Car le roi de France entend aussi libérer ces deux dernières villes (Constantinople a été conquise en 1453 par les musulmans). Mais il lui faudra rebrousser chemin devant la coalition italienne qui se forme, et quitter l'Italie malgré la furia francese victorieuse à Fornoue (5 juillet 1495).
Mêmes difficultés pour Louis XII, qui se heurte à une Sainte Ligue animée par le pape Jules II, peu soucieux de voir le grand royaume de France dominer l'Italie.
De cette aventure italienne resteront le renforcement d'un courant d'hommes et d'idées, et l'influence dominante de la création artistique italienne dans le royaume de France.
D'un côté, les hommes d'armes (Charles VIII est entré en Italie à la tête de près de trente mille hommes) ; de l'autre, les peintres, les musiciens, les architectes, les théologiens, les philosophes, de Savonarole à Machiavel.
D'un côté le roi, de l'autre le pape.
Un lien ambigu est ainsi noué entre l'âme de la France et celle de l'Italie, qui, quelles que soient les circonstances – incompréhensions, rivalités, conflits –, ne sera jamais tranché.
C'est que les libres décisions des hommes sont orientées par des logiques enserrées dans des structures qui posent les termes d'une équation que, par leurs choix, les acteurs auront à résoudre ou à compliquer.
Le royaume de France n'a, en matière de politique extérieure, le choix qu'entre une expansion vers le nord-est (la Flandre, les Pays-Bas), l'est (au-delà du Rhin), le sud-est (l'Italie) et le sud (l'Espagne).
L'Italie est le seul territoire qui, par son morcellement et sa richesse, attire les convoitises. Et il en sera ainsi jusqu'à ce qu'il soit unifié.
À l'intérieur du royaume, le pouvoir royal est aussi confronté à des problèmes qui ne sont jamais définitivement résolus, puisqu'ils font partie de la nature même de la société française.
Que faire des grands ?
Les tuteurs de Charles VIII ont brisé leur « Guerre folle ». Et, comme Louis XI avant lui, comme Louis XII après lui, Charles VIII s'appuie sur des « roturiers », des « bourgeois » qui deviennent ses conseillers.
De même, comme Charles VII – qui avait, dans la Pragmatique sanction de Bourges, affirmé en 1438 la nécessaire obéissance du clergé français au roi de France et non au pape, sauf en matière théologique –, Charles VIII favorise l'indépendance du clergé français.
Reste le troisième ordre (après l'aristocratie et le clergé), représenté au sein des états généraux, qui reflètent l'ensemble de la nation.
Charles VIII réunit les états en 1484 et leur annonce... une réduction des impôts (de la taille).
Quant à Louis XII, il les assemble à Tours en 1506 pour leur faire rejeter le projet de mariage entre l'héritière du duché de Bretagne – sa fille Claude de France – et le petit-fils de Maximilien d'Autriche, Charles de Habsbourg... futur Charles Quint !
Quel roi de France et quels représentants des Français eussent accepté de voir le royaume pris en tenailles par les Habsbourg, écrasant l'Ile-de-France entre leurs possessions de l'Est et de l'Ouest ?
C'eût été retrouver, en pis, la situation qui avait donné naissance à la guerre de Cent Ans.
En 1514, Claude de France épouse François de Valois et apporte en dot le duché de Bretagne.
Lorsque, le 1er janvier 1515, Louis XII, « Père du Peuple », meurt sans héritier mâle, c'est son cousin, François de Valois, qui monte sur le trône sous le nom de François Ier.
Des temps nouveaux commencent, dont on pressent qu'ils sont porteurs de bouleversements majeurs dans l'ordre des valeurs – mais l'âme de la France est déjà si forte, si structurée, qu'on ne pourra la nier.
CHRONOLOGIE I
Vingt dates clés (des origines à 1515)
35 000 avant J.-C. : L'homme de Cro-Magnon, aux Eyzies-de-Tayac-Sireuil (Dordogne)
15 500 avant J.-C. : Grotte de Lascaux
620 avant J.-C. : Fondation de Marseille
500 avant J.-C. : Début des invasions celtes
58-52 avant J.-C. : Jules César en Gaule
177 : Martyrs chrétiens de Lyon
498 : Baptême de Clovis
800 : Charlemagne empereur
843 : Partage de Verdun
910 : Fondation de Cluny
987-996 : Hugues Capet
1096-1099 : Première croisade
1180-1223 : Philippe Auguste
1244 : Prise de Montségur, citadelle cathare
1285-1314 : Philippe le Bel
1348 : Épidémie de peste noire
1429 : Jeanne d'Arc délivre Orléans (8 mai), est suppliciée à Rouen le 30 mai 1431
1461-1483 : Louis XI
1495 : Entrée de Charles VIII (1483-1498) à Naples
1511 : Sainte Ligue (pape, Angleterre, Espagne, Venise, Suisse) contre la France de Louis XII (1498-1515)
LIVRE II
GUERRES CIVILES,
GLOIRE DU ROI,
PUISSANCE DE L'ÉTAT
1515-1715
1
LA GUERRE AU NOM DE DIEU
1515-1589
19.
Que devient le royaume de France après que Luther a affiché, en 1517, sur les portes de la chapelle du château de Wittenberg, 95 propositions pour réformer l'Église catholique, et que dans toute l'Europe, et d'abord dans l'Empire germanique, se déchaîne la guerre des religions entre huguenots et papistes, réformés et catholiques ?
Quelles blessures seront infligées à l'âme de la France dans cet affrontement des croyants qui devient vite une guerre civile et une guerre sociale ?
Comment un royaume dont le roi est le représentant de Dieu sur terre, qui accomplit en son nom des miracles, qui détient de fait un pouvoir quasi sacerdotal, pourrait-il traverser cette épreuve sans que les passions le bouleversent et le déchirent ?
Cependant, durant quarante-cinq ans, de 1515 à 1560, la tourmente qui ravage l'Allemagne – la révolte des paysans, une vraie guerre aux arrière-plans religieux, y commence en 1524 – semble épargner la France. On y poursuit les hérétiques, on y brûle les imprimeurs, on y conspire déjà, mais le royaume ne s'embrase pas.
Le vent souffle fort, la mer se creuse dès 1520, mais le royaume continue de voguer. Ce n'est qu'en 1559-1560 que la tempête se lève et que s'approche l'heure des massacres.
Les deux premiers souverains Valois, François Ier (1515-1547) et Henri II, son fils (1547-1559), ont affirmé avec force leur foi catholique et ont condamné les huguenots.
La guerre civile, la persécution généralisée, n'éclatent pas pour autant.
Mais voici que, le 30 juin 1559, au cours d'un tournoi – vestige et rituel médiévaux –, Henri II a l'œil et le crâne transpercés par un morceau de la lance de son adversaire, Gabriel de Montgomery. Longue agonie, symbole de la souffrance nationale à venir.
Son frêle fils aîné (quinze ans), François II, lui succède, mais régnera à peine un an et demi.
Va commencer alors le temps de la guerre civile. Mais l'on se souviendra des quarante-cinq premières années du xvie siècle comme d'une époque encore paisible.
Et pourtant, entre le 25 janvier 1515, sacre du duc de Valois, devenu François Ier, et la mort tragique de Henri II en 1559, que de transformations dans la vie du royaume, qui déterminent son avenir et marquent pour des siècles l'âme de la France !
D'abord le roi.
Il est, avec François Ier, glorieux vainqueur des Suisses à Marignan (13 et 14 septembre 1515) après avoir franchi les Alpes au col de l'Arche, 3 000 sapeurs ouvrant la route à 40 000 hommes et à 300 canons.