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Si l'on ajoute que Richelieu a dû renoncer à mettre fin à la vénalité des offices, à l'impôt de la paulette qui les rend héréditaires, on mesure combien la monarchie absolutiste est en même temps comme un Gulliver pris dans la toile d'araignée de ses besoins d'argent. Elle est dans la main des prêteurs, eux-mêmes attachés à cette monarchie qui les prive du pouvoir politique mais qu'ils financent et qui leur paie des « rentes », qui crée des offices de plus en plus nombreux pour les leur faire acheter puis transmettre.

Ainsi se ramifie la structure d'une société où le propriétaire d'un office préfère le prestige de sa fonction, de son titre, de la rente, aux aventures du commerce et aux risques de l'investissement dans les grandes compagnies.

Ankylose française au moment où Hollandais et Anglais courent les mers du monde.

Cependant, le royaume est riche, il demeure le plus puissant et le plus peuplé d'Europe. Il met sur pied six armées. Et même si, en 1636, Corbie est assiégée, les cavaliers espagnols parvenant à Pontoise, la nation ne cède pas. Le patriotisme conduit plus de trente mille volontaires à se rassembler pour défendre Paris. Au bout de sept années, cette guerre commencée en 1635 permet aux troupes royales de conquérir Arras, Bapaume, le Roussillon, Perpignan.

La Gazette (créée en 1631 par Théophraste Renaudot), l'Académie française, conçue par Richelieu dès 1635, exaltent ces victoires. Car c'est le rôle des écrivains, des « gazettes », de chanter la gloire du souverain et la grandeur du royaume.

Le régime absolutiste est un tout : la littérature – Le Cid est joué en 1636, année de Corbie – et la peinture doivent concourir à la célébration de la France et de son monarque.

L'Académie française est l'illustration de cette volonté politique de rassembler les sujets autour du pouvoir royal et de conforter le patriotisme.

On ignore les libertins (au sens d'incroyants), et le baroque cède peu à peu la place au classicisme.

Certes, il ne se passe pas d'année, entre 1624 et 1643, sans qu'il y ait une jacquerie, une émeute paysanne, une révolte dans les villes, ainsi à Dijon, Aix-en-Provence, Lyon, Rouen.

Que ce soit en Quercy, en Saintonge, en Angoumois, en Poitou – en 1636, année de Corbie –, que les rebelles se nomment « croquants » en Périgord ou « va-nu-pieds » en Normandie, il s'agit toujours de protester contre les hausses d'impôts, l'augmentation des taxes, et, souvent, des « privilégiés » soutiennent ces mouvements parce que eux-mêmes perdent peu à peu de leur pouvoir au bénéfice des « intendants de police, de justice et de finance ».

Mais on ne s'attarde pas sur la misère des humbles ni sur les malheurs de la guerre.

Ce ne sont pas les gravures de Callot montrant les grappes de pendus aux arbres, sur les champs de bataille, qu'on retient, mais les écrits d'académiciens français « célébrant les victoires des armées du roi ».

On s'inquiète pourtant, à la mort de Louis XIII, le 14 mai 1643. Son fils, né en 1638, n'est âgé que de quatre ans et huit mois.

Le temps des troubles va-t-il revenir ?

Depuis le 5 décembre 1642, sur la recommandation de Richelieu, Louis XIII a fait du cardinal Jules Mazarin son principal ministre et le parrain de son fils, le futur Louis XIV.

26.

Quand le pouvoir s'affaiblit, il redevient une proie que tous cherchent à dépecer.

Dans la monarchie française déjà absolutiste au milieu du xviie siècle, c'est la force du roi qui fait la force de l'État.

Or voici que l'histoire semble se répéter, offrir l'occasion d'une revanche aux grands, aux parlementaires, à tous ceux qui avaient dû ployer l'échine devant Louis XIII régnant de concert avec Richelieu.

Le Cardinal avait cherché et réussi à « rabaisser l'orgueil des grands ». Ils le revendiquent et se redressent.

Le roi n'est-il pas qu'un enfant ?

Et pourquoi respecter cette Anne d'Autriche, espagnole, reine mère comme l'avait été Marie de Médicis, l'Italienne gouvernant avec Concini, déjà un Italien comme l'est ce principal ministre légué par Richelieu à Louis XIII et à Anne d'Autriche, ce cardinal tonsuré mais non ordonné prêtre, Giulio Mazarini ?

Le pouvoir semble d'autant plus chancelant qu'Anne d'Autriche, pour obtenir la plénitude de la régence, fait casser par le parlement de Paris, dans un lit de justice, le testament de Louis XIII en même temps qu'elle confirme Mazarin dans ses fonctions.

Il suffit de quelques mois pour qu'une « Cabale des Importants », animée par le duc de Beaufort (petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées), envisage d'assassiner Mazarin.

Louis XIII n'avait-il pas laissé tuer Concini et supplicier Leonora Galigaï ? La « Cabale des Importants » est démasquée, Beaufort, emprisonné, mais le ton est donné.

Mazarin sera la cible, puisque, entre une reine mère étrangère et un Louis XIV encore enfant, il est le seul capable, et pour plusieurs années, de diriger l'État et de faire face.

Pour l'abattre, puisqu'on n'a pu l'assassiner, on va le larder de toutes les calomnies, de toutes les accusations.

Plus de quatre mille pamphlets – des mazarinades – seront publiés contre lui.

Il est, dit-on, le suborneur d'Anne d'Autriche. Il est porteur du « mal de Naples » – la syphilis –, et adepte du « vice italien », l'homosexualité.

Il pille à son profit les caisses du royaume – ce qui est vrai. Sa fortune est si grande qu'il achète des œuvres d'art par centaines – elles rempliront le musée du Louvre.

Par une politique matrimoniale minutieusement calculée, il place ses trois neveux et ses six nièces, les filles de sa sœur Mancini. Et, avec cela, habile, séducteur, grand manœuvrier, continuant la politique de Richelieu avec une égale obstination dissimulée sous des manières douces.

Mazarin illustre ainsi cette particularité française : admettre que des « étrangers » puissent servir le pouvoir au plus haut niveau de l'État.

Ces hommes qui parfois – comme Mazarin – parlent maladroitement le français deviennent des « patriotes » attachés aux intérêts du roi, soucieux de contribuer à la grandeur de la nation.

Remarquable capacité du pays – de l'État monarchique et plus tard républicain – de s'ouvrir. Car il ne s'agit pas là de la conséquence d'une pratique « féodale » pour laquelle les nationalités ne seraient pas encore définies, mais bel et bien d'un trait spécifique de la nation française.

D'ailleurs, ce n'est pas d'abord l'« étranger » qu'on attaque, mais le principal ministre, celui qui incarne la politique absolutiste, la guerre qui se poursuit contre l'Espagne catholique. Car si les protestants ont été réduits au silence par Richelieu, le parti dévot est toujours aussi puissant, toujours aussi hostile à la politique étrangère qui dresse la France contre les Habsbourg de Madrid et de Vienne.

Les parlementaires sont les plus déterminés. Ils ne sont pas sensibles à la victoire de Condé à Rocroi (le 19 mai 1643), puis aux succès du même Grand Condé et de Turenne sur la Moselle et le Rhin (Fribourg, Nördlingen), ou dans le Nord (prises de Furnes et de Dunkerque).

Ils sont dressés contre la monarchie absolutiste, contre les impôts, les taxes que le pouvoir veut prélever, la guerre dévorant l'argent.

Un des traits majeurs de l'histoire nationale réside en effet dans cette question financière.

Les caisses de l'État, qui mène une grande politique, sont toujours vides. Il épuise les recettes fiscales des années à venir. Endetté, il pressure les plus pauvres.