Mal endémique, révoltes dans toutes les provinces, misère accablante à laquelle s'ajoutent les malheurs de la guerre et les poussées de la peste.
Les grands et les parlementaires conduisent leurs « frondes » contre le pouvoir, mais ce sont les humbles qui pâtissent des récoltes saccagées, des pillages perpétrés par la soldatesque.
En Champagne, « toutes les églises et les plus saints mystères sont profanés, les ornements pillés, les fonts baptismaux rompus, les prêtres ou tués ou maltraités ou mis en fuite, toutes les maisons démolies, toute la moisson emportée, les terres sans labour et sans semence, la famine et la mortalité presque universelles, les corps sans sépulture et exposés la plupart à servir de curée aux loups. Les pauvres qui restent de ce débris sont presque tous malades, cachés dans des cabanes découvertes ou dans des trous que l'on ne saurait presque aborder, couchés la plupart à plate terre ou sur la paille pourrie, sans linge ni habits que de méchants lambeaux. Leurs visages sont noirs et défigurés, ressemblant plutôt à des fantômes qu'à des hommes. »
Ce n'est pas cette situation cruelle qui pousse les parlementaires, en 1644, en 1648, en 1650, ou les grands, de 1650 à 1653, et les assemblées du clergé et de la noblesse, en 1650 et 1651, à conduire contre le pouvoir royal qu'incarne Mazarin la Fronde parlementaire ou la Fronde des princes.
Il s'agit, pour ces « élites » qui détiennent la richesse, les offices, le prestige, d'arracher à la monarchie absolutiste la réalité du pouvoir et de sauvegarder, de reprendre ou de multiplier leurs privilèges.
Cette opposition entre le pouvoir royal et les privilégiés est profonde et renaissante.
Mais la position des grands et des parlementaires est difficile à tenir, car d'autres forces entrent dans le jeu : pauvres des villes, artisans, ouvriers, apprentis, domestiques, appartenant à des couches sociales qui n'ont pas de biens à défendre ou à arrondir, mais qui veulent obtenir de quoi survivre.
Et les parlementaires comme les grands craignent par-dessus tout ces « sans-culottes », et à la fin les liens d'intérêt et la solidarité qui unissent les privilégiés au roi, en dépit de leurs divergences, l'emportent.
Ce jeu complexe des forces politiques et sociales structure notre histoire nationale.
On l'a déjà vu à l'œuvre plusieurs fois. Qu'on se souvienne d'Étienne Marcel (1358), ou des guerres de Religion, notamment à Paris.
Il ne peut que se reproduire.
Les besoins financiers d'un l'État absolutiste s'accroissant, il multiplie les créations d'offices, renforce les « corps intermédiaires » qu'il dépouille de tout pouvoir, mais dont il dépend. Dans le même temps, il s'endette, augmente les impôts, ce qui unit un temps contre lui toutes les couches de la société. La réunion des états généraux devient alors une revendication commune. Les derniers se sont tenus en 1614. On les réclamera à nouveau en 1651, mais ils ne se réuniront que quelque cent quarante ans plus tard, à la fin du xviiie siècle. Ce sera en 1789.
Ce qui est chaque fois en question, c'est la nature même du pouvoir, et donc le visage de la nation.
Ainsi, quand, le 13 mai 1648, le parlement de Paris invite les autres cours souveraines à se réunir à lui, les propositions élaborées visent à en finir avec l'absolutisme, à placer la monarchie sous la tutelle des parlementaires, c'est-à-dire à garantir aux membres des cours le pouvoir – et les privilèges – dont le souverain entend conserver ou s'arroger le monopole.
C'est déjà là une « réaction » nobiliaire et parlementaire. Les parlementaires veulent révoquer les intendants et les commissaires que les cours souveraines n'auront pas légitimés.
Le roi ne saurait de même, sans leur autorisation, créer des taxes et des impôts nouveaux.
Les sujets du royaume ne pourraient être détenus plus de vingt-quatre heures sans être déférés devant leurs juges.
En outre, le pouvoir ne pourrait plus fixer les conditions de la transmission des offices ou de leur création.
Les prérogatives de l'État absolutiste seraient transférées à ces parlementaires, propriétaires de leurs charges, privilégiés par excellence.
Or ces corps intermédiaires, qui détiendraient le pouvoir réel, ne sont évidemment pas représentatifs de la société. Les croquants du Rouergue, les rebelles de Bordeaux, les miséreux de Champagne, victimes des mauvaises récoltes ou de la soldatesque, ne sont pas concernés par ces revendications.
Cependant, quand Mazarin, qui se croit renforcé par la victoire de Condé à Lens, le 20 août 1648, ordonne l'arrestation, le 26, de parlementaires – dont le populaire conseiller Broussel –, la population parisienne dresse plus de 1 500 barricades (28 août). Et le pouvoir recule, libérant les parlementaires incarcérés et fuyant Paris pour Saint-Germain dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649.
La capitale échappe une fois de plus au pouvoir royal, mais laisse, face aux parlementaires et aux grands qui les ont rejoints, ce « peuple » que les « élites » sociales craignent tant.
Et d'autant plus que l'exemple anglais – avec Cromwell et la décapitation de Charles Ier, marié à une sœur de Louis XIII, Henriette, réfugiée en France – montre le danger qu'il y a à laisser se déchaîner contre le pouvoir royal la colère populaire. Les parlementaires signent donc avec le roi la paix de Rueil – 11 mars 1649 –, et, en août, la Cour peut rentrer à Paris.
La partie n'est pas terminée pour autant.
La Fronde des grands (Condé, Gondi de Retz) se déchaîne à son tour de 1650 à 1653. Les assemblées du clergé et de la noblesse réclament la convocation des états généraux.
Les parlementaires rentrant en scène, la tête de Mazarin est mise à prix (150 000 livres), car il est un « perturbateur du repos public ». La haine contre lui est attisée par les milliers de mazarinades : « Adieu, cause de nos ruines ! Adieu, l'abbé à vingt chapitres ! Adieu, seigneur à mille titres ! Allez sans jamais revenir ! » Et on lui promet le sort de Concini, puisqu'il est présenté comme le responsable de tous les maux du royaume, et d'abord de la création des nouvelles taxes contre lesquelles les Parisiens se sont révoltés en dressant leurs barricades.
Mais cette révolte populaire affaiblit les frondes plus qu'elle ne les renforce, car elle fait craindre des désordres sociaux, des revendications extrêmes mettant en cause les biens des « élites » mutinées.
Celles-ci s'étaient déployées parce que le pouvoir royal était affaibli.
Or il a remporté des succès.
Le traité de Westphalie a mis fin le 24 octobre 1648 à la guerre avec les Impériaux. Le royaume y gagne l'Alsace, moins Strasbourg.
Surtout, le 7 septembre 1651, Louis XIV est proclamé majeur, et ce simple fait relégitime le pouvoir. Le roi en est la clé de voûte. Par sa seule accession à la majorité, qui marque la fin de la régence, il rassemble autour de sa personne.
La France est attachée à la symbolique du pouvoir royal. Une procession manifeste cette adhésion populaire.
Mais les princes et les parlementaires les plus déterminés persistent encore dans leur opposition. C'est l'ultime partie.
Condé rejoint la Guyenne, se range aux côtés des révoltés qui se sont emparés de Bordeaux. Puis il regagne Paris, et ses partisans s'opposent, porte Saint-Antoine (juillet 1652), aux troupes royales qui veulent entrer dans la capitale.
Un pouvoir insurrectionnel est créé, des centaines d'exécutions ont lieu, la terreur s'installe. Par une manœuvre habile, le roi fait mine d'exiler Mazarin.
Ce dernier épisode – une sorte de simulacre – montre cependant la vigueur et l'enracinement des contradictions entre la monarchie absolue et les corps intermédiaires associés aux princes.