Sa formation en boîte arrivait légèrement au-dessus de l’autre et par bâbord. Elle la couperait donc en diagonale lors de la passe de tirs. Marphissa piquait droit vers le croiseur lourd central, et Iceni voyait déjà les unités adverses pivoter pour présenter leur proue aux assaillants tout en poursuivant leur route vers le cuirassé. « Vitesse d’approche combinée de 0,16 c cette fois, annonça Marphissa. Faible distorsion des cibles. Nous devrions faire mouche.
— Eux aussi », rétorqua Iceni.
Ne restait plus qu’à attendre en regardant l’ennemi grossir rapidement, les croiser puis disparaître la seconde suivante. Le croiseur d’Iceni tanguait sous les impacts et des sirènes d’alarme retentissaient, signalant des dommages. « À toutes les unités, virez de treize degrés sur tribord et de sept vers le haut, ordonna Marphissa. Exécution immédiate. »
La flottille entreprit d’incurver sa trajectoire pour tenter de rattraper son adversaire. La majeure partie, tout du moins. « Le CL-924 et l’A-2061 ont souffert de dommages à leur propulsion », rapporta le spécialiste des opérations.
Au même instant, celui des combats annonçait des avaries à leur propre bâtiment. « Batterie de lances de l’enfer Un désactivée. Lance-missile Trois HS. Coque perforée en plusieurs points. Aucun système critique n’a été perdu.
— Colmatez, ordonna Marphissa. Ce lance-missile doit absolument être remis en état.
— Nous n’avons pas les moyens de le réparer, répondit le spécialiste des combats d’une voix hésitante. Les dommages sont trop lourds. Il nous faudrait de l’aide. »
Marphissa secoua la tête et serra le poing. « Si ce croiseur appartenait à l’Alliance, nous aurions assez de gens et de pièces détachées à bord pour le rafistoler. Foutus bureaucrates syndics, avec leur rendement et leurs réductions des coûts ! »
Iceni se rappelait avoir éprouvé la même frustration quand, alors qu’elle appartenait aux forces mobiles, il fallait attendre l’arrivée des entrepreneurs civils pour réparer tout dommage de quelque importance. « On pourra changer tout cela, mais pas du jour au lendemain.
— Merci, madame la présidente. La flottille ennemie a dû concentrer ses tirs sur notre croiseur lourd. Une chance qu’elle ait moins de croiseurs lourds que nous. »
Des rapports d’avaries infligées à l’autre camp affluaient aussi à mesure que les senseurs des vaisseaux d’Iceni repéraient et évaluaient ce qu’ils parvenaient à observer, et elle voyait des marqueurs s’allumer près de l’icône du seul croiseur lourd ennemi. « Au moins l’avons-nous frappé plus sérieusement qu’il ne nous a touchés. »
La puissance de feu supérieure des trois croiseurs lourds d’Iceni avait creusé l’écart en infligeant de sévères dommages à celui de l’ennemi. « Ils en ont complètement perdu le contrôle et il s’éloigne de leur formation en dérivant, déclara le spécialiste des opérations.
— Mais il n’est pas encore mort.
— Non. Il semble toujours communiquer avec les autres vaisseaux et une partie de son armement est estimée encore opérationnelle. »
Iceni se tourna vers Marphissa en plissant les yeux. La kommodore réfléchissait, les sourcils froncés. « Je crois que nous devrions l’achever, déclara-t-elle enfin.
— Pourquoi ?
— Parce que nous ne pourrons pas rattraper les autres avant qu’ils atteignent le cuirassé. Mais, si le commandant du croiseur lourd prend peur, il risque d’appeler au secours et d’ordonner à ses autres unités de voler à sa rescousse. »
Nouveau pénible dilemme à élucider. « Nous n’avons aucune chance de rejoindre les croiseurs légers ?
— Sauf s’ils se retournent.
— Éventualité que vous n’avez pas soulevée quand vous m’avez demandé de concentrer votre feu sur le croiseur lourd ! » Iceni s’efforça de réprimer colère et frustration, consciente qu’elle devait prendre au plus vite sa décision alors qu’elle s’inquiétait toujours du sort du cuirassé. Frappe à la tête. Quand tu as affaire aux serpents, tranche toujours la tête. « Foncez sur le croiseur. Mais détruisez-le cette fois.
— À vos ordres, madame la présidente. » La kommodore Marphissa rectifia la course de ses unités, les arrachant à la chasse des croiseurs légers et avisos ennemis rescapés pour viser le croiseur lourd estropié. « Douze minutes avant interception.
— Prévenez-moi cinq minutes avant. » Iceni se retourna pour concentrer de nouveau son attention sur les écrans montrant les soldats.
Nombre d’entre eux ne présentaient que des coursives désertes. Quelques-uns lui révélèrent du personnel des forces mobiles dans les citadelles de l’ingénierie et du contrôle de l’armement. Ces hommes et femmes étaient sans doute épuisés, mais leur visage reflétait encore la joie mêlée d’incrédulité que leur inspirait l’arrivée de leurs sauveteurs. Rogero et ses hommes patientaient encore à l’entrée de la passerelle.
Mais la moitié au moins zoomaient sur des compartiments de l’ingénierie. Des rangées de cellules d’énergie s’entassaient dans la plupart. Les soldats les inspectaient hâtivement en quête de signes d’un sabotage, de sorte que l’angle de vision changeait très vite.
« Je ne vois strictement rien qui serait déplacé ici », se plaignit une voix qu’elle ne reconnut pas. Probablement celle d’un des ingénieurs de son croiseur lourd. « Tâchez de chercher des trucs qui ne devraient pas se trouver là, poursuivit-il en s’adressant aux soldats.
— Comment pourrais-je chercher des trucs qui ne devraient pas se trouver là quand je ne sais pas ce qui devrait s’y trouver ? grommela un homme d’une voix exaspérée.
— Cherchez ce qui aurait l’air sur le point d’exploser.
— J’aurais cru que tout pouvait exploser.
— Exact ! Mais il faut chercher ce qui pourrait exploser mais n’a pas sa place ici, afin que ça ne fasse pas sauter ce qui pourrait exploser mais est censé s’y trouver !
— Quoi ? »
La voix de Rogero se fit entendre : « Contentez-vous de tout vérifier aussi vite que possible. Ingénieurs, quel serait le plus sûr moyen de faire sauter les cellules ? En avoir une idée rétrécirait le champ de nos investigations. »
Long silence durant lequel les images des cellules d’énergie continuèrent de défiler, puis une nouvelle voix intervint. « À la vérité, si l’on voulait s’assurer qu’elles explosent toutes, il faudrait veiller à ce qu’elles ne soient pas seulement brisées mais encore heurtées assez rudement pour détoner.
— Ce qui exigerait ? demanda Rogero.
— Humm… un engin nucléaire de dix kilotonnes, voire davantage.
— On peut détecter le nucléaire. Il n’y en a pas ici.
— Alors… Oh ! Ce n’est pas dans le secteur des cellules d’énergie !
— Vous voulez parler de réaction en chaîne ? s’exclama un troisième ingénieur.
— Où. Est. Ce ? » Rogero hurlait à présent.
« On alimente les cellules en énergie. Si l’on réglait cette alimentation pour décharger toute l’énergie d’un seul coup dans le cœur du réacteur au lieu de la relâcher en continu, il en résulterait dans le secteur des stocks de cellules un contrecoup qui les ferait toutes sauter, de sorte que la poupe du cuirassé volerait en éclats. Pourvu toutefois que le réacteur n’entre pas lui aussi en surcharge…
— Trouvez ce câble d’alimentation, ordonna Rogero à ses soldats. Vous autres du centre de contrôle de l’ingénierie, lancez-moi un diagnostic logiciel pour voir si les serpents n’auraient pas implanté des virus dans les systèmes de régulation de la propulsion ou ceux du cœur du réacteur.