Выбрать главу

« Et par là nous sommes amenés à ceci, conclusion irréfutable, c’est que lui, Lupin, avec ses seules lumières, sans connaître d’autres faits que ceux que nous connaissons, est parvenu, par le sortilège d’un génie vraiment extraordinaire, à déchiffrer l’indéchiffrable document ; c’est que Lupin, dernier héritier des rois de France, connaît le mystère royal de l’Aiguille creuse. »

Là se terminait l’article. Mais depuis quelques minutes, depuis le passage concernant le château de l’Aiguille, ce n’était plus Beautrelet qui en faisait la lecture. Comprenant sa défaite, écrasé sous le poids de l’humiliation subie, il avait lâché le journal et s’était effondré sur sa chaise, le visage enfoui dans ses mains.

Haletante et secouée d’émotion par cette incroyable histoire, la foule s’était rapprochée peu à peu et maintenant se pressait autour de lui. On attendait avec une angoisse frémissante les mots qu’il allait répondre, les objections qu’il allait soulever.

Il ne bougea pas.

D’un geste doux, Valméras lui décroisa les mains et releva sa tête.

Isidore Beautrelet pleurait.

Il est quatre heures du matin. Isidore n’est pas rentré au lycée. Il n’y rentrera pas avant la fin de la guerre sans merci qu’il a déclarée à Lupin. Cela, il se l’est juré tout bas, pendant que ses amis l’emportaient en voiture, tout défaillant et meurtri. Serment insensé ! Guerre absurde et illogique ! Que peut-il faire, lui, enfant isolé et sans armes, contre ce phénomène d’énergie et de puissance ? Par où l’attaquer ? Il est inattaquable. Où le blesser ? Il est invulnérable. Où l’atteindre ? Il est inaccessible.

Quatre heures du matin... Isidore a de nouveau accepté l’hospitalité de son camarade de Janson. Debout devant la cheminée de sa chambre, les coudes plantés droit sur le marbre, les deux poings au menton, il regarde son image que lui renvoie la glace.

Il ne pleure plus, il ne veut plus pleurer, ni se tordre sur son lit, ni se désespérer, comme il le fait depuis deux heures. Il veut réfléchir, réfléchir et comprendre.

Et ses yeux ne quittent pas ses yeux dans le miroir, comme s’il espérait doubler la force de sa pensée en contemplant son image pensive, et trouver au fond de cet être-là l’insoluble solution qu’il ne trouve pas en lui. Jusqu’à six heures il reste ainsi. Et c’est peu à peu que, dégagée de tous les détails qui la compliquent et l’obscurcissent, la question s’offre à son esprit toute sèche, toute nue, avec la rigueur d’une équation.

Oui, il s’est trompé. Oui, son interprétation du document est fausse. Le mot « aiguille » ne vise point le château des bords de la Creuse. Et, de même, le mot « demoiselles » ne peut pas s’appliquer à Raymonde de Saint-Véran et à sa cousine, puisque le texte du document remonte à des siècles.

Donc tout est à refaire. Comment ?

Une seule base de documentation serait solide : le livre publié sous Louis XIV. Or, des cent exemplaires imprimés par celui qui devait être le Masque de fer, deux seulement échappèrent aux flammes. L’un fut dérobé par le capitaine des gardes et perdu. L’autre fut conservé par Louis XIV, transmis à Louis XV, et brûlé par Louis XVI. Mais il reste une copie de la page essentielle, celle qui contient la solution du problème, ou du moins la solution cryptographique, celle qui fut portée à Marie-Antoinette et glissée par elle sous la couverture de son livre d’heures.

Qu’est devenu ce papier ? Est-ce celui que Beautrelet a tenu dans ses mains et que Lupin lui a fait reprendre par le greffier Brédoux ? Ou bien se trouve-t-il encore dans le livre d’heures de Marie-Antoinette ?

Et la question revient à celle-ci : « Qu’est devenu le livre d’heures de la reine ? »

Après avoir pris quelques instants de repos, Beautrelet interrogea le père de son ami, collectionneur émérite, appelé souvent comme expert à titre officieux, et que, récemment encore, le directeur d’un de nos musées consultait pour l’établissement de son catalogue.

– Le livre d’heures de Marie-Antoinette ? s’écria-t-il, mais il fut légué par la reine à sa femme de chambre, avec mission secrète de le faire tenir au comte de Fersen. Pieusement conservé dans la famille du comte, il se trouve depuis cinq ans dans une vitrine.

– Dans une vitrine ?

– Du musée Carnavalet, tout simplement.

– Et ce musée sera ouvert ?...

– D’ici vingt minutes.

À la minute précise où s’ouvrait la porte du vieil hôtel de Mme de Sévigné, Isidore sautait de voiture avec son ami.

– Tiens, monsieur Beautrelet !

Dix voix saluèrent son arrivée. À son grand étonnement, il reconnut toute la troupe des reporters qui suivaient « l’Affaire de l’Aiguille creuse ». Et l’un d’eux s’écria :

– C’est drôle, hein ! nous avons tous eu la même idée. Attention, Arsène Lupin est peut-être parmi nous.

Ils entrèrent ensemble. Le directeur, aussitôt prévenu, se mit à leur entière disposition, les mena devant la vitrine, et leur montra un pauvre volume, sans le moindre ornement, et qui n’avait certes rien de royal. Un peu d’émotion tout de même les envahit à l’aspect de ce livre que la reine avait touché en des jours si tragiques, que ses yeux rougis de larmes avaient regardé... Et ils n’osaient le prendre et le fouiller, comme s’ils avaient eu l’impression d’un sacrilège...

– Voyons, monsieur Beautrelet, c’est une tâche qui vous incombe.

Il prit le livre d’un geste anxieux. La description correspondait bien à celle que l’auteur de la brochure en avait donnée. D’abord une couverture de parchemin, parchemin sali, noirci, usé par places, et, au-dessous, la vraie reliure, en cuir rigide.

Avec quel frisson Beautrelet s’enquit de la poche dissimulée ! Était-ce une fable ? Ou bien retrouverait-il encore le document écrit par Louis XVI, et légué par la reine à son ami fervent ?

À la première page, sur la partie supérieure du livre, pas de cachette.

– Rien, murmura-t-il.

– Rien, redirent-ils en écho, palpitants.

Mais à la dernière page, ayant un peu forcé l’ouverture du livre, il vit tout de suite que le parchemin se décollait de la reliure. Il glissa les doigts... Quelque chose, oui, il sentit quelque chose... un papier...

– Oh ! fit-il victorieusement, voilà... est-ce possible !

– Vite ! Vite ! lui cria-t-on. Qu’attendez-vous ?

Il tira une feuille, pliée en deux.

– Eh bien, lisez !... Il y a des mots à l’encre rouge... tenez... on dirait du sang... du sang tout pâle... lisez donc !

Il lut :

« À vous, Fersen. Pour mon fils, 16 octobre 1793... Marie-Antoinette. »

Et soudain, Beautrelet poussa une exclamation de stupeur. Sous la signature de la reine, il y avait... il y avait, à l’encre noire, deux mots soulignés d’un paraphe... deux mots : « Arsène Lupin ».

Tous, chacun à son tour, ils saisirent la feuille, et le même cri s’échappait aussitôt :

– Marie-Antoinette... Arsène Lupin.

Un silence les réunit. Cette double signature, ces deux noms accouplés, découverts au fond du livre d’heures, cette relique où dormait, depuis plus d’un siècle, l’appel désespéré de la pauvre reine, cette date horrible, 16 octobre 1793, jour où tomba la tête royale, tout cela était d’un tragique morne et déconcertant.

– Arsène Lupin, balbutia l’une des voix, soulignant ainsi ce qu’il y avait d’effarant à voir ce nom diabolique au bas de la feuille sacrée.

– Oui, Arsène Lupin, répéta Beautrelet. L’ami de la reine n’a pas su comprendre l’appel désespéré de la mourante. Il a vécu avec le souvenir que lui avait envoyé celle qu’il aimait, et il n’a pas deviné la raison de ce souvenir. Lupin a tout découvert, lui... et il a pris.

– Il a pris quoi ?

– Le document parbleu ! le document écrit par Louis XVI, et c’est cela que j’ai tenu entre mes mains. Même apparence, même configuration, mêmes cachets rouges. Je comprends pourquoi Lupin n’a pas voulu me laisser un document dont je pouvais tirer parti par le seul examen du papier, des cachets, etc.