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La victoire de Louis XIV, qui peut enfin rentrer à Paris en octobre 1652, puis le retour de Mazarin, acclamé par la population de la capitale le 30 janvier 1653, ne doivent pas dissimuler le fait que les problèmes demeurent.

Les « élites » françaises sont divisées. Les uns se rangent derrière la monarchie absolutiste et sont favorables au renforcement de l'État. Les autres rêvent d'un gouvernement de l'aristocratie et des parlementaires, d'une monarchie bridée par les corps intermédiaires.

Le désir de paix des populations appauvries et le patriotisme ont pesé de façon déterminante sur la fin de ces frondes.

Condé, par un véritable acte de trahison, s'est mis au service des Espagnols. Mais il est battu par les troupes de Turenne (en 1658, aux Dunes).

L'opposition parlementaire est matée.

Les dévots, engagés dans une guerre théologique contre les jansénistes (Pascal publie les Provinciales en 1657), ne protestent guère contre la conclusion d'un traité entre Mazarin et... Cromwell (1654) ! Et toute la nation est satisfaite de la fin de la guerre avec l'Espagne, conclue par le traité des Pyrénées le 7 novembre 1659.

Le royaume s'agrandit de l'Artois, de la Cerdagne et du Roussillon. Condé est pardonné. Surtout, le mariage de l'infante Marie-Thérèse d'Espagne et de Louis XIV est annoncé. L'infante doit remettre une dot de 500 000 écus d'or en échange du renoncement des époux au trône d'Espagne.

Ce « mariage espagnol », le traité des Pyrénées signé après celui de Westphalie, renversent la situation de la France en Europe.

Malgré les Habsbourg et contre eux, elle a établi sa prépondérance.

Les deux traités ont d'ailleurs été rédigés en français, non en latin.

Le 26 août 1660, Louis XIV et Marie-Thérèse font leur entrée solennelle dans Paris au milieu des acclamations.

Le 9 mars 1661, Mazarin meurt.

Cet Italien honni, calomnié, a poursuivi l'œuvre de Richelieu. Il n'a certes jamais oublié son clan familial. Stratège habile, il a fait de Louis XIV le légataire universel de son immense fortune, sachant que le roi va refuser la succession de son parrain. Et c'est Colbert, le financier de Mazarin, qui la règle.

Mais le jeune monarque et l'État sont les bénéficiaires de l'héritage politique que Mazarin a accumulé pour le service de la France.

Louis XIV peut régner.

3

LE GRAND SOLEIL FRANÇAIS

1661-1715

27.

« La face du théâtre change », dit Louis XIV à ses ministres et secrétaires d'État, le 10 mars 1661, lendemain de la mort de Mazarin.

Ce roi de vingt-trois ans, qui s'adresse aux membres de son Conseil, debout, le chapeau sur la tête, est impatient de régner.

Il ajoute :

« Je vous défends de rien signer, pas une sauvegarde, pas un passeport sans mon ordre, de me rendre compte chaque jour à moi-même et de ne favoriser personne. »

Ce roi veut tout voir, tout contrôler, tout décider.

« C'est par le travail que l'on règne, ajoute-t-il. C'est pour cela que l'on règne. »

Chaque jour, et durant les cinquante-quatre années de son gouvernement personnel, jusqu'à la veille de sa mort – le 1er septembre 1715 –, il accomplit avec ponctualité et gravité son « métier de roi ».

Dans chacune de ses paroles, de ses écrits, de ses décisions, de ses postures, il est l'incarnation de l'absolutisme.

Ce qui était en germe dès les origines de la monarchie française, que les hésitations des monarques, la vigueur des résistances des grands, des féodaux, des parlements, des cours souveraines, avaient empêché de l'emporter, atteint avec Louis XIV sa pleine maturité.

Dans tous les aspects de la vie nationale, cet absolutisme s'impose. Richelieu et Mazarin ont renversé les derniers obstacles au terme de guerres et de frondes qui ont marqué l'enfance et l'adolescence de Louis XIV.

Sa volonté d'exercer un pouvoir absolu est aussi le fruit d'une expérience douloureuse. Il prend sa revanche. Il se défie de tous. Il a connu les conspirations de ses plus proches parents. Il a affronté la Fronde des princes et celle des parlementaires. Il a subi la trahison de Condé. Il a dû fuir Paris. Et il ne peut pas aimer cette capitale dont la population, depuis des siècles, soutient les adversaires du roi et dresse des barricades.

La détermination de Louis XIV et la longueur de son règne font de cet absolutisme l'une des données majeures de l'histoire nationale. Pour le meilleur et pour le pire, il est au cœur de l'âme de la France.

Et ce d'autant plus que Louis XIV ne cherche en rien à dissimuler le principe absolutiste de son règne, mais qu'au contraire il l'affiche avec force, il le revendique comme l'essence même du pouvoir monarchique.

Le roi n'est-il pas choisi et jugé seulement par Dieu ? Voilà qui fonde l'absolutisme.

« Celui qui a donné des rois aux hommes, écrit Louis XIV, a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à lui seul le droit d'examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet obéisse sans discernement. »

Nul ne peut contester, juger, refuser d'appliquer une décision du souverain.

Aucune autorité n'existe en dehors de la sienne. Aucune assemblée – même celle du clergé, et même le pouvoir pontifical –, aucune cour, aucun parlement, et naturellement pas les états généraux ne peuvent se dresser contre le roi, ou simplement l'interroger.

« Il est Dieu, dit une cousine de Louis XIV. Il faut attendre sa volonté avec soumission et tout espérer de sa justice et de sa bonté, sans impatience, afin d'en avoir plus de mérite. »

Plus aucun corps intermédiaire, plus aucune fonction n'existent hors de la volonté royale.

Les maires des villes, les gouverneurs des provinces, les évêques, sont désignés par le monarque, ou, si leurs nominations échappent à son autorité, ils perdent tout pouvoir. Un lieutenant général de police – celui de Paris, La Reynie – restera en poste de 1667 à 1697. Un intendant de police, de justice et de finance, et les subdélégués au service de celui-ci, sont les agents d'exécution des volontés royales.

L'armée – jusqu'alors aux mains des nobles, propriétaires des grades – devient un rouage essentiel de la monarchie absolutiste. Elle est l'instrument de sa politique étrangère, mais aussi de la répression contre ceux qui se rebellent. Elle est puissante : 67 000 hommes en 1677, 400 000 en 1703. La flotte passe de 18 navires en 1661 à 276 en 1683 !

Des officiers roturiers sont nommés au mérite, leurs grades échappant ainsi à la vénalité des offices.

L'armée est aux ordres exclusifs du roi. Et l'hôtel des Invalides accueille ceux des soldats qui ont été blessés à son service.

Tout est dans les mains du souverain.

Ainsi les Conseils du roi qui se réunissent quotidiennement. Ainsi le Conseil étroit (en présence du monarque), les intendants des provinces, mais aussi les académies créées par Colbert – surintendant des finances et des bâtiments – autour de l'Académie française (Académies des inscriptions et belles-lettres, des sciences, de musique, d'architecture).

L'image de ce pouvoir personnel est Versailles, où la Cour symbolise par sa soumission, son étiquette réglée comme celle d'une cérémonie religieuse, que le roi est au-dessus de tous et que chacun lui doit une obéissance servile.

Hors de son autorité – et de son regard –, personne n'existe.

L'âme de la France est modelée par cette servitude exigée qui devient vite volontaire. Le « fonctionnement » du gouvernement de la France, de toute la société, est déterminé par une « volonté » unique, celle du monarque, qui élève ou brise au gré de son « bon vouloir », de son intérêt dynastique ou de la vision qu'il a de l'intérêt du royaume.