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Le 27 février 1594, il est sacré à Chartres, puisque Reims est encore aux mains des ligueurs.

À Pâques, il touchera les écrouelles. Il entrera dans Paris le 22 mars 1594, entendra un Te Deum à Notre-Dame avant de faire son entrée solennelle dans la capitale le 15 septembre.

Les politiques, les patriotes, tous ceux qui sont soucieux d'ordre social et qui veulent « recoudre » le tissu national, sont satisfaits.

Les villes se rallient à Henri IV.

Les garnisons espagnoles quittent le pays.

Les états généraux, qui voulaient contrôler le roi, sont discrédités.

Les Jésuites, accusés de prôner le tyrannicide, sont expulsés en 1594, et le pape, dans une cérémonie d'expiation à Rome, reconnaît l'abjuration de Henri IV et son retour au sein de la Sainte Église catholique.

Les Français, écrivent les partisans du roi dans des textes de propagande, ont refusé d'avaler le « catholicon d'Espagne », cette drogue étrangère qu'on voulait leur faire boire.

« Notre roi est maintenant catholique, il va à la messe, il faut le reconnaître et il ne faut plus que l'on nous trompe. »

Mais la souveraineté de Henri IV ne sera définitivement établie qu'après qu'il aura brisé les résistances armées des Guises en Bretagne (le duc de Mercœur) et en Bourgogne (le duc de Mayenne).

En fait, ces victoires militaires ne sont que de façade. Henri IV achète les ralliements. Le Trésor royal déboursera à cette fin 32 millions de livres.

L'unité du royaume se paie cher. C'est dire que si la raison l'emporte, si les « politiques » ont triomphé, en fait les divisions demeurent. On choisit l'équilibre, non l'adhésion enthousiaste.

Et il faut encore, pour empêcher les cicatrices de se rouvrir, en finir avec l'action de l'étranger.

Henri IV déclare la guerre à l'Espagne en sorte que l'unité nationale s'affirme aussi dans le combat contre les Habsbourg. Il est victorieux des Espagnols à Fontaine-Française, sur les bords de la Saône.

Mais les Espagnols assiègent Amiens, et la paix ne sera conclue que le 2 mai 1598, à Vervins.

Henri IV a pu signer à Nantes un traité avec les huguenots (30 avril 1598).

Moment important dans la construction de l'âme de la France. En refusant d'envoyer des renforts alors que les Espagnols assiégeaient Amiens, les huguenots ont montré leur détermination, leur amertume, leurs réticences face à ce roi qui a abjuré leur foi, même si de nombreux pasteurs ont fait le même choix que lui. L'édit de Nantes – ville ligueuse ! – leur accorde la liberté de conscience, l'égalité des droits, la liberté de culte, et des articles secrets leur assurent d'une part le versement par le roi de 45 000 écus par an – les pasteurs en exercice seront payés –, d'autre part le contrôle de 150 villes qui seront des « refuges de sûreté » possédant une garnison dont le souverain sera le gouverneur et dont il paiera l'entretien.

Les huguenots constituent ainsi un État dans l'État.

C'est dire que l'édit de Nantes n'est qu'un traité de compromis, de paix civile. Il marque cependant la difficile naissance, à l'avenir incertain, d'une exception française : l'acceptation de la coexistence, en un seul royaume, de deux religions ; et donc, en germe, la séparation de la religion et de l'État.

Quelles que soient les arrière-pensées des uns et des autres, les soupçons, les regrets des catholiques devant l'hérésie qui, loin d'être « extirpée », est ainsi reconnue, et les amertumes inquiètes des protestants face à ce monarque qui les a reniés, un sillon commence à être tracé.

Il n'est pas encore profond.

On pense toujours qu'un royaume n'est réellement uni que si tous les sujets du roi partagent avec lui la même foi, qui ne saurait être que catholique.

Mais l'amorce de ce sillon existe, et une graine fragile y a été semée.

23.

À peine douze années séparent la signature de l'édit de Nantes, le 30 avril 1598, et ce 14 mai 1610, quand, à Paris, dans l'étroite rue de la Ferronnerie, vers six heures de l'après-midi, François Ravaillac – « la barbe rousse et les cheveux tant soit peu dorés » – profite d'un arrêt du carrosse royal pour tuer de deux coups de poignard Henri IV, que les poètes de la Cour avaient comparé à Mars, à Hercule, à Charlemagne, et qu'ils avaient surnommé Henri le Grand.

Même si Ravaillac n'a été le bras armé d'aucune conspiration, cet acte criminel révèle le rapport complexe que les Français entretiennent désormais avec leur roi.

Depuis le début des guerres de Religion, des moines, des prédicateurs – curés ou pasteurs –, ont légitimé le tyrannicide. Il faut châtier l'hérétique ou le huguenot qui a abjuré, et Henri III a succombé aux poignards. La personne du roi est certes « sacrée ». Y attenter est donc « sacrilège ». Mais, en même temps, elle peut être « sacrifiée » afin d'expier ses fautes. Et le régicide est célébré comme un martyr : le moine Jacques Clément, assassin de Henri III, a été sanctifié par les moines ligueurs.

Il y a ainsi un double mouvement contradictoire autour de la personne du roi.

Celui-ci renforce ses pouvoirs, et jamais souverain n'a été plus encensé que ne l'est Henri IV, mais l'idée s'est peu à peu répandue qu'on pouvait le punir de mort – ce qui est fait. Ou le désigner, le renvoyer, cela qui a été réclamé par les états généraux, même si cette éventualité n'est jamais devenue réalité. Cependant, l'hypothèse demeure dans les grimoires et les mémoires.

Et personne ne l'oublie.

Ainsi, lorsque Henri IV s'emploie à affirmer et élargir son autorité, les parlements résistent et il doit faire plier chacun d'eux afin qu'il enregistre l'édit de Nantes.

C'est dire que les parlementaires – comme la majorité de la population – n'admettent pas que des sujets du roi pratiquent une religion différente de celle de leur souverain, et que cette communauté ait obtenu des garanties – juridiques et même militaires – particulières à ce sujet.

Ces réticences révèlent que les guerres de Religion marquent le début d'une ère du soupçon entre le monarque et son peuple.

Certes, Henri IV s'impose avec habileté et détermination.

Il dit aux parlementaires : « Je couperai la racine à toute faction et à toute prédication séditieuses. »

Il sait bien que les universités et les assemblées du clergé condamnent l'édit de Nantes. Lorsqu'elles invoquent la papauté, il les admoneste :

« Être bien avec le pape ? J'y suis mieux que vous ; je vous ferai tous déclarer hérétiques pour ne me pas obéir ! »

Et, habilement, il accepte le retour des Jésuites dans le royaume, et choisit pour confesseur le père Coton, membre de la Compagnie.

Cette concession ne le conduit pas pour autant à admettre l'application des décrets du concile de Trente. La France « gallicane » ne s'ouvrira que difficilement à la Contre-Réforme, et s'affirme ainsi une particularité française : le royaume est catholique, mais proclame son indépendance à l'égard de la théologie – et de la politique – vaticanes.

Henri IV répète qu'« un roi n'est responsable qu'à Dieu et à sa conscience ».

Il faut que les décisions et les actes du monarque confirment cette souveraineté qui ne se reconnaît que des limites divines et personnelles.

Dès lors, la glorification de la personne du souverain et de sa politique est essentielle.

Les poètes officiels – François de Malherbe –, les sculpteurs, les architectes, les peintres, s'emploient à exprimer, à illustrer, à construire la « représentation » du roi :

La rigueur de ses lois, après tant de licence,

Redonnera le cœur à la faible innocence,

écrit Malherbe dans sa Prière pour le Roi Henri le Grand.

La terreur de son nom rendra nos villes fortes,