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L'édition française de ce livre est dédiée à Brigitte Greggory

A J.

Alchimiste qui connaît et utilise les secrets du Grand Œuvre

Titre original :

O ALQUIMISTA

Copyright © 1988 by Paulo Coelho Pour la traduction française :

© Éditions Anne Carrière, 1994

Comme ils étaient en chemin,

ils entrèrent en un certain bourg.

Et une femme nommée Marthe le

reçut dans sa maison.

Cette femme avait une sœur,

nommée Marie, qui s'assit aux

pieds du Seigneur et qui écouta

ses enseignements.

Marthe allait de tous côtés,

occupée à divers travaux. Alors

elle s'approcha de Jésus et dit :

— Seigneur! Ne considères-tu

point que ma sœur me laisse ser-

vir toute seule? Dis-lui donc

qu'elle vienne m'aider.

Et le Seigneur lui répondit :

— Marthe ! Marthe ! Tu te mets

en peine et tu t'embarrasses de

plusieurs choses. Marie, quant à

elle, a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée.

Luc, X, 38-42

PROLOGUE

L'Alchimiste prit en main un livre qu'avait apporté quelqu'un de la caravane.

Le volume n'avait pas de couverture, mais il put cependant identifier l'auteur : Oscar Wilde. En feuilletant les pages, il tomba sur une histoire qui parlait de Narcisse.

L'Alchimiste connaissait la légende de Narcisse, ce beau jeune homme qui allait tous les jours contempler sa propre beauté

dans l'eau d'un lac. Il était si fasciné par son image qu'un jour il tomba dans le lac et s'y noya. A l'endroit où il était tombé, naquit une fleur qui fut appelée narcisse.

Mais ce n'était pas de cette manière qu'Oscar Wilde terminait l'histoire.

Il disait qu'à la mort de Narcisse les Oréades, divinités des bois, étaient venues au bord de ce lac d'eau douce et l'avaient trouvé transformé en urne de larmes amères.

«Pourquoi pleures-tu? demandèrent les Oréades.

— Je pleure pour Narcisse, répondit le lac.

— Voilà qui ne nous étonne guère, dirent-elles alors. Nous avions beau être toutes constamment à sa poursuite dans les bois, tu étais le seul à pouvoir contempler de près sa beauté.

— Narcisse était donc beau ? demanda le lac.

PREMIERE PARTIE

— Qui, mieux que toi, pouvait le savoir ?

répliquèrent les Oréades, surprises. C'était bien sur tes rives, tout de même, qu'il se penchait chaque jour ! »

Il se nommait Santiago. Le jour décli-Le lac resta un moment sans rien dire.

nait lorsqu'il arriva, avec son troupeau, Puis:

devant une vieille église abandonnée. Le

«Je pleure pour Narcisse, mais je ne toit s'était écroulé depuis bien longtemps, m'étais jamais aperçu que Narcisse était et un énorme sycomore avait grandi à

beau. Je pleure pour Narcisse parce que, l'emplacement où se trouvait autrefois la chaque fois qu'il se penchait sur mes rives, sacristie.

je pouvais voir, au fond de ses yeux, le Il décida de passer la nuit dans cet reflet de ma propre beauté. »

endroit. Il fit entrer toutes ses brebis par la porte en ruine et disposa quelques plan-

«Voilà une bien belle histoire», dit l'Al-ches de façon à les empêcher de s'échap-chimiste.

per au cours de la nuit. Il n'y avait pas de loups dans la région mais, une fois, une bête s'était enfuie, et il avait dû perdre toute la journée du lendemain à chercher la brebis égarée.

Il étendit sa cape sur le sol et s'allongea, en se servant comme oreiller du livre qu'il venait de terminer. Avant de s'endormir, il pensa qu'il devrait maintenant lire des ouvrages plus volumineux : il mettrait ainsi plus de temps à les finir, et ce seraient des oreillers plus confortables pour la nuit.

Il faisait encore sombre quand il s'éveilla.

Il regarda au-dessus de lui et vit scintiller 11

les étoiles au travers du toit à moitié effon-Depuis l'avant-veille, pourtant, il n'avait dré.

pratiquement pas eu d'autre sujet de

«J'aurais bien aimé dormir un peu plus conversation que cette jeune fille qui habi-longtemps », pensa-t-il. Il avait fait le même tait la ville où il allait arriver quatre jours rêve que la semaine précédente et, de nou-plus tard. C'était la fille d'un commerçant.

veau, s'était réveillé avant la fin.

Il n'était venu là qu'une fois, l'année pré-Il se leva et but une gorgée de vin. Puis il cédente. Le commerçant possédait un se saisit de sa houlette et se mit à réveiller magasin de tissus, et il aimait voir tondre les brebis qui dormaient encore. Il avait les brebis sous ses yeux, pour éviter toute remarqué que la plupart des bêtes sor-tromperie sur la marchandise. Un ami lui taient du sommeil sitôt que lui-même re-avait indiqué le magasin, et le berger y prenait conscience. Comme si quelque avait amené son troupeau.

mystérieuse énergie eût uni sa vie à celle des moutons qui, depuis deux ans, parcou-raient le pays avec lui, en quête de nourriture et d'eau. « Ils se sont si bien habitués à

moi qu'ils connaissent mes horaires», se dit-il à voix basse. Puis, après un instant de réflexion, il pensa que ce pouvait aussi bien être l'inverse: c'était lui qui s'était habitué aux horaires des animaux.

Il avait cependant des brebis qui tar-daient un peu plus à se relever. Il les réveilla une à une, avec son bâton, en appelant chacune d'elles par son nom. Il avait toujours été persuadé que les brebis étaient capables de comprendre ce qu'il disait.

Aussi leur lisait-il parfois certains passages des livres qui l'avaient marqué, ou bien il leur parlait de la solitude ou de la joie de vivre d'un berger dans la campagne, com-mentait les dernières nouveautés qu'il avait vues dans les villes par où il avait l'habitude de passer.

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était passé. Il était heureux de n'être pas obligé de toujours converser avec ses brebis.

« Comment avez-vous appris à lire ? vint à

demander la jeune fille.

— Comme tout le monde, répondit-il. A l'école.

— Mais alors, si vous savez lire, pourquoi n'êtes-vous donc qu'un berger ? »

Le jeune homme se déroba, pour n'avoir

« J'ai besoin de vendre un peu de laine », pas à répondre à cette question. Il était dit-il au commerçant.

bien sûr que la jeune fille ne pourrait pas La boutique était pleine, et le commer-comprendre. Il continua à raconter ses çant demanda au berger d'attendre jus-histoires de voyage, et les petits yeux mau-qu'en début de soirée. Celui-ci alla donc resques s'ouvraient tout grands ou se s'asseoir sur le trottoir du magasin et tira refermaient sous l'effet de l'ébahissement un livre de sa besace.

et de la surprise. A mesure que le temps

«Je ne savais pas que les bergers pou-passait, le jeune homme se prit à souhaiter vaient lire des livres», dit une voix de que ce jour ne finît jamais, que le père de femme à côté de lui.

la jeune fille demeurât occupé longtemps C'était une jeune fille, qui avait le type encore et lui demandât d'attendre pendant même de la région d'Andalousie, avec ses trois jours. Il se rendit compte qu'il res-longs cheveux noirs, et des yeux qui rappe-sentait quelque chose qu'il n'avait encore laient vaguement les anciens conquérants jamais éprouvé jusqu'alors: l'envie de se maures.

fixer pour toujours dans une même ville.

«C'est que les brebis enseignent plus de Avec la jeune fille aux cheveux noirs, les choses que les livres», répondit le jeune jours ne seraient jamais semblables.

berger. Ils restèrent à bavarder, plus de Mais le commerçant arriva, finalement, deux heures durant. Elle dit qu'elle était la et lui demanda de tondre quatre brebis.