— Mais, mon colonel, protesta un soldat, les serpents ont dit que les cellules d’énergie…
— “Les serpents ont dit…” Répétez-le encore une fois et dites-moi où ça pèche ! Est-ce que ça n’implique pas que la vérité sera tout sauf ce qu’ils ont dit ?
— Cinq minutes, madame la présidente. »
L’attention d’Iceni se reporta brusquement sur sa passerelle. Drakon ne s’était manifestement pas trompé sur les qualités de leader de Rogero. « Nous allons peut-être réussir à sauver ce cuirassé, finalement.
— Quoi ? s’écria Marphissa, l’air consternée. Quelque chose… ?
— Peu importe. Où est passée l’autre flottille ?
— Là ! » Elle brilla plus intensément sur l’écran d’Iceni. Sa trajectoire la conduisait inexorablement au cuirassé. « Encore quatorze minutes avant qu’elle puisse ouvrir le feu sur le cuirassé. J’ai avisé les navettes de se poser de l’autre côté pour qu’elle ne les prenne pas pour cibles.
— Très bien. » La parabole de leur propre formation s’incurvait tout aussi impitoyablement vers le croiseur lourd endommagé.
« Des modules de survie s’échappent du croiseur lourd, rapporta le spécialiste des opérations. Un… deux… trois… »
Marphissa fixa son écran, renfrognée. « Trois seulement ? Nous n’avons pas pu déjà tuer autant de matelots. » Des marqueurs rouges de danger clignotèrent sur les écrans. « Les lances de l’enfer du croiseur encore opérationnelles continueraient-elles de tirer ? Nous sommes beaucoup trop loin… Malédiction ! Ils allument leurs propres capsules.
— Qui peuvent-elles bien abriter ? s’interrogea Marphissa. Des serpents ou bien des matelots qui cherchent à leur échapper ?
— Éjection de trois nouveaux modules.
— Nous recevons une transmission d’un des modules, cria le spécialiste des coms. Elle affirme qu’ils font partie de l’équipage et cherchent à s’enfuir pour se rendre. Les serpents contrôlent la passerelle. »
Marphissa se tourna vers Iceni. « Est-ce bien vrai ou s’agit-il de serpents en fuite ? Qui ciblons-nous ?
— Le croiseur. Si ces capsules abritent des serpents, nous pourrons toujours les tacler plus tard.
— Mais si les matelots survivants contrôlent le croiseur…
— Alors ils auront attendu bien trop longtemps pour s’en emparer. » Iceni s’efforçait d’imprimer le plus de froideur possible à son ton pour dissimuler le mauvais pressentiment qui la rongeait. Je dois arrêter ma décision maintenant. J’espère ne pas me tromper.
« Une minute avant interception. »
Marphissa enfonça une touche. « Braquez toutes les armes sur le croiseur, ordonna-t-elle platement. Bousillez-le cette fois. »
La flottille dépassa le croiseur lourd en trombe. Lances de l’enfer et mitraille criblèrent le bâtiment désemparé puis, alors qu’elle incurvait sa trajectoire pour s’en écarter, Iceni vit son écran s’embraser. « On a fait sauter son réacteur. Les modules de survie s’en étaient-ils assez éloignés pour survivre à la surcharge du cœur ?
— Oui. Ils ont néanmoins été endommagés.
— Ils devront vivre avec, au moins un moment. Non. Dépêchez les avisos et le croiseur léger blessés pour les récupérer, ordonna Iceni. Ils peuvent s’en charger. Nous autres, piquons vers le cuirassé. »
Les rescapés de la flottille ennemie fondaient toujours sur ce même bâtiment, mais ils connaîtraient à tout instant le sort du croiseur lourd. Cherchant toujours à évaluer les dommages que des unités légères pouvaient infliger à un cuirassé privé de boucliers, Iceni enfonça une touche de son panneau de com. « À toutes les unités de la flottille se dirigeant vers le cuirassé, ici la présidente Iceni. Sachez que mes troupes se sont emparées de ce cuirassé et le contrôlent à présent, comme tout ce qui se trouve à son bord. Une partie de son armement est opérationnel. » Pur et simple bluff, sans doute, dans la mesure où les hommes de Rogero ne pourraient pas atteindre les quelques lances de l’enfer en état de marche à temps pour riposter. « Tous les serpents sont morts à bord. Votre vaisseau amiral a été détruit. Toute unité qui cesse de s’en prendre aux miennes bénéficiera de notre clémence. Ne vous battez plus pour le système syndic mais pour vous-mêmes. Au nom du peuple, Iceni, terminé. »
Puis elle attendit : que son message voyageant à la vitesse de la lumière atteignît l’autre flottille, laquelle ne se trouvait plus qu’à deux minutes du cuirassé, et que l’image de sa réaction lui revînt (si du moins elle y réagissait).
Et elle vit soudain un des croiseurs légers ennemis se détacher de sa formation pour décrire une parabole vers l’espace profond.
« Vous avez réussi à capter leur attention, affirma Marphissa en souriant. En voilà un autre.
— Trois avisos entreprennent une manœuvre d’évitement de leur propre formation, rapporta le spécialiste des opérations. Compte tenu des temps de retard, cette action n’a pas pu être coordonnée. »
Les deux croiseurs légers et les trois avisos restants altérèrent brusquement leur trajectoire à leur tour, grimpant vers le haut pour esquiver l’enveloppe d’engagement du cuirassé et cingler par-dessus la géante gazeuse. Alors qu’ils s’en éloignaient, un autre croiseur léger et un autre aviso firent une embardée les écartant de leurs derniers camarades. La formation ennemie se réduisait désormais à un croiseur léger et deux avisos, qui tous semblaient prendre le chemin de Kane. « Deuxième planète, prédit Marphissa. Leur objectif probable.
— Mais pourquoi y retourner ? demanda Iceni.
— Parce qu’il s’agit sûrement de serpents d’un grade élevé sur cette planète et qui exigeront leur évacuation. Transmissions, voyez si nous ne pourrions pas contacter un des croiseurs légers ou des avisos qui ont quitté la formation. Devons-nous poursuivre vers le cuirassé, madame la présidente ?
— Oui. Assurez-vous que le croiseur léger et l’aviso récupèrent bien toutes les capsules de survie et se tiennent prêts à tout. Je tiens à savoir qui s’y trouve réellement. Si elles abritent des serpents, ils seront sans doute armés. » Elle se retourna vers l’image retransmise par Rogero et constata que l’écoutille de la passerelle était toujours hermétiquement scellée. « Rapport de situation, colonel ?
— Nous avons trouvé le sabotage. Dans le système d’alimentation des cellules d’énergie. Si nous avions tenté d’ébranler le cuirassé, sa croupe nous aurait explosé au nez, si vous voulez bien me pardonner ce langage.
— Mais il n’y a plus de danger ?
— Pas d’une explosion imminente du vaisseau, en tout cas, madame la présidente. Mais nous ne le contrôlons toujours pas puisque sa passerelle nous est encore interdite. Ces gens refusent de m’ouvrir l’écoutille parce qu’ils croient à une ruse des serpents. Mais ils ont reçu votre message et vous connaissent donc, de sorte qu’ils affirment que, si vous vous montrez à eux, ils auront la certitude que nous avons réellement éliminé tous les serpents et qu’ils peuvent ouvrir sans danger. »
C’était certes ennuyeux, mais… « Puis-je monter à bord sans risque ?
— Pas vraiment. Le système de surveillance interne est un vrai foutoir et ce qui fonctionne encore transite par la passerelle. Cela dit, si des serpents rôdent toujours dans la nature, nous pourrons vous protéger.
— Très bien. Nous allons amener le C-448 en position d’arrêt relatif près du cuirassé et une navette me conduira jusqu’à vous. »