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— Oui, mais ses récidives justement m’avaient préparé à la guérison, et je suis guéri d’elle.

— Bien vrai ?

— Bien vrai. Trois fois, c’est trop.

— Alors, c’est la troisième fois que tu la prends en faute.

— Oui.

— Quand tu m’as écrit, avant-hier, de te retenir une chambre à mon hôtel, tu venais de la pincer.

— Oui.

— Donc c’est tout récent, ta découverte.

— Mais oui. Ça date de quatre jours.

— Diable ! Gare aux rechutes.

— Oh non ! Je réponds de moi.

Et, pour se soulager, Mariolle raconta sa liaison tout entière, comme s’il eût voulu chasser de lui, rejeter de sa mémoire et de son cœur ce souvenir, cette histoire, ces détails dont il était encore meurtri.

Son père, ancien député, devenu ministre, puis directeur d’une grande banque politico-financière, l’Union des villes industrielles, où il avait amassé une grosse fortune, était mort en laissant à son fils unique plus de cinq cent mille francs de rente et en le priant, comme dernier conseil, de passer sa vie à ne rien faire et à se moquer des autres. C’était un vieux finaud de financier, sceptique, retors et convaincu, qui avait ouvert de bonne heure les yeux de son héritier sur toutes les roueries humaines.

A son école, initié ainsi aux agissements des tripoteurs d’argent et de pouvoir, Robert devint un de ces élégants jeunes hommes pour qui l’existence, quand ils atteignent trente ans, semble déjà n’avoir plus de secrets. Doué d’une intelligence subtile et d’une perspicacité narquoise éveillée par un sens de droiture naturelle, il se laissait aller au cours des jours, évitant les soucis et goûtant à tout ce qu’il trouvait bon sur sa route. Sans famille, car il avait perdu sa mère quelques mois après sa naissance, sans passions vives et sans entraînements irrésistibles, il garda longtemps un cœur sans attaches, attiré seulement par les plaisirs, le cercle, toutes les gaietés de Paris, et encore par un certain goût pour les tableaux et les objets d’art. Ce goût lui était venu d’abord parce qu’un de ses amis collectionnait, aussi parce qu’il aimait par instinct les choses rares et fines, ensuite parce qu’il venait d’acheter une jolie maison avenue Montaigne qu’il fallait meubler et orner, enfin parce qu’il n’avait rien à faire. Il lui suffit de quelques mois et de beaucoup d’argent pour devenir ce qu’on appelle un amateur éclairé, un de ces hommes qui s’y connaissent parce qu’ils sont riches, et qui font éclore les peintres à la mode parce qu’ils les paient. Comme tant d’autres, à force d’acheter des toiles et des bibelots, il conquit le droit d’avoir une opinion ; il fut considéré et consulté ; il encouragea des tendances et méconnut des mérites ; il fut un de ceux qui font s’emplir chaque année le Palais de l’industrie de cette peinture de bazar qu’on médaille par complaisance afin d’en rendre l’écoulement facile dans les galeries des amateurs d’art.

Puis il perdit son ardeur, ayant reconnu que tout le monde se trompe en cela comme en autre chose, que personne ne s’y connaît et que l’opinion change avec la mode, en ce qui touche l’esthétique comme en ce qui touche la toilette.

De plus en plus indifférent et sceptique, il se cantonna, en vrai Parisien de trente-cinq ans, dans les plaisirs ordinaires des hommes sur le point de devenir de vieux garçons. Il raisonnait son affaire, voyait clair dans son existence, faisait la part raisonnable à chaque distraction, jeu, chevaux, théâtre, monde et le reste.

Il aimait assez le monde, dînait volontiers en ville, et puis faisait entre dix heures et une heure du matin, de longues visites dans les salons préférés où il avait ses habitudes. Car il était bien reçu, fêté, choyé à cause de sa fortune, de son esprit et d’une sorte de sympathie qu’il attirait.

Vrai Français de la vieille race aimable, gouailleuse, dédaigneuse de tout ce qui ne l’émeut pas, ignorante de tout ce qui ne l’amuse point, n’ayant d’attention que pour certaines choses, certaines gens, même certains quartiers de Paris, il considérait que l’existence, en somme, ne vaut pas qu’on se donne beaucoup de peine et qu’elle doit plutôt faire rire que pleurer.

C’est alors qu’il rencontra, dans un souper, la maîtresse d’un de ses amis. Elle lui plut tout de suite par son charme discret, plus pénétrant qu’apparent. En s’asseyant auprès d’elle, on la remarquait à peine ; après une heure de causerie, on se sentait attendri par sa grâce. C’était une jolie femme mince, dans les demi-teintes, de genre réservé, de manières modestes et délicates, qui jouait les ménagères dans le demi-monde distingué.

Presque inconnue au clan célèbre des hautes courtisanes, elle avait toujours été la maîtresse attitrée de quelqu’un et demeurait dans l’ombre, dans une ombre somptueuse et parfumée. C’était une de ces adroites femmes qui savent donner des joies domestiques aux célibataires de la grande vie, et qui gardent, jusqu’à la découverte de l’amant naïf destiné à les épouser, la spécialité de faire payer fort cher aux hommes riches et désœuvrés les apparences d’un foyer légitime.

Robert Mariolle s’éprit d’elle, lui fit sa cour comme a une mondaine, osa des déclarations, écrivit sa tendresse. Connaissant sa fortune, elle le fit attendre un peu, puis céda, l’installant dans un faux adultère comme elle avait installé son autre amant dans un faux bonheur conjugal. Lorsqu’elle fut sûre de se l’être attaché, elle eut des remords et lui déclara qu’elle devait rompre avec l’un ou avec l’autre. S’il voulait d’elle, elle serait à lui. Il fut ravi de ce choix et répondit qu’il la prenait. Alors elle se sépara très habilement, sans histoires et sans brouilles, de celui qui payait ses discrètes faveurs. Sa vie n’en fut point troublée ; les deux hommes même ne se fâchèrent pas, et après un froid de quelques semaines qui les tint éloignés l’un de l’autre, ils se serrèrent de nouveau la main et furent amis comme autrefois.

Alors, Mariolle eut deux logis, dont l’un enfermait des tableaux, des meubles rares, des bronzes et mille objets coûteux, tandis que l’autre cachait une jolie femme, toujours prête à le recevoir, à le distraire avec des sourires, des paroles tendres et des caresses. Il se plut chez elle, y logea peu à peu son désœuvrement, y emménagea sa vie. Il prit d’abord l’habitude d’y dîner de temps en temps, puis plus souvent, puis tous les soirs. Il y reçut des amis, y organisa de petites fêtes dont elle faisait les honneurs avec une simple élégance dont il était fier. Près d’elle il goûta la jouissance rare d’avoir une sorte d’esclave d’amour, charmante, complaisante, dévouée et payée. Elle tenait dans la perfection ce rôle simulé d’épouse et il s’attacha si fort au bonheur qu’elle lui donnait qu’il fallut un flagrant délit tout à fait imprévu pour le convaincre qu’il était trompé.

Un duel eut lieu. Il fut blessé très légèrement et recommença son ancienne vie. Mais après deux mois d’une existence qui lui parut odieuse, il rencontra Henriette un matin dans la rue. Elle vint à lui, toute rouge, émue d’audace et de timidité.