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On murmure même à l'université de Paris, quand les professeurs y apprennent que Bedford veut créer une université à Caen afin d'y former des « administrateurs » au service des Anglais.

On mesure l'âpreté et la rapacité anglaises. Dans les années qui suivent le traité de Troyes, un témoin écrit : « Les Anglais ont détruit et gâté tout le royaume, et tant de dommages y ont fait au temps passé et de présent que si tout le pays d'Angleterre était rendu et mis à deniers, on n'en pourrait pas recouvrer la centième partie des dommages qu'ils ont faits audit royaume de France. »

L'âme de la France se forge ainsi dans la défaite et l'occupation étrangère. Un « parti français » s'affirme au sein du peuple.

Jeanne la Pucelle, fille de « labours aisés » et fille du peuple – analphabète, donc –, est l'une de ces Françaises qui, au nom de Dieu, protecteur du royaume de France, répondent à l'appel de ces voix – celle du Seigneur, celles du peuple – qui les incitent à se lever pour sauver le royaume.

Jeanne, qui est née entre la Champagne et le Barrois, est l'incarnation de ce mouvement surgi des profondeurs nationales.

Mais il y avait aussi Péronne, de Bretagne, et Catherine, de La Rochelle. Et combien de femmes et d'hommes agenouillés prient pour que soit sauvé le royaume et sacré le roi français ? La foi chrétienne enflamme le sentiment national. Jeanne est portée par cette croyance qui l'« oblige » à agir, lui insuffle la force de conviction bousculant les hésitations.

Le représentant du Dauphin, Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, bien que sa terre relève du duc de Bourgogne, va l'aider, lui permettre de rejoindre Chinon. Elle y reconnaîtra le Dauphin et s'imposera aux chefs de guerre après avoir été reconnue pucelle.

C'est une vierge qu'on attendait, puisqu'une débauchée, la reine Isabeau, avait corrompu le roi Charles VI et perdu le royaume.

Jeanne convainc les théologiens chargés de l'interroger : « Au nom de Dieu, les gens d'armes batailleront et Dieu donnera la victoire. »

De Blois elle prévient le roi d'Angleterre : « Je suis venue ici de par Dieu le Roi du Ciel pour vous bouter hors de France. »

En trois mois, Jeanne va changer la donne de cette guerre de cent ans en révélant la force du patriotisme populaire.

De la Bourgogne à la Normandie, de la Bretagne à l'Aquitaine, et à Paris même, on va rapidement savoir qu'une pucelle, menant au combat Dunois le Bâtard, demi-frère de Charles d'Orléans, La Hire, le duc Jean d'Alençon, et ses capitaines de compagnie, a, le 8 mai, fait lever le siège d'Orléans, et, le 18 juin, remporté la victoire de Patay.

Le Dauphin peut enfin, l'étreinte anglaise desserrée, se rendre à Reims et s'y faire sacrer le 7 juillet 1429.

Il est désormais le roi de France légitime.

« Gentil roi, dit la Pucelle, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que levasse le siège d'Orléans et que vous emmenasse en cette cité de Reims recevoir votre Saint Sacre, en montrant que vous êtes vrai Roi de France et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »

Victoire miraculeuse, née du peuple patriote et de la foi en Dieu.

Victoire décisive et pourtant gaspillée.

Charles VII et sa Cour n'agissent pas, veulent d'abord se réconcilier avec le duc de Bourgogne. Le roi laisse Jeanne, sans appui, tenter de prendre Paris (elle y est blessée), La Charité-sur-Loire. Elle entre dans Compiègne qu'assiège une armée bourguignonne. Mais elle ne connaît pas la fortune des armes comme à Orléans. Elle est faite prisonnière le 24 mai 1430 et vendue pour 10 000 écus aux Anglais.

Elle est jugée hérétique et schismatique à Rouen suivant une procédure inquisitoriale. Les clercs sont français (l'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon) ; les soldats, anglais. Condamnée, elle est brûlée vive le 30 mai 1431, place du Marché, à Rouen : « Elle fut arse cestui jour. »

Rien n'avait été tenté par Charles VII pour arracher celle que les Anglais et les juges ecclésiastiques à leur service tenaient pour une sorcière, et qui avait tiré le royaume de France de l'abîme.

Mais Jeanne la Pucelle n'allait pas être oubliée, devenant dans l'âme de la France, le symbole du patriotisme, et, pour les chrétiens, la preuve que la Providence veille sur le royaume.

Son procès en réhabilitation aura lieu en 1456. Mais la Pucelle continue de chevaucher tout au long de l'histoire nationale : patriote revendiquée par la IIIe République, béatifiée en 1900, elle est canonisée en 1920 par Benoît XV. Et le 8 mai fut proclamé fête nationale.

« Lance au poing et dans son étui de fer aussi claire que le soleil d'avril à sept heures,

« Voici Jeanne sur son grand cheval rouge qui se met en marche contre les usurpateurs [...]

« Et maintenant écoutez, Messieurs les hommes d'État, et vous tous, Messieurs les diplomates, et vous tous, Messieurs les militaires...

« Jeanne d'Arc est là pour vous dire qu'il y a toujours quelque chose de mieux à faire que de ne rien faire...

« Cette Pucelle et cette patronne et cette conductrice au plus profond de la France arrachée par l'aspiration du Saint-Esprit... »

On peut refuser cette vision mystique de « sainte Jeanne » et de la France qu'exprime Paul Claudel, mais, après son « passage » – « Cette flamme déracinée du bûcher ! elle monte ! » –, tout change. Comme si le patriotisme populaire et la foi qu'il exprime obligeaient les « élites » à constituer ce « parti français » qui fait de l'Anglais l'ennemi dans tout le royaume, et Charles VII, sacré à Reims, le seul roi de France.

Une paix est conclue entre Bourguignons et Armagnacs (Arras, 1435). Charles VII entre le 12 novembre 1437 dans un Paris ruiné où errent les loups, mais c'est sa capitale. Elle est à l'image d'un royaume dévasté, parcouru par les Grandes Compagnies. Les campagnes sont vides d'habitants ; de rares paysans affamés y sont guettés par les « écorcheurs », les routiers en maraude, ou frappés par les retours de la peste noire (ainsi en 1438).

De tout le royaume monte vers le roi le désir de le voir agir.

« Il faut que vous vous éveilliez, car nous n'en pouvons plus », lui lance Jean Juvénal des Ursins.

Charles VII acquiert de la détermination. Il se montre combatif et volontaire. Il affiche ses maîtresses – Agnès Sorel –, et le Dauphin Louis supporte mal cette autorité nouvelle. Le futur Louis XI s'éloignera de ce père devenu, pour les vingt dernières années de son règne, un vrai roi de France.

Charles VII réforme. Par les ordonnances de mai 1445, à partir de ces routiers, de ces écorcheurs, de ces soldats désœuvrés entre deux batailles, il crée une armée soldée par le Trésor royal et donc permanente. Ces « Compagnies de l'Ordonnance du Roi » sont logées en forteresse ou chez l'habitant, et complétées par des « francs archers » à raison d'un par cinquante feux. Le franc archer, dispensé d'impôts, doit s'entraîner au tir à l'arc ou à l'arbalète.

Le roi tire enfin la leçon des défaites de la chevalerie française en créant cette « infanterie à l'anglaise ».

Pontoise (1441), Le Mans (1448), Rouen, Caen, Cherbourg (1449) sont reconquises. Et, avec ces villes, le prestige royal.

L'entrée de Charles VII à Rouen est solennelle. Ce 10 novembre 1449, il est accueilli par l'archevêque Raoul Roussel, par les évêques qui furent les acteurs du procès de Jeanne d'Arc et par les témoins de son supplice.

Mais, après avoir été les alliés intimes des Anglais, les dignitaires s'inclinent désormais devant Charles VII, qui avance sous un dais, précédé par un cheval portant le sceau aux trois lis.

La fonction royale est séparée du corps du roi.

La victoire de Castillon, en Guyenne – le 17 juillet 1453 –, clôt la guerre de Cent Ans.