Le roi peut donc gouverner selon son « bon plaisir », qui est aussi, par nature, le choix propre à assurer sa gloire et celle du royaume.
Dans le pouvoir absolu, il n'y a pas séparation entre les désirs du monarque et les besoins de la nation.
Tout gouvernement de la France sera plus ou moins consciemment l'héritier de cette conviction et de cette pratique absolutiste dont Louis XIV a imprégné l'âme de la France.
Le roi en fait le ressort de sa politique religieuse et de sa politique étrangère.
Il s'agit là des deux domaines où il est confronté à d'autres pouvoirs éminents : ceux du pape et des autres souverains.
Il veut affirmer face au pape son autonomie, alors qu'il est le Roi Très-Chrétien de la fille aînée de l'Église, et montrer aux autres monarques qu'il leur est supérieur.
En 1682, dans la Déclaration des quatre articles, Louis XIV s'arroge notamment le droit de nomination des évêques, exaltant ainsi le « gallicanisme » traditionnel de l'Église de France.
Il affirme : « Les rois et les souverains ne peuvent être soumis par ordre de Dieu à aucun pouvoir ecclésiastique dans les choses temporelles, ni déposés directement ou indirectement par l'autorité des chefs de l'Église, ou leurs sujets dispensés de foi et d'obéissance et déliés de leur serment de fidélité. »
Dans cette compétition de pouvoir entre le roi et le pape, Louis précise que les conciles sont supérieurs au souverain pontife et qu'il ne saurait donc être question d'infaillibilité pontificale.
Le pouvoir absolu se veut seul de son espèce.
Le roi de France est supérieur à tous les autres.
L'âme de la France se grisera de ces certitudes.
Le roi peut à sa guise, selon son bon plaisir, mettre fin à la « paix établie » avec ses voisins.
« Tout était calme en tous lieux, reconnaît-il. Vraisemblablement pour autant que je le voudrais moi-même. »
Mais le veut-il ?
« Mon âge et le plaisir d'être à la tête de mes armées m'auraient fait souhaiter un peu plus d'affaires au-dehors », admet-il encore.
C'est qu'il s'agit de sa gloire.
Et à Londres comme à Rome, pour des questions de préséance, ou après un incident diplomatique, il réagit en affirmant sa prééminence et en obtenant réparation.
« Je ne sais si depuis le commencement de la monarchie il s'est jamais passé rien de plus glorieux pour elle, écrit Louis XIV. C'est une espèce d'hommage de roi à roi, de couronne à couronne, qui ne laisse plus douter à nos ennemis mêmes que la nôtre ne soit la première de la chrétienté. »
En 1664, six mille soldats français iront combattre aux côtés des Impériaux et seront victorieux des Turcs au Saint-Gothard.
C'est manière d'affirmer que le roi de France peut agir dans toute l'Europe selon sa volonté, et qu'il ne craint ni les Habsbourg de Vienne ni ceux d'Espagne.
À la mort du roi d'Espagne, Louis XIV réclame les biens de Marie-Thérèse, son épouse, dont la dot n'a pas été versée par Madrid. C'est la guerre de Dévolution (1667-1668). La France obtient Lille, Tournai et Douai au traité d'Aix-la-Chapelle.
De 1672 à 1679, il mène la guerre contre la Hollande, la plus grande puissance marchande d'Europe et donc du monde. Les peintres, les écrivains, les musiciens, Racine, l'historiographe du roi, célèbrent le « passage du Rhin » à Tolhuis, le 16 juin 1672.
Mais la guerre est longue, coûteuse, incertaine malgré les victoires de Condé et de Turenne. Louis XIV et la Cour sont présents sur le front. La guerre est pour eux un grand jeu glorieux qui enfle l'endettement de l'État. Mais la gloire n'a pas de prix, et le royaume s'agrandit de la Franche-Comté au traité de Nimègue, en 1679.
La prépondérance française – déjà inscrite dans les traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659) – en sort renforcée.
Qui pourrait dès lors s'opposer à la politique de « réunion » de villes au royaume de France – Strasbourg en 1681 –, qui ne sont que des annexions masquées par des arguties juridiques, voire des coups de force que l'armée et le royaume le plus puissant d'Europe imposent ?
Ceux qui ne se plient pas doivent méditer le sort de Gênes, bombardée par la flotte française qui l'écrase sous dix mille bombes incendiaires (19 mai 1684) pour la punir d'avoir fourni des galères à l'Espagne.
À Ratisbonne (15 août 1684), une trêve est conclue entre l'empereur, l'Espagne et Louis XIV : le roi de France est l'arbitre de l'Europe. Non seulement il paraît capable d'imposer sa loi à tous les autres royaumes, mais il est un « modèle ».
La langue française est devenue la langue diplomatique. Versailles et sa Cour sont imités dans toute l'Europe.
Cette prééminence fait naître parmi les élites, puis parmi le peuple français, un sentiment de supériorité, d'impunité, même, qui va caractériser l'âme de la France.
En 1683, quand meurent l'épouse de Louis XIV, Marie-Thérèse, et Colbert, qui a été le bon ouvrier de l'absolutisme, Louis XIV est dans la plénitude de sa force. Il n'a que quarante-cinq ans.
Il est le Roi-Soleil.
28.
La mort, en 1683, a donc commencé à rôder dans les galeries du château de Versailles inachevé où le roi et sa Cour se sont installés.
Le soleil brille encore, mais il est froid comme dans un précoce automne qui annonce un hiver rigoureux.
L'absolutisme a sa logique. Il veut tout dominer : les grands, les humbles, les États étrangers. Comment accepterait-il qu'une minorité conserve ses croyances, continue de se rassembler autour de pasteurs formés en Angleterre, dans les Provinces-Unies, ces puissances ennemies du royaume, et à Genève ?
« Je crus au début, dit Louis XIV, que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était de ne les point presser du tout par quelques rigueurs nouvelles, de faire observer ce qu'ils avaient obtenu sous les règnes précédents, mais aussi de ne leur accorder rien de plus et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance le pouvaient permettre. »
Les intendants, dans les provinces, serrent le lacet, appliquent les édits qui restreignent ou interdisent le culte protestant. Les huguenots ne peuvent exercer certains métiers et n'ont pas l'accès à la maîtrise.
Une Caisse de conversion est créée pour les inciter à quitter la religion prétendument réformée et à rejoindre celle du roi, censée être celle de tous les sujets du royaume.
L'émigration est contrôlée.
Un édit royal – du 14 juillet 1682 – interdit aux sujets de quitter la France pour s'installer à l'étranger sans en avoir obtenu l'autorisation.
Parce qu'il est le plus centralisé, le plus administré d'Europe, le royaume de France esquisse avant tous les autres certaines des formes totalitaires de l'État.
On est condamné pour son être ou sa foi avec une rigueur qui devient peu à peu implacable, les rouages de l'État gagnant en efficacité et les édits royaux étant appliqués dans toutes les provinces.
Le seul fait d'être bohémien est ainsi un délit.
Les agents du roi doivent « faire arrêter tous ceux qui s'appellent bohémiens ou égyptiens, leurs femmes, enfants et autres de leur suite, faire attacher les hommes à la chaîne des forçats pour être conduits dans nos galères et y servir à perpétuité ; et à l'égard de leurs femmes et filles, ordonnons de les faire raser la première fois qu'elles auront été trouvées menant la vie de bohémienne, et de faire conduire, dans les hôpitaux les plus prochains des lieux, les enfants qui ne seront pas en état de servir dans nos galères, pour y être nourris et élevés comme les autres enfants qui y sont enfermés ».
Une ordonnance de 1684 décide que tous les déserteurs des troupes ne seront plus exécutés, « mais condamnés à avoir le nez et les oreilles coupés, à être marqués de deux fleurs de lis aux joues, et à être rasés et enchaînés pour être envoyés aux galères ».