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– Et alors ?

– Et alors, puisque le document dont je connais le texte est authentique, puisque j’ai vu la trace des cachets rouges, puisque Marie-Antoinette elle-même certifie, par ce mot de sa main, que tout le récit de la brochure reproduite par M. Massiban est authentique, puisqu’il existe vraiment un problème historique de l’Aiguille creuse, je suis sûr de réussir.

– Comment ? Authentique ou non, le document, si vous ne parvenez pas à le déchiffrer, ne sert à rien puisque Louis XVI a détruit le livre qui en donnait l’explication.

– Oui, mais l’autre exemplaire, arraché aux flammes par le capitaine des gardes du roi Louis XIV, n’a pas été détruit.

– Qu’en savez-vous ?

– Prouvez le contraire.

Beautrelet se tut, puis lentement, les yeux clos, comme s’il cherchait à préciser et à résumer sa pensée, il prononça :

– Possesseur du secret, le capitaine des gardes commence par en livrer des parcelles dans le journal que retrouve son arrière-petit-fils. Puis le silence. Le mot de l’énigme, il ne le donne pas. Pourquoi ? Parce que la tentation d’user du secret s’infiltre peu à peu en lui, et qu’il y succombe. La preuve ? Son assassinat. La preuve ? Le magnifique joyau découvert sur lui et que, indubitablement, il avait tiré de tel trésor royal dont la cachette, inconnue de tous, constitue précisément le mystère de l’Aiguille creuse. Lupin me l’a laissé entendre : Lupin ne mentait pas.

– De sorte, Beautrelet, que vous concluez ?

— Je conclus qu’il faut faire autour de cette histoire le plus de publicité possible, et qu’on sache par tous les journaux que nous recherchons un livre intitulé le Traité de l’Aiguille. Peut-être le dénichera-t-on au fond de quelque bibliothèque de province.

Tout de suite la note fut rédigée, et tout de suite, sans même attendre qu’elle pût produire un résultat, Beautrelet se mit à l’œuvre.

Un commencement de piste se présentait : l’assassinat avait eu lieu aux environs de Gaillon. Le jour même il se rendit dans cette ville. Certes, il n’espérait point reconstituer un crime perpétré deux cents ans auparavant. Mais, tout de même, il est certains forfaits qui laissent des traces dans les souvenirs, dans les traditions des pays.

Les chroniques locales les recueillent. Un jour, tel érudit de province, tel amateur de vieilles légendes, tel évocateur des petits incidents de la vie passée, en fait l’objet d’un article de journal ou d’une communication à l’Académie de son chef-lieu.

Il en vit trois ou quatre de ces érudits. Avec l’un d’eux, surtout, un vieux notaire, il fureta, il compulsa les registres de la prison, les registres des anciens bailliages et des paroisses. Aucune notice ne faisait allusion à l’assassinat d’un capitaine des gardes, au XVIIe siècle.

Il ne se découragea pas et continua ses recherches à Paris où peut-être avait eu lieu l’instruction de l’affaire. Ses efforts n’aboutirent pas.

Mais l’idée d’une autre piste le lança dans une direction nouvelle. Était-il impossible de connaître le nom de ce capitaine des gardes dont le petit-fils émigra, et dont l’arrière-petit-fils servit les armées de la République, en fut détaché au Temple pendant la détention de la famille royale, servit Napoléon, et fit la campagne de France ?

À force de patience, il finit par établir une liste où deux noms tout au moins offraient une similitude presque complète M. de Larbeyrie, sous Louis XIV, le citoyen Larbrie, sous la Terreur.

C’était déjà un point important. Il le précisa par un entrefilet qu’il communiqua aux journaux, demandant si on pouvait lui fournir des renseignements sur ce Larbeyrie ou sur ses descendants.

Ce fut M. Massiban, le Massiban de la brochure, le membre de l’Institut, qui lui répondit.

« Monsieur,

« Je vous signale un passage de Voltaire, que j’ai relevé dans son manuscrit du Siècle de Louis XIV (chapitre XXV : Particularités et anecdotes du règne). Ce passage a été supprimé dans les diverses éditions.

« J’ai entendu conter à feu M. de Caumartin, intendant des Finances et ami du ministre Chamillard, que le roi partit un jour précipitamment dans son carrosse à la nouvelle que M. de Larbeyrie avait été assassiné et dépouillé de magnifiques bijoux. Il semblait dans une émotion très grande et répétait : « Tout est perdu... tout est perdu... » L’année suivante, le fils de ce Larbeyrie et sa fille, qui avait épousé le marquis de Vélines, furent exilés dans leurs terres de Provence et de Bretagne. Il ne faut pas douter qu’il y ait là quelque particularité. »

« Il faut en douter d’autant moins, ajouterai-je, que M. Chamillard, d’après Voltaire, fut le dernier ministre qui eut l’étrange secret du Masque de fer.

« Vous voyez, monsieur, le profit que l’on peut tirer de ce passage, et le lien évident qui s’établit entre les deux aventures. Je n’ose, quant à moi, imaginer des hypothèses trop précises sur la conduite, sur les soupçons, sur les appréhensions de Louis XIV en ces circonstances, mais n’est-il pas permis, d’autre part, puisque M. de Larbeyrie a laissé un fils qui fut probablement le grand-père du citoyen-officier Larbrie, et une fille, n’est-il pas permis de supposer qu’une partie des papiers laissés par Larbeyrie ait échu à la fille, et que, parmi ces papiers, se trouvait le fameux exemplaire que le capitaine des gardes sauva des flammes ?

« J’ai consulté l’Annuaire des Châteaux. Il y a aux environs de Rennes un baron de Vélines. Serait-ce un descendant du marquis ? À tout hasard, hier, j’ai écrit à ce baron pour lui demander s’il n’avait pas en sa possession un vieux petit livre, dont le titre mentionnerait ce mot de l’Aiguille. J’attends sa réponse.

« J’aurais la plus grande satisfaction à parler de toutes ces choses avec vous. Si cela ne vous dérange pas trop, venez me voir. Agréez, monsieur, etc.

« P.S. – Bien entendu, je ne communique pas aux journaux ces petites découvertes. Maintenant que vous approchez du but, la discrétion est de rigueur. »

C’était absolument l’avis de Beautrelet. Il alla même plus loin : deux journalistes le harcelant ce matin-là, il leur donna les informations les plus fantaisistes sur son état d’esprit et sur ses projets.

L’après-midi il courut en hâte chez Massiban, qui habitait au numéro 17 du quai Voltaire. À sa grande surprise, il apprit que Massiban venait de partir à l’improviste, lui laissant un mot au cas où il se présenterait. Isidore décacheta et lut :

« Je reçois une dépêche qui me donne quelque espérance. Je pars donc et coucherai à Rennes. Vous pourriez prendre le train du soir et, sans vous arrêter à Rennes, continuer jusqu’à la petite station de Vélines. Nous nous retrouverions au château, situé à quatre kilomètres de cette station. »

Le programme plut à Beautrelet et surtout l’idée qu’il arriverait au château en même temps que Massiban, car il redoutait quelque gaffe de la part de cet homme inexpérimenté. Il rentra chez son ami et passa le reste de la journée avec lui. Le soir il prenait l’express de Bretagne. À six heures il débarquait à Vélines. Il fit à pied, entre des bois touffus, les quatre kilomètres de route. De loin, il aperçut sur une hauteur un long manoir, construction assez hybride, mêlée de Renaissance et de Louis-Philippe, mais ayant grand air tout de même avec ses quatre tourelles et son pont-levis emmailloté de lierre.

Isidore sentait son cœur battre en approchant. Touchait-il réellement au terme de sa course ? Le château contenait-il la clef du mystère ?

Il n’était pas sans crainte. Tout cela lui semblait trop beau, et il se demandait si, cette fois encore, il n’obéissait pas à un plan infernal, combiné par Lupin, si Massiban n’était pas, par exemple, un instrument entre les mains de son ennemi.

Il éclata de rire.

« Allons, je deviens comique. On croirait vraiment que Lupin est un monsieur infaillible qui prévoit tout, une sorte de Dieu tout-puissant, contre lequel il n’y a rien à faire. Que diable ! Lupin se trompe, Lupin, lui aussi, est à la merci des circonstances, Lupin fait des fautes, et c’est justement grâce à la faute qu’il a faite en perdant le document, que je commence à prendre barre sur lui. Tout découle de là. Et ses efforts, en somme, ne servent qu’à réparer la faute commise. » Et joyeusement, plein de confiance, Beautrelet sonna.