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Mais les passions débordent, entraînent le peuple.

Des protestants saccagent des églises. Des catholiques, des temples. Les uns et les autres prennent les armes, s'affrontent déjà.

Et premier massacre à Vassy, non prémédité.

Il a suffi, le 1er mars 1562, à François de Guise et à ses hommes d'entendre chanter des psaumes dans la ville – en contradiction avec l'édit de Saint-Germain – pour qu'ils tuent des dizaines de huguenots. On massacre des « religionnaires » dans plusieurs villes. En guise de riposte, les protestants s'emparent d'autres cités.

La porte de la cruauté et de la guerre civile vient de s'ouvrir, et elle ne se refermera – jamais totalement – que trente-six années plus tard, en 1598, avec l'édit de Nantes, pacification précaire.

Cependant, comme si dès 1562 les Français pressentaient que le pire pour le royaume était encore à venir, s'exprime alors le désarroi, la souffrance devant ce malheur qu'est la guerre entre Français.

Réfugié à Bâle, un huguenot (Castellion) écrit dans son Traité des hérétiques : « Supportons-nous l'un l'autre et ne condamnons incontinent la foi de personne. »

Quant à Ronsard, dans la Continuation du Discours sur la misère de ce temps, il décrit :

L'extrême malheur dont notre France est pleine

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Comme une pauvre femme atteinte de la mort

Son sceptre qui pendait et sa robe semée

De fleurs de lis était en cent lieux entamée

Son poil était hideux, son œil hâve et profond

Et nulle majesté ne lui haussait le front.

Castellion, dans son Conseil à la France désolée, insiste sur le malheur absolu qu'est la guerre civile : « Ce ne sont pas les étrangers qui te guerroient comme bien autrefois a été fait lorsque par dehors tu étais affligée, pour le moins tu avais par dedans l'amour et accord de tes enfants quelque soulagement. Aujourd'hui, ce sont tes propres enfants qui te désolent et affligent. Tes villes et villages, voire les chemins et les champs, sont couverts de corps morts, tes rivières en rougissent et l'air en est puant et infect. Bref, en toi il n'y a ni paix ni repos, ni jour ni nuit, et on n'entend que plaintes, et hélas de toutes parts sans y pouvoir trouver lieu qui soit sûr et sans frayeur et meurtre, crainte et épouvantement. »

La France se déchire et les Français s'entretuent. L'âme de la France souffre.

Le patriotisme et la conscience nationale éplorés ne peuvent pourtant empêcher les affrontements de se succéder – quatre « guerres » de 1562 à 1574 –, ni les camps en présence de faire appel à leurs « coreligionnaires » des pays voisins.

Ainsi, en même temps que resurgissent, derrière les engagements religieux, les ambitions des grands féodaux, les colères sociales, on voit renaître le « parti de l'étranger ».

Les huguenots livrent Le Havre aux Anglais, en appellent aux reîtres et aux lansquenets allemands, cependant que les catholiques se tournent vers l'Espagne de Philippe II.

De même se profile le risque d'éclatement du royaume.

Des « républiques théocratiques », des places de sûreté « huguenotes », se constituent.

Les villes de La Rochelle, de Nantes, de Nîmes, de Bourges, de Montpellier, de Montauban, échappent à l'autorité royale, alors que Paris – et son parlement, dont la juridiction s'étend à une grande partie de la France, hors le sud du pays – est farouchement, fanatiquement catholique.

On voit ainsi s'organiser une sorte de république des Provinces-Unies du Midi dont les capitales sont Nîmes et Montauban et qui dispose d'un port, La Rochelle.

Mais l'attachement à l'unité nationale perdure.

Des édits (celui d'Amboise en 1563), qui sont autant le résultat du rapport des forces que la manifestation de l'espérance dans le retour à la paix civile, suscitent des trêves précaires.

Et le roi continue d'incarner la nation.

Profitant d'une longue suspension des combats, Catherine de Médicis tente de rassembler les adversaires autour de Charles IX.

Elle parcourt la France à ses côtés dans un long périple de vingt-sept mois (1564-1566). Les populations divisées, les villes huguenotes, l'accueillent, se retrouvent autour de lui, attestant qu'il est la clé de voûte du pays, que sa force symbolique est grande et que ses sujets veulent croire en la fin de leurs affrontements fratricides.

À dire vrai, chaque camp voudrait avoir à sa tête ce roi-emblème. Les huguenots essaient même de l'enlever, à Meaux, en 1567 ! Ils échouent.

Catherine de Médicis ne renonce pas.

Elle veut réaliser le projet de mariage entre sa fille Marguerite et Henri de Bourbon, roi de Navarre, union d'une catholique de sang royal et d'un hérétique. Ce faisant, la réconciliation est-elle possible ? L'unité du royaume va-t-elle se reconstituer ?

Charles IX a vingt ans en 1570. L'amiral de Coligny, la plus forte personnalité huguenote, est admis au Conseil du roi.

Lui aussi a le projet de reconstituer l'unité du royaume en concevant une grande politique étrangère « nationale ». La France prendrait la tête d'une large coalition protestante en s'alliant avec les « Gueux » des Pays-Bas et en menant à leurs côtés la guerre contre Philippe II, le Habsbourg, le roi de cette Espagne ennemie de la France.

On saisit ici combien, quand il s'agit de la France – de la grande puissance européenne –, sont toujours intriquées la politique intérieure et la politique extérieure.

La « géopolitique » commande cette liaison. C'est là une caractéristique permanente de l'histoire nationale.

Le mariage de Marguerite et de Henri de Navarre doit se célébrer en août 1572.

C'est un moment charnière. L'apparence est à l'unité retrouvée.

Les nobles huguenots entrent dans Paris pour participer aux fêtes nuptiales. Coligny est devenu le conseiller influent du roi.

Mais aucun camp n'a désarmé.

Catherine de Médicis a organisé le piège en même temps qu'elle œuvrait à la réconciliation. Les Guises n'ont pas renoncé. Une tentative d'assassinat de Coligny échoue. L'ordre est donné de massacrer les protestants pour noyer l'attentat contre Coligny dans un flot de sang.

C'est la Saint-Barthélemy, le dimanche 24 août 1572.

On poignarde. On noie. On égorge. On dépèce. On brûle. On pille.

Le peuple – femmes et enfants – arrache les membres des victimes, jette les nouveau-nés dans la Seine. On trouve des morceaux de chair dans toutes les rues de Paris. Crimes barbares et rituels.

Le peuple échappe à ses chefs.

Le massacre, à Paris, par la foule enivrée de passion, s'inscrit dans l'âme de la France, annonce d'autres massacres.

La Saint-Barthélemy devient un repère, une référence. En août-septembre 1792, on craindra – deux cent vingt ans plus tard, donc ! – une « Saint-Barthélemy des patriotes », et les massacres de Septembre rappelleront, par leur violence rituelle, leur barbarie, ceux d'août 1572.

Tout au long de notre histoire, dans nos « guerres de religion » – qui se nommeront alors guerres de classes –, on massacrera (1834, 1848, 1871, 1934, 1944).

Paris n'est pas une ville paisible, mais une capitale ensanglantée, l'épicentre des passions françaises.

Le massacre se propage et fait trembler toute la France.

On tue dans de nombreuses villes : à Meaux, Orléans, Bourges, Troyes, Rouen, Bordeaux, etc.

Les huguenots se vengent, une furie iconoclaste se répand. D'autres protestants quittent le pays.

Tuer ou être tué, combattre et se protéger dans les places de sûreté, se terrer, fuir : telles apparaissent à beaucoup les seules issues.

Le pouvoir royal ordonne les massacres ou ne les empêche pas. Dès lors, comment faire encore confiance à ce roi, hésitant, il est vrai, placé devant le fait accompli, mais finalement l'acceptant, le couvrant, le légitimant – qui a laissé égorger jusque dans les chambres du Louvre ?