction, et les dommages infligés au plafond et aux cloisons voisines balisaient l’emplacement des défenses actives de la chambre forte, détruites par les serpents pour leur permettre d’accéder au sas.
Néanmoins, la connexion au réseau de com local restait correcte. « Passerelle, ici le colonel Rogero. Tous les serpents sont morts. »
La réponse prit un certain temps : « Colonel ?
— Ex-vice-CHECH. Nous avons changé l’intitulé de nos grades maintenant que nous ne sommes plus sous la férule des Syndics. Contrôlez-vous le système de surveillance interne ? Nous ne savons pas s’il reste encore des serpents à bord ni où ils se trouvent.
— L’équipe Trois a atteint le centre de contrôle de l’armement, apprit à Rogero une voix dans son oreillette. Elle contacte à présent ses occupants.
— L’équipe Deux vient d’engager le combat avec une autre poche de résistance des serpents juste avant le centre de contrôle de l’ingénierie », rapporta une seconde voix.
Celle qui lui parvenait de la passerelle était sonore et tendue. « La propulsion principale ! Il faut vous emparer du contrôle de la propulsion principale !
— Nos gens sont presque arrivés à l’ingénierie… commença Rogero.
— Non ! la propulsion principale ! Les serpents n’ont pas su l’activer, mais ils pourraient avoir trafiqué les cellules d’énergie pour qu’elles explosent ! Ils nous en ont menacés si nous ne nous rendions pas.
— Et c’est maintenant que vous nous en informez ? grogna Rogero. Équipes Deux et Trois, nouvelles instructions. Laissez des escouades sur place pour protéger l’ingénierie et l’armement. Les autres, descendez le plus vite possible aux soutes des cellules d’énergie et mettez-vous à la recherche d’interventions de sabotage. Les serpents ont menacé de faire sauter les cellules.
— Qu’est-ce qu’on doit chercher, mon colonel ?
— Charges explosives, câbles de détonateurs, minuteurs, armes nucléaires, tout ce qui n’y aurait pas sa place.
— Nous ne savons pas ce que nous sommes censés trouver dans une soute de cellules d’énergie, mon col… »
Iceni intervint pour s’adresser en même temps à Rogero et Marphissa. « Nous sommes en train d’établir une connexion entre vos soldats et nos ingénieurs. En arrivant en bas, vos hommes disposeront des yeux de gens compétents pour les aider dans leurs recherches.
— Compris. Le plus tôt sera le mieux.
— J’ai une bataille à livrer ici ! râla Marphissa en enfonçant frénétiquement des touches. Nous ne sommes plus qu’à onze minutes du contact avec l’autre flottille… dix maintenant. Transmissions, connectez les ingénieurs du croiseur lourd au réseau des forces terrestres. Tous les autres, n’ayez d’yeux que pour la flottille adverse ! »
Dix minutes. Iceni consulta son écran : les deux forces se rapprochaient, obliquement cette fois puisque l’ennemi visait le cuirassé plutôt que les vaisseaux de Midway. Mais cela ne le rendait pas moins dangereux, et, si le CL-773 s’efforçait encore poussivement de rattraper la formation, il traînait toujours derrière.
Plus loin au-delà, piquant vers la courbure de la géante gazeuse comme s’il cherchait encore à la contourner, le cargo désemparé rougeoyait déjà puisqu’il cinglait dorénavant, en réalité, à travers les couches supérieures de son atmosphère. Une section s’en détacha et s’y enfonça plus profondément en tournoyant, avant de disparaître dans une traînée flamboyante. Iceni arracha son regard à ce spectacle, en espérant que nul à son bord n’était encore vivant.
Marphissa reluquait la flottille en approche en se mordillant les lèvres. « Avec ce CL-773 qui lambine, nous sommes désormais à égalité avec eux pour les croiseurs légers et nous disposons de sept avisos contre six des leurs. Notre seul avantage réside dans nos trois croiseurs lourds. Eux n’en ont qu’un seul.
— Où voulez-vous en venir ? demanda Iceni.
— Vous m’avez ordonné de cibler les croiseurs légers et le croiseur lourd. Cela dispersera nos tirs et nous n’aurons que bien peu de chances d’en détruire un lors de cette première passe. Je préférerais concentrer mon feu sur le croiseur lourd ou sur les trois croiseurs légers.
— Ça ne me plaît pas. Dans un cas comme dans l’autre, vous permettriez à une forte puissance de feu de nous atteindre.
— Si je tente de les accrocher tous en même temps, madame la présidente, c’est toute leur puissance de feu qui nous atteindra. »
Sachant combien c’était futile et ne tenant pas à en prendre le risque, les subalternes discutaient rarement les ordres de leurs CECH. Iceni lui jeta un regard de travers. « Aucune de ces deux options n’emporte mes suffrages.
— Nous n’avons pas le choix. Nous n’avons pas assez de vaisseaux pour les arrêter tous en une seule passe de tirs.
— Que préconisez-vous en ce cas ? » demanda Iceni, qui, au seul spectacle des spécialistes de la passerelle attentifs à ne rien faire qui pût attirer son attention, prit conscience du ton qu’elle avait adopté. « Le croiseur lourd ou les croiseurs légers ? »
Marphissa pointa son écran du doigt. « Le lourd. Le chef des serpents se trouvera à son bord. Si nous décapitons leur groupe, ils perdront peut-être du temps à décider d’un nouveau responsable, à moins qu’ils n’appellent leurs supérieurs pour leur demander des instructions.
— Ou qu’ils ne poursuivent leur route pour toucher le cuirassé à mort pendant qu’il est incapable de se défendre.
— C’est vrai, madame la présidente. »
Silence irrité. « Frappez le croiseur lourd.
— À vos ordres, madame la présidente. »
Bon, bien sûr, si les serpents avaient paramétré les cellules d’énergie pour qu’elles explosent et si les soldats ne parvenaient pas à les désamorcer à temps, le cuirassé sauterait quelle que fût la tournure que prendrait l’accrochage entre les deux flottilles. Et Iceni ne pouvait plus se remettre à observer les faits et gestes des forces terrestres maintenant que ses vaisseaux se trouvaient à moins de cinq minutes d’un choc frontal avec la flottille ennemie.