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– Nous pourrions interroger ma fille.

– Oui... oui... c’est cela... peut-être saura-t-elle...

M. de Vélines sonna son valet de chambre. Quelques minutes après, Mme de Villemon entrait. C’était une femme jeune, à la physionomie douloureuse et résignée. Tout de suite, Beautrelet lui demanda :

– Vous avez trouvé ce livre en haut, Madame, dans la bibliothèque ?

– Oui, dans un paquet de volumes, qui n’était pas déficelé.

– Et vous l’avez lu ?

– Oui, hier soir.

– Quand vous l’avez lu, les deux pages qui sont là manquaient-elles ? Rappelez-vous bien, les deux pages qui suivent ce tableau de chiffres et de points ?

– Mais non, mais non, dit-elle très étonnée, il ne manquait aucune page.

– Cependant, on a déchiré...

– Mais le livre n’a pas quitté ma chambre cette nuit.

– Ce matin ?

– Ce matin, je l’ai descendu moi-même ici quand on a annoncé l’arrivée de M. Massiban.

– Alors ?

– Alors, je ne comprends pas... à moins que... mais non...

– Quoi ?

– Georges... mon fils... ce matin... Georges a joué avec ce livre.

Elle sortit précipitamment, accompagnée de Beautrelet, de Massiban et du baron. L’enfant n’était pas dans sa chambre. On le chercha de tous côtés. Enfin, on le trouva qui jouait derrière le château. Mais ces trois personnes semblaient si agitées, et on lui demandait des comptes avec tant d’autorité, qu’il se mit à pousser des hurlements. Tout le monde courait a droite, a gauche. On questionnait les domestiques. C’était un tumulte indescriptible. Et Beautrelet avait l’impression effroyable que la vérité se retirait de lui comme de l’eau qui filtre à travers les doigts. Il fit un effort pour se ressaisir, prit le bras de Mme de Villemon, et, suivi du baron et de Massiban, il la ramena dans le salon et lui dit :

– Le livre est incomplet, soit, deux pages sont arrachées... mais vous les avez lues, n’est-ce pas, Madame ?

– Oui.

– Vous savez ce qu’elles contenaient ?

– Oui.

– Vous pourriez nous le répéter ?

– Parfaitement. J’ai lu tout le livre avec beaucoup de curiosité, mais ces deux pages surtout m’ont frappée, étant donné l’intérêt des révélations, un intérêt considérable.

– Eh bien, parlez, Madame, parlez, je vous en supplie. Ces révélations sont d’une importance exceptionnelle. Parlez, je vous en prie, les minutes perdues ne se retrouvent pas. L’Aiguille creuse...

– Oh ! c’est bien simple, l’Aiguille creuse veut dire...

À ce moment un domestique entra.

– Une lettre pour Madame...

– Tiens... mais le facteur est passé.

– C’est un gamin qui me l’a remise.

Mme de Villemon décacheta, lut, et porta la main à son cœur, toute prête à tomber, soudain livide et terrifiée.

Le papier avait glissé à terre. Beautrelet le ramassa et, sans même s’excuser, il lut à son tour :

« Taisez-vous... sinon votre fils ne se réveillera pas... »

– Mon fils... mon fils... bégayait-elle, si faible qu’elle ne pouvait même pas aller au secours de celui qu’on menaçait.

Beautrelet la rassura. :

– Ce n’est pas sérieux... il y a là une plaisanterie... voyons, qui aurait intérêt ?

– À moins, insinua Massiban, que ce soit Arsène Lupin.

Beautrelet lui fit signe de se taire. Il le savait bien, parbleu, que l’ennemi était là, de nouveau, attentif et résolu à tout, et c’est pourquoi justement il voulait arracher à Mme de Villemon les mots suprêmes, si longtemps attendus, et les arracher sur-le-champ, à la minute même.

– Je vous en supplie, Madame, remettez-vous... Nous sommes tous là... Il n’y a aucun péril...

Allait-elle parler ? Il le crut, il l’espéra. Elle balbutia quelques syllabes. Mais la porte s’ouvrit encore. La bonne, cette fois, entra. Elle semblait bouleversée.

– M. Georges... Madame... M. Georges.

D’un coup, la mère retrouva toutes ses forces. Plus vite que tous, et poussée par un instinct qui ne trompait pas, elle dégringola les marches de l’escalier, traversa le vestibule et courut vers la terrasse. Là, sur un fauteuil, le petit Georges était étendu, immobile.

– Eh bien quoi ! il dort !...

– Il s’est endormi subitement, Madame, dit la bonne. J’ai voulu l’en empêcher, le porter dans sa chambre. Il dormait déjà, et ses mains... ses mains étaient froides.

– Froides ! balbutia la mère... oui, c’est vrai... ah ! mon Dieu, mon Dieu... pourvu qu’il se réveille !

Beautrelet glissa ses doigts dans une de ses poches, saisit la crosse de son revolver, de l’index agrippa la gâchette sortit brusquement l’arme, et fit feu sur Massiban.

D’avance, pour ainsi dire, comme s’il épiait les gestes du jeune homme, Massiban avait esquivé le coup. Mais déjà Beautrelet s’était élancé sur lui en criant aux domestiques :

– À moi ! c’est Lupin !...

Sous la violence du choc, Massiban fut renversé sur un des fauteuils d’osier.

Au bout de sept ou huit secondes, il se releva, laissant Beautrelet étourdi, suffoquant et tenant dans ses mains le revolver du jeune homme.

– Bien... parfait... ne bouge pas... t’en as pour deux ou trois minutes... pas davantage... Mais vrai, t’as mis le temps à me reconnaître. Faut-il que je lui aie bien pris sa tête, au Massiban ?...

Il se redressa, et d’aplomb maintenant sur ses jambes, le torse solide, l’attitude redoutable, il ricana en regardant les trois domestiques pétrifiés et le baron ahuri.

– Isidore, t’as fait une boulette. Si tu ne leur avais pas dit que j’étais Lupin, ils me sautaient dessus. Et des gaillards comme ceux-là, bigre, que serais-je devenu, mon Dieu ! Un contre quatre !

Il s’approcha d’eux :

– Allons, mes enfants, n’ayez pas peur... je ne vous ferai pas de bobo... tenez, voulez-vous un bout de sucre d’orge ? Ça vous remontera. Ah ! toi, par exemple, tu vas me rendre mon billet de cent francs. Oui, oui, je te reconnais. C’est toi que j’ai payé tout à l’heure pour porter la lettre à ta maîtresse... Allons, vite, mauvais serviteur...

Il prit le billet bleu que lui tendit le domestique et le déchira en petits morceaux.

– L’argent de la trahison... ça me brûle les doigts.

Il enleva son chapeau et s’inclinant très bas devant Mme de Villemon :

– Me pardonnez-vous, Madame ? Les hasards de la vie – de la mienne surtout – obligent souvent à des cruautés dont je suis le premier à rougir. Mais soyez sans crainte pour votre fils, c’est une simple piqûre, une petite piqûre au bras que je lui ai faite, pendant qu’on l’interrogeait. Dans une heure, tout au plus, il n’y paraîtra pas... Encore une fois, toutes mes excuses. Mais j’ai besoin de votre silence.

Il salua de nouveau, remercia M. de Vélines de son aimable hospitalité, prit sa canne, alluma une cigarette, en offrit une au baron, donna un coup de chapeau circulaire, cria d’un petit ton protecteur à Beautrelet : « Adieu, Bébé ! » et s’en alla tranquillement en lançant des bouffées de cigarette dans le nez des domestiques...

Beautrelet attendit quelques minutes. Mme de Villemon, plus calme, veillait son fils. Il s’avança vers elle dans le but de lui adresser un dernier appel. Leurs yeux se croisèrent. Il ne dit rien. Il avait compris que jamais, maintenant, quoi qu’il arrivât, elle ne parlerait. Là encore, dans ce cerveau de mère, le secret de l’Aiguille creuse était enseveli aussi profondément que dans les ténèbres du passé.

Alors il renonça et partit.

Il était dix heures et demie. Il y avait un train à onze heures cinquante. Lentement il suivit l’allée du parc et s’engagea sur le chemin qui le menait à la gare.

– Eh bien, qu’en dis-tu, de celle-là ?

C’était Massiban, ou plutôt Lupin, qui surgissait du bois contigu à la route.

– Est-ce bien combiné ? Est-ce que ton vieux camarade sait danser sur la corde raide ? Je suis sûr que t’en reviens pas, hein ? et que tu te demandes si le nommé Massiban, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, a jamais existé ? Mais oui, il existe. On te le fera voir même, si t’es sage. Mais d’abord, que je te rende ton revolver... Tu regardes s’il est chargé ? Parfaitement, mon petit. Cinq balles qui restent, dont une seule suffirait à m’envoyer ad patres... Eh bien, tu le mets dans ta poche ?... À la bonne heure... J’aime mieux ça que ce que tu as fait là-bas... Vilain ton petit geste ! Mais, quoi, on est jeune, on s’aperçoit tout à coup, – un éclair ! – qu’on a été roulé une fois de plus par ce sacré Lupin, et qu’il est là devant vous à trois pas... pfffft, on tire... Je ne t’en veux pas, va... La preuve c’est que je t’invite à prendre place dans ma cent chevaux. Ça colle ?