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L’OPALE DE SISSI

Le boiteux de Varsovie tome 3

Première série

Juliette Benzoni

Résumé :

Attristé par la découverte de l’identité réelle de son ancienne secrétaire et aussi par sa perte, le prince Morosini reprend un peu goût à la vie lorsqu’il doit se mettre en chasse de la troisième pierre, l’Opale de Sissi. La recherche l’emmène du coté de l’Autriche où il va retrouver son ami Vidal-Pellicorne mais aussi quelques autres connaissances, certaines avec plaisir, d’autres moins.

Ce troisième tome est toujours aussi intéressant, l’action est soutenue, les personnages évoluent, et l’ennemi se dévoile un peu plus…

Première partie LE MASQUE DE DENTELLES Automne 1923 CHAPITRE 1 TROIS JOURS À VIENNE

Abrité sous le vaste parapluie d’un chasseur de l’hôtel Sacher, Aldo Morosini, prince vénitien et antiquaire, traversa Augustinerstrasse en courant mais en évitant de plonger ses escarpins vernis dans les flaques d’eau, pour gagner l’entrée des artistes de l’Opéra. Il utilisait ainsi un ancien privilège des clients du célèbre hôtel en cas de mauvais temps. Et Dieu sait s’il était mauvais, le temps ! Depuis qu’il était arrivé à Vienne, le prince-antiquaire subissait une pluie incessante, obstinée, régulière, dépourvue de violence mais dont le débit têtu détrempait la capitale autrichienne. En dépit de la lettre un peu mystérieuse qui l’y attirait, Aldo n’était pas loin dé regretter sa chère Venise où, cependant, et pour la première fois de sa vie, il connaissait l’ennui depuis plusieurs mois.

Non qu’il eût cessé de se passionner pour les objets rares et précieux – en particulier pour les pierres parfaites et les joyaux historiques ! – mais, depuis son retour d’Angleterre, il avait un mal fou à retrouver l’ardente curiosité qui était la sienne avant que Simon Aronov n’apparût dans son existence, un soir de l’année précédente dans les profondeurs souterraines du ghetto de Varsovie. Difficile de rencontrer personnage plus énigmatique, plus attachant aussi que le Boiteux ! Et plus difficile encore de rêver sur une soupière en porcelaine, même exécutée à Sèvres pour la Grande Catherine, ou sur une paire de chenets vénitiens sortis du palais Rezzonico et ayant eu le privilège de réchauffer les pantoufles de Richard Wagner, après les péripéties, les émotions, les périls vécus en compagnie de son ami Adalbert Vidal-Pellicorne durant la quête de ce Graal d’un nouveau genre : les gemmes volées dans la nuit des temps au pectoral du Grand Prêtre de Jérusalem.

Passé à l’état de légende dans la mémoire des Juifs et de quelques historiens, lui Morosini l’avait tenu entre ses mains, cet ornement sacré surgi du fond des âges avec son terrifiant cortège de folie, de misère et de crimes. Un moment inoubliable ! La grande plaque d’or carrée qu’Aronov cachait dans sa chapelle aveugle portait les traces émouvantes de sa traversée des siècles depuis le sac du Temple par les légions de Titus. Plus saisissantes encore, les blessures laissées par les mains rapaces des voleurs dans les quatre rangées de trois pierres. Sur les douze cabochons représentant les douze tribus d’Israël n’en demeuraient que huit : les moins précieuses comme par hasard ! S’étaient envolés le saphir de Zébulon, le diamant de Benjamin, l’opale de Dan et le rubis de Juda. Or la tradition voulait qu’Israël ne retrouve patrie et souveraineté que lorsque le pectoral, au grand complet, ferait retour au pays...

Guidés par les indications du Boiteux et servis aussi par la chance, les deux amis réussirent en neuf mois à récupérer deux des pierres fugitives : le saphir, trésor durant trois siècles des ducs de Mont-laure, aïeux maternels du prince Morosini, et le diamant connu sous le nom de la Rose d’York, héritage de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et revendiqué par la Couronne anglaise.

Non sans peine d’ailleurs ! Comme il arrive à tout objet sacré profané par la cupidité, les deux joyaux s’étaient révélés aussi maléfiques l’un que l’autre. La princesse Isabelle, mère d’Aldo, avait payé de sa vie le saphir, l’Étoile bleue. Même sort pour son dernier propriétaire, sir Eric Ferrals, richissime marchand de canons, assassiné – officiellement tout au moins ! – par l’ancien amant de sa femme. Quant au diamant, le nombre des cadavres semés sur son passage ne se comptait plus. Mais quelles aventures passionnantes vécues par les deux hommes lancés sur leurs traces ! Et c’était cela que Morosini regrettait si cruellement depuis le début de cette année 1923 dont le dernier quart était entamé.

Après les fêtes de fin d’année passées chez lui à Venise « en famille », Aldo s’était retrouvé presque seul aux abords de la Chandeleur. Sa famille, c’est-à-dire sa grand-tante, la chère marquise de Sommières, et Marie-Angéline du Plan-Crépin, cousine et lectrice de la première, ainsi qu’Adalbert Vidal-Pellicorne, archéologue de son état, élevé au rang d’ami fraternel, s’était dissoute. Une espèce de sauve-qui-peut qui l’avait laissé en compagnie de son ancien précepteur Guy Buteau, devenu son fondé de pouvoir, et de ses fidèles serviteurs, Zaccaria et Cecina Pierlunghi qui l’avaient vu naître. Et cela juste au moment où renaissait l’espoir de plonger de nouveau dans les grandes aventures !

Cet espoir était apparu, le 31 janvier, sous la forme d’une lettre en provenance de la banque suisse qui servait de liaison entre le Boiteux et ses envoyés. Hélas, si elle contenait bien une importante lettre de change et un billet écrit par Simon, le texte s’en révéla des plus décevants : non seulement Aronov ne donnait pas d’autre rendez-vous à Morosini mais, après l’avoir brièvement félicité de son « dernier envoi », il lui conseillait de « prendre quelque repos et de ne rien tenter jusqu’à nouvel ordre afin de laisser le jeu se calmer un peu ».

Dès le lendemain, le palais Morosini se vidait de ses hôtes. Le premier à partir fut Adalbert, assez satisfait au fond de l’entracte annoncé et qui décidait aussitôt de s’embarquer pour l’Egypte : il y avait des mois que la fantastique découverte du tombeau du jeune pharaon Toutankhamon et de ses trésors l’empêchait de dormir. Il voulait aller voir ça de ses propres yeux :

– Cela me permettra, expliqua-t-il, de passer quelques jours auprès de mon cher professeur Loret, le conservateur du musée du Caire, que je n’ai pas vu depuis deux ans et qui doit se morfondre de jalousie devant les découvertes de ces sacrés Anglais. Je tâcherai de te donner des nouvelles !

Et il s’était embarqué sur le premier bateau pour

Alexandrie, suivi de près par Mme de Sommières et Marie-Angéline. Au grand désespoir de celle-ci ! Durant tout le mois de janvier, Plan-Crépin s’était efforcée de remplacer l’incomparable Mina en tant que secrétaire d’Aldo et, s’en tirant plutôt bien, elle avait pris goût aux antiquités et ne demandait qu’à rester. Malheureusement, si la vieille dame aimait beaucoup Aldo, elle se trouvait aussi fort éprouvée par l’hiver vénitien, très humide et froid, cette année. Elle souffrait en particulier de rhumatismes qu’elle s’efforçait de cacher pour ne pas troubler le travail de la maison mais, quand le notaire Massaria prévint Morosini que le jeune homme qu’il lui avait proposé comme secrétaire venait de rentrer et se tenait à sa disposition, la marquise ordonna aussitôt que l’on prépare ses bagages, afin de gagner un climat plus sec. Marie-Angéline protesta :

– Si c’est à Paris que nous espérons trouver le temps idéal, nous commettons une grosse erreur, déclara-t-elle en employant ce pluriel de majesté dont elle usait toujours envers Mme de Sommières.