Выбрать главу

Mais, par l'étendue des concessions consenties aux huguenots, il affaiblit sa position face aux catholiques.

Des ligues se constituent, fédérées par Henri de Guise. Et lorsque les états généraux se réunissent à Blois (1576), une majorité de parlementaires obligent Henri III à renoncer à l'édit de Beaulieu et lui refusent les subsides qu'il réclame.

Pis : la tentation est grande, chez nombre d'entre eux, de contester son pouvoir, même si la majorité craint l'éclatement du royaume.

En France, la conscience nationale est déjà persuadée qu'il n'est pire malheur que la rupture de l'unité du royaume.

C'est ce qu'exprime, dans ses Six livres de la République, Jean Bodin, quand il développe l'idée de la nécessité d'un pouvoir fort, au-dessus des factions, assurant l'unité nationale, et, en politique extérieure, l'indépendance.

Le pouvoir central – royal – était alors seul capable d'assurer ces deux conditions de la paix civile. Et la tolérance entre religions antagonistes sera possible à condition précisément que le pouvoir soit fort.

L'idée d'un pouvoir arbitre – et, à terme, laïque – commence ainsi à sourdre.

Et, contradictoirement, les partisans d'un pouvoir limité sont aussi les adversaires de la tolérance.

Voilà encore une spécificité française qui s'esquisse.

La logique de l'affrontement est encore la plus forte. Même si, durant quelques années, la guerre cède la place à des trêves, à des paix provisoires, à des édits de conciliation qui permettent, en 1578-1579, à Catherine de Médicis de visiter, en compagnie de Henri de Navarre, les provinces huguenotes dans l'espoir d'en obtenir des subsides – l'argent, ressort indispensable du pouvoir –, la situation est par trop dégradée pour qu'une paix véritable soit possible.

Disettes, tremblements de terre, inondations, épidémies et poussées de peste noire ravagent le royaume : on dénombrerait 50 000 victimes de l'épidémie rien qu'à Paris ! Et, dans les territoires qu'ils contrôlent, les Guises et Henri de Navarre se préparent à une nouvelle guerre.

Quand on apprend que le frère du roi, François, est mort, le 10 juin 1584, et que, Henri III n'ayant point de fils, c'est Henri de Navarre, chef des Églises réformées, qui est le seul héritier légitime de la couronne, les hostilités paraissent inéluctables. Les catholiques ne peuvent accepter d'avoir pour souverain un hérétique et un relaps.

C'est un nouvel abîme qui s'ouvre, où le royaume risque fort de basculer et d'être enseveli.

Une fois de plus s'opère la conjonction entre situation intérieure et politique extérieure.

Les Guises concluent un accord avec l'Espagne. C'est un grand projet politique contraire à celui qu'avait tenté de mettre sur pied Coligny en 1572. Il s'agit, avec l'appui de Philippe II (qui verse des subsides), d'extirper l'hérésie, de s'allier avec le Habsbourg pour faire la guerre aux « Gueux » des Pays-Bas et y assurer ainsi la domination de l'Espagne.

Naturellement, ce « parti de l'étranger » espère s'emparer en France du pouvoir royal.

Les Guises prétendent descendre de Charlemagne : ne valent-ils pas mieux qu'un roi de Navarre hérétique ? Ils peuvent compter sur la Sainte Ligue, qui a pris le contrôle de Paris.

On voit se développer en effet dans la capitale (à partir de 1576, et surtout de 1585) un vrai parti politique qui associe un catholicisme intransigeant à des aspirations et à des structures démocratiques.

Les « militants » – plusieurs milliers – sont encadrés par des « moines » ligueurs ; ils élisent des responsables de quartier. Un conseil des Seize les représente.

Cette conjonction d'une idéologie radicale et de la volonté populaire d'exercer directement le pouvoir annonce elle aussi une des lignes de force de l'histoire nationale.

La « propagande » condamne le « tyran » et ses mœurs. Elle appelle au tyrannicide.

Il n'a servi de rien à Henri III de se rallier aux positions des catholiques intransigeants (au traité de Nemours, en 1585), de ne laisser aux huguenots que le choix entre l'abjuration et l'exil, et d'interdire partout le culte protestant. On le soupçonne : n'est-il pas celui qui a, neuf ans auparavant, accordé aux mêmes hérétiques, par l'édit de Beaulieu, la possibilité pour leurs pasteurs de prêcher partout en France sauf à Paris ?

Or c'est Paris qui est le foyer le plus vif de l'intransigeance catholique. Là règne la Sainte Ligue, véritable mouvement populaire qui échappe en partie au contrôle des Guises, même si le peuple de la cité les suit.

Avantage considérable dans l'affrontement entre catholiques et huguenots, car chaque camp comprend que celui qui tient Paris peut l'emporter dans le reste du royaume. Condition nécessaire, en tout cas, même si elle n'est pas suffisante.

C'est également une donnée majeure de l'histoire nationale, et elle surgit avec force, en cette fin de xvie siècle, pour ne plus jamais s'effacer.

Mais Paris est d'autant plus difficile à maîtriser par le pouvoir que, peu à peu, la population parisienne, consciente de la symbolique de la ville (qu'on se souvienne de Clovis et de sainte Geneviève, de Philippe Auguste et d'Étienne Marcel), est toujours prête à manifester son indépendance. Elle est nombreuse, et le pouvoir s'en méfie. Le roi n'aime plus résider à Paris : Henri III lui préfère Blois.

Quand il envoie des troupes dans la capitale, même s'il affiche désormais un catholicisme aussi radical que celui de la Ligue, la ville se couvre de barricades (12 mai 1588).

Le peuple de Paris, ligueur, craint une Saint-Barthélemy des catholiques, et vient d'inventer ainsi son mode spécifique de protestation. Celui-ci se transmettra d'un siècle à l'autre, comme si les barricades devenaient un symbole et le mode d'expression de Paris, donc aussi de la France.

Quel choix politique peut faire Henri III ?

Les Guises ont ouvert la porte à l'Espagnol. Ils visent non seulement à affaiblir le pouvoir royal, mais à s'emparer du trône. Ce serait la fin de l'unité du royaume, de sa souveraineté – Philippe II subventionne les ligueurs et leur envoie des troupes –, de son indépendance. Le roi se rebelle. Le pouvoir monarchique, le sens de l'État, sont plus forts que l'appartenance religieuse.

Le 25 décembre 1588, Henri III organise à Blois l'assassinat des Guises – « À présent, je suis roi ! » s'écriera-t-il – et confirme que Henri de Navarre, l'hérétique, sera son héritier.

Pour les ligueurs, le souverain n'est plus qu'un « tyran Sardanapale » contre qui le tyrannicide est légitime.

Le 1er août 1589, le moine Jacques Clément éventrera d'un coup de poignard Henri III, qui, dans son agonie, confirmera son choix dynastique.

Henri de Navarre deviendra donc Henri IV, mais le monarque mourant lui demande de se convertir.

La France n'en a pas fini avec la guerre. Henri IV va devoir conquérir et son royaume et Paris.

Et le poète Agrippa d'Aubigné, qui, enfant de huit ans en 1560, fut témoin, à Amboise, des premiers massacres de huguenots, qui a combattu, a été blessé dans les rangs protestants, qui est devenu en 1573 l'écuyer de Henri de Navarre et est en 1589 encore à ses côtés, décrit l'état du royaume avec la compassion et la révolte désespérée d'un « patriote » :

Je veux peindre la France une mère affligée

Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée.

Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts

Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups

D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage

Dont Nature donnait à son besson l'usage.

.........................................................................

Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté

Le sein qui vous nourrit et qui vous a portés,