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La France hésite, condamne l'idée d'un choc des civilisations entre l'islamisme et l'Occident.

Chirac craint que cet affrontement ne provoque des tensions – elles existent déjà, mais restent marginales – entre des Français d'origines et de confessions différentes.

La France semble donc incertaine, la situation internationale mettant à l'épreuve sa capacité à résister aux forces extérieures.

L'inquiétude se fait jour de voir renaître des « partis de l'étranger », l'appartenance à telle ou telle communauté apparaissant, pour des raisons religieuses, plus essentielle que la spécificité française.

Ainsi se trouve posée la question de la « communautarisation » de la société nationale.

Or, de 1995 à 1997, de nombreux indices ont montré qu'elle était en cours.

On a vu le Premier ministre Lionel Jospin conclure avec les nationalistes corses des accords de Matignon – un « relevé de conclusions » – sans que ses interlocuteurs aient renoncé à légitimer le recours à la violence et à revendiquer l'indépendance.

En acceptant d'ouvrir des discussions avec eux – pas seulement pour des raisons électorales : la présidentielle de 2002 est proche –, Jospin reconnaît de fait la pertinence de la stratégie nationaliste et la thèse d'une Corse colonisée et exploitée par la France.

Or – toutes les élections le montrent – les nationalistes ne représentent qu'une minorité violente, s'autoproclamant représentative du « peuple corse », tout comme les gauchistes affirmaient naguère qu'ils étaient l'expression de la classe ouvrière.

Cette reconnaissance par le Premier ministre, avec l'assentiment tacite du président de la République, et par toutes les « élites » politiques de ce pays – exception faite de quelques « irréguliers » comme Jean-Pierre Chevènement – est lourde de sens.

Le 6 février 1998, en effet, le préfet de Corse, Claude Érignac, a été tué d'une balle dans la nuque à Ajaccio par des nationalistes.

Toutes les autorités républicaines et la population corse ont condamné ce crime hautement symbolique. Le préfet représente l'État centralisé – napoléonien, mais héritier de la monarchie. L'abattre, c'est, par la lâcheté du crime et par sa signification, atteindre l'État, la France, marquer que l'on veut les « déconstruire ».

Accepter que les porte-parole de ces criminels non repentis négocient à Matignon, c'est capituler, admettre, à terme, la fin de la République une et indivisible.

Ceux qui dirigent l'État entre 1995 et 2007 – qu'ils appartiennent au parti chiraquien ou à la « gauche plurielle » – ont jugé que l'espoir de paix civile valait l'abandon des principes républicains.

D'autres signes jalonnant la marche vers une société française communautarisée se multiplient entre 1995 et 2007.

La création du Conseil français du culte musulman, les nombreuses critiques émises au moment de la loi interdisant le port du voile islamique dans certaines conditions, la création d'associations se définissant par leurs origines (Conseil représentatif des associations noires, Indigènes de la République, etc.) sont, quelles que soient les intentions de leurs initiateurs, la preuve de l'émiettement désiré de l'identité française.

Et déjà surgissent – avivées par la situation internationale – des rivalités entre ces communautés.

C'est bien l'« âme de la France » qui se retrouve ainsi contestée dans l'un de ses aspects essentiels : « l'égalité entre les individus liés personnellement à la nation, sans le “filtre” et la médiation d'une représentation communautaire, éthique ou religieuse ».

Le même processus de « déconstruction nationale » est à l'œuvre dans la plupart des secteurs de la vie politique, économique, sociale et intellectuelle.

Dans le domaine institutionnel, Chirac et Jospin ont, de concert, réduit le mandat présidentiel à cinq ans.

Ils poursuivent ainsi le travail de sape de la Constitution gaullienne entrepris par Mitterrand.

Chirac, comme Mitterrand, choisit la cohabitation comme moyen de survie politique.

Il est en effet confronté, dès les lendemains de sa victoire de 1995, à l'impossibilité de tenir ses promesses électorales.

Les contraintes budgétaires d'origine européenne sont renforcées par les obligations liées au passage à la monnaie unique, l'euro, prévu pour 2002.

Premier ministre, Alain Juppé – né en 1945, pur produit de l'élitisme républicain (ENS-ENA) – applique donc une politique de rigueur qui soulève contre lui, en décembre 1995, une vague de grèves à la SNCF, soutenues par une partie des élites intellectuelles représentée par le sociologue Pierre Bourdieu.

Ce dernier aspect est significatif de la permanence et de la réactivation en France d'un courant critique radical. La mort de Sartre en 1980 n'a pas fait disparaître la posture de l'intellectuel critique. Même si les figures emblématiques sont moins nombreuses – Bourdieu en est alors une –, la multiplication du nombre des enseignants et des étudiants aux conditions de vie difficiles crée une sorte de « parti intellectuel prolétarisé ».

Sans se référer obligatoirement à une idéologie définie, les jeunes professeurs, les étudiants diplômés à la recherche d'un emploi, retrouvent, dans telle ou telle circonstance, un discours radical.

Certains d'entre eux, durant cette période 1995-2007, vont rejoindre les rangs des formations d'extrême gauche qui contestent le Parti socialiste en tant que parti de gouvernement. Ces nouvelles générations, plus instinctives et spontanées que théoriciennes, sans culture historique, philosophique ou révolutionnaire précise, prolongent néanmoins une tradition nationale contestatrice.

Dès lors, en France, la « gauche » gouvernementale, séduite par la « troisième voie » telle que peuvent l'exprimer un Clinton, un Tony Blair, un Schröder (à la conférence des sociaux-démocrates européens réunie à Florence en 1999, Jospin, Premier ministre, est présent aux côtés de Bill Clinton), est électoralement menacée et idéologiquement bloquée par cette extrême gauche.

Quand la social-démocratie explicite et théorise sa ligne politique – Lionel Jospin, né en 1937, de culture trotskiste, s'y essaie –, elle ne peut que dire qu'elle est favorable à l'économie de marché, et hostile à une « société de marché ».

Mais elle est serrée par la mâchoire européenne. Elle ne peut prendre que des mesures sociales, étatiques – réduction de la semaine de travail à trente-cinq heures, création d'emplois aidés, recrutement de fonctionnaires –, qui remettent en cause l'efficacité économique libérale.

Elle est tentée de dépasser ces contradictions en portant le combat contre la droite sur le terrain sociétal : mesures en faveur des immigrés, des homosexuels (PACS, bientôt mariage, droit à l'adoption). Mais elle s'avance prudemment sur le terrain de la flexibilité du travail, compte tenu de cette extrême gauche active qui exerce une sorte de chantage idéologique sur elle.

Ces hésitations du Parti socialiste, ce paysage politique qui se radicalise à l'extrême gauche – et, sur l'autre versant, à l'extrême droite : 15 % de voix pour le Front national à l'élection présidentielle de 1995 –, fragilisent la démocratie représentative.

En décembre 1995, les grévistes font reculer Chirac, qui, pour sortir le gouvernement Juppé de l'impasse, provoque la dissolution de l'Assemblée en 1997.

La gauche l'emporte, et une cohabitation de cinq années commence, avec comme seul objectif, pour Chirac, d'user Jospin afin de le battre à l'élection présidentielle de 2002.

Et Jospin, lui, n'a pour but politique que d'être élu président.

Entre leurs mains politiciennes, les institutions de la Ve République sont devenues une machine à empêcher tout projet à long terme !

Surprise révélatrice de la profondeur de la crise nationale et de la crise de la gauche : pour la première fois depuis 1969, le représentant du Parti socialiste, concurrencé par d'autres candidats se réclamant de la gauche, ne sera pas présent au second tour de l'élection présidentielle de 2002. Jospin, écarté par les électeurs, Le Pen est opposé à Chirac, devenu le candidat « républicain », « antifasciste », « antiraciste », etc.