Выбрать главу

Les biologistes eurent beau protester, soutenant que même plusieurs semaines supplémentaires leur seraient insuffisantes, on dut démonter le baraquement, mettre les moteurs en marche et la colonne se dirigea vers le nord-ouest. Rohan ne pouvait donner à ses camarades le moindre détail relatif au Condor, puisqu’il ne savait rien lui-même. Il voulait arriver le plus vite possible au vaisseau, car il supposait que le commandant allait distribuer de nouvelles tâches, qui apporteraient peut-être davantage de découvertes. Évidemment, il fallait avant tout, à présent, aller reconnaître le lieu supposé de l’atterrissage du Condor. Rohan faisait donc donner aux machines toute leur puissance ; ils s’en retournaient ainsi, dans le fracas encore plus infernal des chenilles qui martelaient les pierres. Une fois les ténèbres tombées, les grands projecteurs des machines s’allumèrent ; c’était là un spectacle peu banal et même menaçant ; à tout instant, les faisceaux mobiles de lumière arrachaient de l’obscurité des silhouettes informes de géants apparemment mobiles, et qui se révélaient n’être que des rochers témoins, tout ce qui restait d’une chaîne de montagnes après l’érosion. À plusieurs reprises, il fallut s’arrêter en bordure de profondes failles béant dans le basalte. Enfin, bien après minuit, ils aperçurent, éclairée de toutes parts comme pour une revue, brillant au loin telle une tour de métal, la masse de L’Invincible. Dans le périmètre du champ de force, des cortèges de machines se mouvaient dans tous les sens ; on déchargeait les provisions, le carburant ; des groupes d’hommes se tenaient sous la rampe, dans la lumière aveuglante des projecteurs. Déjà, de très loin, leur étaient parvenus les échos de cette activité de fourmilière. Au-dessus des colonnes de lumières mouvantes, s’élevait la coque du vaisseau, silencieuse, éclaboussée par des taches de clarté. Des feux bleus s’allumèrent pour indiquer par où l’on pouvait franchir le champ de force ; ainsi guidés, les véhicules, recouverts tous d’une épaisse couche de fine poussière, pénétrèrent l’un derrière l’autre au centre du champ sphérique. Rohan n’avait pas encore eu le temps de sauter à terre que déjà il appelait l’un des hommes qui se tenait près de lui et en qui il avait reconnu Blank, pour lui demander des nouvelles du Condor.

Mais le bosco ne savait rien de la prétendue découverte. Rohan n’apprit pas grand-chose de sa bouche : avant de se consumer dans les couches denses de l’atmosphère, les quatre satellites avaient fourni onze mille photos, captées par radio et reportées, au fur et à mesure de leur arrivée, sur des plaques spécialement mordancées. Afin de ne pas perdre de temps, Rohan appela dans sa cabine le technicien cartographe, Erett, et, tout en prenant sa douche, il l’interrogea sur tout ce qui s’était passé dans le vaisseau. Erett était l’un de ceux qui avaient cherché sur la série de photographies la trace du Condor. Ils avaient été trente à rechercher en même temps, à travers des océans de sable, ce petit grain d’acier ; outre les planétologues, on avait mobilisé les cartographes, les opérateurs des radars et tous les pilotes de pont. Ils avaient examiné, en se relayant, pendant vingt-quatre heures d’affilée, le matériel photographique, au fur et à mesure qu’il leur parvenait, notant les coordonnées de chaque point suspect de la planète. Mais la nouvelle que le commandant avait transmise à Rohan s’était révélée erronée. On avait pris pour le vaisseau une sorte de champignon rocheux d’une hauteur exceptionnelle, car il projetait une ombre étonnamment semblable à celle, régulière, d’une fusée. Et c’était ainsi que l’on continuait à tout ignorer du sort du Condor.

Rohan voulut se présenter au rapport chez le commandant, mais celui-ci s’était déjà retiré pour la nuit. Il revint donc dans sa cabine. Malgré sa fatigue, il fut long à s’endormir. Le matin, lorsqu’il se leva, il reçut l’ordre, transmis par Ballmin, le chef des planétologues, de remettre tout le matériel récolté au laboratoire principal. À dix heures du matin, Rohan fut pris d’une telle fringale — il n’avait pas encore pris son petit déjeuner — qu’il descendit au second, au petit mess des opérateurs de radar ; ce fut là, alors qu’il buvait son café, debout, à petites gorgées, qu’Erett vint le surprendre.

— Et alors ? Vous l’avez trouvé ? demanda-t-il, voyant une expression d’excitation sur le visage du cartographe.

— Non. Mais nous avons trouvé quelque chose de plus grand. Allez-y tout de suite, l’astronavigateur vous appelle.

Il sembla à Rohan que la cabine vitrée de l’ascenseur montait à une incroyable lenteur. Le silence régnait dans la pénombre de la pièce ; on entendait le bruissement des transmissions électriques ; du distributeur de l’appareillage, sortaient sans interruption de nouvelles photographies, luisantes d’humidité ; nul cependant n’y prêtait attention. Deux techniciens avaient sorti d’un casier mural une sorte d’épidiascope et étaient en train d’éteindre le reste des lumières au moment où Rohan ouvrit la porte. Il distingua parmi les autres la tête blanche de l’astronavigateur. L’instant d’après, l’écran blanc descendu du plafond s’argenta. Dans le silence attentif, Rohan s’approcha autant qu’il le put de la grande surface claire. La photo était loin d’être parfaite, en outre, uniquement en noir et blanc. Tout autour de petits cratères dispersés au hasard, on remarquait un haut plateau dénudé qui s’interrompait par une ligne si rectiligne qu’il semblait qu’un énorme couteau eût tranché la roche ; c’était le tracé du littoral, car le reste de la photo était occupé par le noir uniforme de l’océan. À une certaine distance de cet à-pic, s’étalait une mosaïque de formes peu distinctes, dissimulées en deux endroits par des traînées de nuages et leurs ombres. Mais il n’en était pas moins certain que cette formation singulière, dont les détails étaient estompés, n’était pas d’origine géologique,

« Une ville », pensa Rohan avec une certaine excitation, mais il ne le dit pas à haute voix, tous continuaient à garder le silence. Le technicien qui manipulait l’épidiascope essayait en vain de mieux contraster l’image.

— Quelque chose a-t-il troublé la réception ? demanda l’astronavigateur de sa voix calme, dans le silence général.

— Non. (La réponse de Ballmin monta des ténèbres) La réception était nette, mais c’est là l’une des dernières photos prises par le troisième satellite. Huit minutes après son lancement, il a cessé de répondre aux signaux. Nous supposons que la photo a été faite à l’aide d’objectifs déjà endommagés par une température de plus en plus élevée.