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Mais l'« humaniste » François Ier ne transige pas à propos de son pouvoir.

« Il n'y a qu'un roi de France, dit-il, et garderais bien qu'il n'y aurait en France un Sénat comme à Venise... »

Pas de Parlement outrepassant ses fonctions judiciaires :

« Le roi vous défend que vous ne vous entremettiez en quelque façon que ce soit du fait de l'État ni d'autre chose que de la justice. »

Ainsi, dans cette première moitié du xvie siècle, on ne peut se contenter de regarder les tableaux inspirés de l'école italienne ou les châteaux. Il ne faut pas s'en tenir à cette Renaissance qui change le décor, les costumes et les mœurs.

On assiste en fait à l'affirmation d'une monarchie nouvelle, centralisatrice, unificatrice, autoritaire.

L'absolutisme encadre la nation, dicte ses ordonnances. En imposant la langue de l'État, le français, la monarchie entend régir l'âme de la France. Elle renforce la nation, même si sa rigidité tout comme le mécanisme de vente des offices nécessaire à son financement portent en eux, à long terme, des éléments de faiblesse.

Mais, vers 1550, c'est la force de la royauté française qui frappe.

Pour Machiavel, elle est un modèle. Nation la plus peuplée d'Europe, elle est efficacement gouvernée.

« Nul pays n'est aussi uni, aussi facile à manier que la France, écrit un ambassadeur vénitien en 1546. Voilà sa force, à mon sens : unité et obéissance. Les Français, qui se sentent peu faits pour se gouverner eux-mêmes, ont entièrement remis leur liberté et leur volonté aux mains de leur roi. Il lui suffit de dire : “Je veux telle ou telle somme, j'ordonne, je consens”, et l'exécution est aussi prompte que si c'était la nation entière qui eût décidé de son propre mouvement. »

Cette relation particulière entre un peuple et son souverain est la traduction politique d'un sentiment partagé entre celui-ci et les Français : le patriotisme.

Et les poètes, les écrivains – ils forment une Pléiade incomparable, de Clément Marot à Ronsard, de Rabelais à Du Bellay, de Montaigne à Desportes –, les juristes, l'expriment, chantent la patrie :

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux

Que des palais romains le front audacieux

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin

Plus mon petit Liré que le mont Palatin

Et plus que l'air marin la douceur angevine,

dit Du Bellay, évoquant son village natal et rêvant de « vivre entre ses parents le reste de son âge ».

Il ajoute en 1559 :

Laisse-moi donques là ces Latins et Grégeois

Qui ne servent de rien au poète françois

Et soit la seule cour ton Virgile et Homère

Puisqu'elle est, comme on dit, des bons esprits la mère.

Les auteurs anonymes de chansons populaires riment autour des mêmes thèmes.

Ils exaltent « le noble roi François », vainqueur à Marignan, et pleurent lors de sa détention à Madrid après le désastre de Pavie.

Mais, durant toute sa captivité – un an –, la fidélité au souverain n'est jamais remise en cause.

Alors que la régente – Louise de Savoie, mère du roi – est à Lyon, les Parisiens, craignant l'invasion, créent une assemblée représentative qui s'arroge certes des pouvoirs, mais qui s'affirme décidée à combattre l'ennemi « impérial ». Et il en est ainsi dans tout le royaume.

Ce « patriotisme » est une des spécificités françaises, et les femmes en sont souvent les porte-parole, comme si elles reprenaient le glaive de Jeanne d'Arc.

D'ailleurs, autour de François Ier et de Henri II, les femmes jouent un rôle décisif.

Louise de Savoie mène les négociations pour la libération de son fils. Sa sœur Marguerite, sa maîtresse Anne, duchesse d'Étampes, sont des actrices de la vie culturelle et favorisent la diffusion de l'humanisme.

Diane de Poitiers, maîtresse de Henri II, et naturellement son épouse Catherine de Médicis, fille de Laurent de Médicis, nièce de deux papes, mère de François II, puis de Charles IX (1560-1574) et de Henri III (1574-1589), d'une reine d'Espagne et d'une reine de Navarre, ont elles aussi un grand poids politique.

Ce rôle des femmes au sommet de l'État, dans le cœur du pouvoir absolutiste, que Jeanne d'Arc avait incarné au siècle précédent, se trouve ainsi confirmé au xvie siècle et devient l'un des traits majeurs de l'« âme de la France ».

Ce sentiment national, ce patriotisme, cet absolutisme, se renforcent mutuellement et accroissent le pouvoir du roi.

Ils vont être confrontés à la Réforme, c'est-à-dire à la possibilité, pour l'un des sujets du royaume, d'opter pour une autre religion que celle de son souverain.

Et, de surcroît, une foi souvent étrangère, hérétique (Luther a été excommunié par la diète de Worms en 1521).

Le risque d'une résurgence d'un « parti de l'étranger » est, au fur et à mesure que le siècle s'avance, de mieux en mieux perçu par ceux qui, « politiques », souhaitent préserver l'unité du royaume et donc organiser la « tolérance » pour les adeptes de la « religion prétendument réformée ».

Durant toute la première moitié du xvie siècle – jusqu'en 1560, date de la mort de François II –, la situation oscille.

Marguerite, sœur de François Ier, humaniste, influence le roi, favorable à ceux (Lefèvre d'Étaples, un érudit ; Briçonnet, évêque de Meaux), qui veulent, en bons lecteurs de la Bible – dont les exemplaires imprimés se répandent –, purifier l'Église.

Le 5 février 1517, François Ier a même chargé Guillaume Budé d'inviter Érasme à venir à Paris : « Je vous avertis que si vous voulez venir, vous serez le bienvenu », lui écrit le monarque.

La création du Collège trilingue (latin, grec, hébreu) des lecteurs royaux participe de cette ouverture humaniste tolérée et même souhaitée dès lors qu'elle ne touche que le monde intellectuel et ne met pas en cause le pouvoir politique.

Mais l'excommunication de Luther, la publication en français de L'Institution chrétienne de Calvin, le choix de l'« hérésie » par près de la moitié de la noblesse (les Condés, les Montmorencys, les Bourbons), inquiètent les souverains.

C'est leur pouvoir absolu que leur « tolérance » remet en cause.

Et l'Église catholique, dont ils sont en fait les maîtres politiques, est un rouage trop important de leur système absolutiste pour qu'ils acceptent de la voir attaquée ou simplement concurrencée.

Pour un roi de France – même prince de la Renaissance, même humaniste comme François Ier –, le fait que certains de ses sujets rompent avec le pape, refusent les sacrements, quittent donc l'Église catholique, la religion dont il est le « représentant » et qui le sacre, est inacceptable.

Dès lors, durant cette première moitié du xvie siècle, la persécution des huguenots va s'accentuer, sans provoquer encore de guerre civile.

Dès 1523, des hérétiques sont brûlés à Paris, place Maubert.

Il suffit qu'une statue de la Vierge ait été mutilée pour que d'autres soient torturés, condamnés au bûcher.

En 1529, un gentilhomme, Berquin, est ainsi exécuté.

En 1534, le roi s'indigne et s'inquiète qu'on ait osé placarder sur la porte de sa chambre, à Amboise, mais aussi au Louvre, des textes hostiles à la messe.

Cette « affaire des placards » le persuade que les huguenots sont des ennemis du pouvoir royal.

La persécution s'intensifie. On torture. On brûle. L'imprimeur Étienne Dolet est ainsi exécuté (1546), et le roi laisse le parlement d'Aix exterminer dans le Luberon 3 000 hérétiques « vaudois » dont les villages sont détruits.

La machine à massacrer est en marche.