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Quant à Henri de Navarre, il n'a dû son salut qu'au fait qu'il a – comme Henri de Condé – promis d'abjurer (il le fera le 3 septembre 1572).

Ces massacres se poursuivent d'août à octobre 1572 et font entre 15 000 et 30 000 victimes.

Une procession royale, le 4 septembre, rend grâce pour la victoire de la Juste Foi. À Rome, le pape Grégoire XIII célèbre un Te Deum.

Le parti huguenot est décapité.

Le roi peut donc, dans une ordonnance, exiger que l'on arrête de tuer, d'attenter à la vie et aux biens de « ceux de la religion nouvelle ».

Mais comment le croire ?

Un protestant, Duplessis-Mornay, écrira : « L'État s'est crevassé et ébranlé depuis la journée de la Saint-Barthélemy, depuis que la foi du Prince envers le sujet et du sujet envers le Prince, qui est le seul ciment qui entretient les États en un, s'est si outrageusement démentie. »

Dans l'âme de la France plane désormais le soupçon que le pouvoir peut mentir, trahir, qu'il faut se méfier de lui.

Certes, cela n'efface pas le sentiment enraciné que le roi est, comme dit Duplessis-Mornay, « le seul ciment » de la nation.

Mais il faut, en face de lui, rester sur ses gardes, et donc le contrôler.

Et pourquoi ne pas élire le roi, affirmer la supériorité des états généraux sur le monarque, exiger de pouvoir le désavouer, le renvoyer et même le condamner ? Car le tyrannique ne peut devenir légitime.

Entre le roi et certains de ses sujets – les huguenots, en l'occurrence –, c'est l'ère du soupçon qui commence.

La Saint-Barthélemy fait naître de nouveaux adversaires de l'absolutisme, des ennemis des rois (les « monarchomaques », tels Théodore de Bèze et François Hotman).

Faut-il s'étonner que les protestants soient, trois siècles plus tard – les nations ont une longue mémoire –, parmi les plus ardents défenseurs du libéralisme politique, et qu'ils jouent un rôle majeur dans le mouvement et le gouvernement républicains ?

Ainsi, la Saint-Barthélemy, si elle a arrêté la progression de la religion prétendument réformée, a aggravé les tensions. Les blessures sont profondes.

Les « malcontents » sont nombreux même chez les catholiques, que les massacres ont effrayés.

Quand Charles IX meurt à Vincennes, le 30 mai 1574, à vingt-quatre ans, Catherine de Médicis exerce la régence, puisque son avant-dernier fils, Henri, a été élu roi de Pologne.

Henri III va succéder à Charles IX à la tête d'un royaume divisé vers lequel, quittant Cracovie, il se dirige à petite allure.

21.

Ce roi qui traverse l'Europe, qu'on fête à Vienne et qui s'attarde à Venise parce qu'il aime les plaisirs, a vingt-trois ans. C'est un Valois, fils de la Renaissance, beau, séducteur, brillant et lettré.

Il raffole du luxe, des parfums, des tissus.

Il est sensible aux charmes des jeunes femmes, et, assure-t-on, des jeunes gens qui l'entourent, ces mignons qu'il dote et qui forment une Cour joyeuse.

Pourtant, il n'ignore rien de la cruauté des temps.

Catholique, il peut – mais joue-t-il ? – manifester une piété exaltée, baroque.

Il n'a pas hésité à participer au massacre de la Saint-Barthélemy. La Contre-Réforme lui convient, même si, dans sa vie privée, rien ne le freine.

Il est le roi, c'est-à-dire qu'il n'a de comptes à rendre qu'à lui-même et à Dieu.

Il a le sens de ses devoirs politiques. Il doit gouverner ce royaume déchiré où le sang n'en finit pas de couler. Et où, il le sait, son pouvoir royal et sa personne sont mis en cause.

Il veut renforcer l'État. Et il est lui aussi pénétré de l'idée que l'autorité du roi est la condition de l'unité et de la paix.

Il est ainsi un continuateur de Louis XI et de François Ier, cherchant à accroître l'efficacité du gouvernement, transformant le Conseil du roi en un Conseil d'État qui se divise en Conseil des parties et en Conseil des finances.

Il gouverne avec l'aide de ces « gens de robe », nobliaux aux origines modestes mais que l'ambition et la volonté de s'enrichir transforment en grands serviteurs de l'État.

Ainsi – c'est là un trait français, une tendance longue et puissante de notre histoire –, le désir du renforcement de l'État ne disparaît pas, alors que les obstacles qu'il rencontre se multiplient, que les « monarchomaques » se nourrissent des haines religieuses pour justifier leur théorie d'un pouvoir royal contrôlé, limité.

Les ennemis du roi recrutent certes parmi les huguenots, soucieux de défendre leur « sûreté », mais aussi parmi les grands seigneurs, héritiers et nostalgiques des pouvoirs féodaux.

Les Guises sont des catholiques intransigeants – ultras et même fanatiques –, comme le roi, mais ils contestent son pouvoir. Les Bourbons sont huguenots, mais sont aussi des « féodaux », tel Condé, et l'un d'eux, Henri, est même roi de Navarre.

Celui-ci, qui peut croire à la sincérité de son abjuration, obtenue alors qu'on pressait la pointe d'une épée sur sa gorge durant la Saint-Barthélemy ?

Henri III doit aussi compter avec ce tiers parti des « malcontents », des « politiques », qui trouve en François de Valois, frère cadet du roi, un soutien considérable.

Ces oppositions suscitent contre le monarque et ses « mignons » – le duc de Joyeuse, le duc d'Épernon – des libelles, des pamphlets, une floraison de rumeurs et de reproches visant les mœurs dissolues, la prodigalité, les fêtes fastueuses du souverain.

Le pouvoir royal est devenu une cible.

On le vise de toutes parts pour des raisons différentes : religieuses, féodales, morales, vindicatives ou même sociales – la disette serre souvent le peuple à la gorge et l'épidémie relaie la faim.

Situation d'autant plus difficile pour le roi qu'il a besoin d'argent, qu'il demande aux états généraux de lui voter des subsides alors même qu'on le critique et le conteste.

Il suffit d'un événement – l'évasion de Paris, en 1575, de François, frère du roi, et de Henri de Navarre, tous deux retenus prisonniers – pour que la tension se mue en nouvelle guerre.

Relaps, hérétique à nouveau, Henri, roi de Navarre, va devenir le chef et le protecteur des Églises réformées de France.

Ainsi s'aggrave une crise politique et nationale complexe où se conjuguent des déterminants divers et contradictoires. Ce sera là un des traits permanents de notre histoire : le pouvoir central est toujours contraint de tenir compte de forces qui souvent s'équilibrent, s'opposent entre elles. L'unité nationale, qui est pourtant un désir permanent, demeure précaire. L'autorité de l'État – dont la puissance pourtant se renforce d'autant plus que les tendances à l'éclatement sont puissantes – ne cesse d'être remise en cause.

Quand le pouvoir ne peut être le fédérateur de toutes les forces, il doit s'allier à certaines d'entre elles, au risque de voir toutes les autres se liguer contre lui.

Henri III choisit ainsi en 1576 – après des batailles perdues – de négocier avec les huguenots et de leur concéder des avantages considérables (édit de Beaulieu, 7 mai 1576).

Quatre ans seulement après le massacre de la Saint-Barthélemy, le culte de la nouvelle religion peut être célébré partout sauf à Paris.

Les huguenots non seulement peuvent conserver huit places de sûreté, mais ils seront représentés à égalité avec les catholiques dans les parlements.

Et, décision lourde de symbole, les victimes de la Saint-Barthélemy sont réhabilitées.

On mesure, à cet édit, combien les préoccupations politiques l'emportent, chez le roi, sur les engagements religieux. C'est son pouvoir et l'unité du royaume autour de sa personne qui comptent au premier chef.