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Trois cents bouches à feu ont écrasé la chevalerie et l'infanterie anglaises dans cette Aquitaine liée à l'Angleterre depuis trois siècles.

Tant de batailles perdues sont ainsi vengées.

Le pouvoir a toujours besoin de gloire. Dans l'histoire nationale, depuis les origines, ce sont les glaives et les armées qui l'ont apportée.

Le chevalier, le soldat – et le clerc – sont en France, plus que les marchands, faiseurs de prestige. L'argent, le commerce, plient devant le pouvoir. Et Charles VII fait emprisonner Jacques Cœur (1451), grand argentier et grand marchand. L'argent n'est jamais une fin, pour un roi de France, au contraire de la gloire.

Ce n'est qu'un indispensable moyen.

Quand, le 22 juillet 1461, Charles VII s'éteint, le royaume de France a recouvré une part de sa puissance, de sa gloire et de sa richesse.

Est-ce par une attention de la Providence ?

Celui qui n'avait jamais été qu'un « gentil Dauphin », Charles VII, est devenu, grâce à Jeanne la Pucelle, grâce à tous les Français, attachés à leur nation, et aux conseillers qui l'ont à sa Cour assisté, Charles VII le Bien servi.

17.

« Je suis France », dit Louis XI.

Il vient enfin, à trente-huit ans, de succéder à son père, Charles le Bien servi.

Voilà près de vingt ans qu'il attend, plein d'impatience et même de rage. Il a quitté le royaume de France pour se réfugier chez le Bourguignon, Philippe le Bon. Il a conspiré contre son père, organisé complots et même prises d'armes.

Enfin Charles VII est mort.

Le 13 août 1461, Louis entre dans la cathédrale de Reims : cérémonie fastueuse dont les détails et la magnificence ont été voulus par le duc de Bourgogne ; c'est d'ailleurs lui qui a posé la couronne sur la tête de Louis XI.

C'est à ses côtés qu'il entrera dans Paris, le 31 août.

« Je suis France », dit alors Louis.

Manière d'affirmer qu'il sera souverainement roi de France, donc prêt à secouer toutes les tutelles qu'on voudrait lui imposer. Et d'abord celle de l'héritage de Charles VII. Il renvoie les conseillers de son père : vingt-cinq baillis et sénéchaux. Et il suffit de quelques semaines pour que l'on comprenne que ce souverain au visage de fouine, d'une piété superstitieuse, remuant entre ses doigts des médailles saintes comme s'il s'agissait d'amulettes, est un monarque déterminé et autoritaire.

Il se méfie des grands, donc en tout premier lieu du duc de Bourgogne, le plus puissant. Il préfère s'entourer d'hommes simples mais dévoués corps et âme – Tristan L'Hermite, Olivier Le Daim, l'évêque Balue, bientôt disgracié et emprisonné sans procès –, le chroniqueur Commynes, corrompu, et Francesco Sforza, venu de l'Italie de Machiavel et des Médicis.

Ainsi, pour la première fois dans l'histoire nationale, un souverain esquisse un pouvoir « absolutiste » en s'appuyant non plus sur ses vassaux, les grands, mais sur des hommes liés à lui par un lien de « service », serviteurs du roi et donc de l'État.

Gouvernement impitoyable : le roi réprime avec sauvagerie – pendaisons, mutilations, bannissements – la « tircotterie » d'Angers et la « mutemaque » de Reims, des émeutes antifiscales.

Car ce pouvoir qui se ramifie a besoin d'argent. Il multiplie par quatre la taille. Il resserre les rouages de l'État, contrôle les villes, le clergé. Il renforce l'armée des compagnies d'ordonnances. Il favorise les cités marchandes. Il crée une quatrième foire à Lyon, ce qui fait de cette ville un centre d'attraction pour les banquiers et marchands italiens. De nombreuses routes sont pavées et les « chevaucheurs » du roi, qui transportent les plis officiels, trouvent aux relais des montures fraîches.

Et à sa manière autoritaire, en renforçant l'État, le roi exprime les souhaits du peuple, de ce « parti français » né dans la guerre contre le « parti de l'étranger », et qui, même s'il en craint la violence, approuve un souverain affirmant : « Je suis France. »

Avec Louis XI surgit ainsi un nouveau type de souverain français, de pouvoir national, peu respectueux des « règles » et de la morale – les conseillers de Louis XI sont des hommes de police, et même, à l'occasion, des bourreaux –, comme si le service du royaume autorisait – au nom de Dieu aussi, car le roi est pieux, il invoque saint Michel – l'emploi de toutes les habiletés et de toutes les violences.

Parce que la ville d'Arras a résisté en 1479, tous les habitants en sont chassés, remplacés par d'autres, et la ville, débaptisée, devient un temps « Franchise ».

Mais ce pouvoir est national. Louis XI se rend en pèlerinage à l'abbaye du Mont-Saint-Michel, il crée l'ordre de Saint-Michel parce que, dix ans durant – 1424-1434 –, la place a résisté au siège des Anglais, parce que Jeanne d'Arc a invoqué saint Michel qui allait l'aider à terrasser l'Anglais comme il avait terrassé le dragon.

Et les premières imprimeries qui se créent à Paris à partir de 1470 – il y en aura neuf, contre quarante en Italie – diffusent à des centaines d'exemplaires, peut-être même à un ou deux milliers, ces invocations à saint Michel et ces apologies du roi de France. Les grands qui ont montré contre les Anglais leur impuissance, leur désir de collaborer avec l'occupant et de constituer un parti de l'étranger, et les chevaliers qui ont donné la preuve de leur incapacité à vaincre les archers anglais voient ainsi leur pouvoir réduit au bénéfice de celui du roi et de l'État.

Au contraire, comme jamais, les marchands, les bourgeois, les manouvriers, considèrent que le pouvoir royal est le garant de leur prospérité :

Et quand Anglais furent dehors

Chacun se met en ses efforts

De bâtir et de marchander

Et en biens superabonder.

Ce « parti français », ce peuple « patriote », n'est évidemment pas conscient de la politique que conduit Louis XI, mais, lorsqu'il est averti de ce qui se trame, il soutient l'« universelle aragne » qui tisse sa toile pour réduire les ducs et les princes à l'impuissance et les dépouiller de leurs possessions au profit du royaume.

Tel est l'axe de cette politique française de Louis XI, qui parfois trébuche sur les propres pièges qu'elle tend à ses adversaires.

Les grands ont jaugé la menace. Ils mènent dès 1465 une guerre ouverte contre Louis XI. Le duc de Bourgogne, Philippe le Bon et son fils Charles le Téméraire, le duc de Bretagne, ont formé ce qu'ils appellent la ligne du Bien Public et ont enrôlé dans leurs rangs le propre frère du roi.

Après la bataille incertaine de Montlhéry (16 juillet 1465), les ligueurs menacent Paris. Louis XI négocie (traité de Conflans, 1465), mais sa détermination ne faiblit pas. Il incite les Flandres à se soulever contre Charles le Téméraire, et prend le risque de se rendre à Péronne, défier le duc de Bourgogne et négocier avec lui en dépit de l'insurrection des Liégeois, que, l'accord une fois intervenu, on réprimera (1468).

Ce souverain bavard, retors et superstitieux, auteur de plus de sept volumes de lettres, a une vision claire des dangers qui menacent le royaume. Il doit briser le duché de Bourgogne, empêcher que Charles le Téméraire ne conquière l'Alsace et la Lorraine, réunissant ainsi territorialement la Flandre et la Bourgogne. Et il doit plus encore empêcher que se renoue l'alliance anglo-bourguignonne.

Or Édouard IV débarque en 1475 une armée de 25 000 hommes à Calais. Pour le faire renoncer, il faut lui verser 75 000 écus plus 50 000 écus de rente annuelle.

Le peuple approuve cette politique. Les villes ont résisté aux Bourguignons (ainsi Jeanne Hachette à Beauvais). Il se félicite de l'accord intervenu entre Louis XI et Édouard IV d'Angleterre (à Picquigny, 1475) :

J'ai vu le Roi d'Angleterre

Amener son grand ost

pour la Française terre

Conquérir bref et tost