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L'âme de la France s'accoutume à cette violence étatique, à cette discrimination des individus en fonction non seulement de la faute commise, mais de leur qualité, de leur origine, de leur confession.

Cette mise à l'Index de certaines catégories de sujets, puis cette sélection en fonction de la « race », de la « foi », et la traque des « exclus », doivent se conclure par une peine dont l'exécution sert le royaume : la flotte royale a besoin de bras pour la chiourme de ses galères !

C'est aussi parce que le contrôle par l'État absolutiste veut s'étendre à tous les domaines, régenter les différentes activités du royaume, qu'est édictée en 1685 l'ordonnance coloniale, ou Code noir, « touchant la police des îles de l'Amérique ».

Il s'agit de définir les droits et devoirs des propriétaires d'esclaves dans les colonies françaises des Antilles : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue.

La traite négrière transporte dans des conditions inhumaines des milliers d'Africains vers ces îles où les plantations de canne à sucre se sont étendues et où leur production donne naissance à un commerce fructueux, « triangulaire », entre l'Afrique, les îles et les ports de l'Atlantique (Bordeaux, Nantes).

Le Code noir reconnaît la légitimité de la traite, il fait des Africains des « biens meubles ».

L'État absolutiste devient ainsi le garant et le régent de l'esclavage, en même temps qu'il veille à rendre le baptême des esclaves obligatoire, leur interdisant toute autre religion, définissant juridiquement tout ce qui concerne l'État et la qualité d'esclave.

L'État absolutiste légifère, surveille, fait entrer l'esclavage dans les rouages juridiques – modernes – du royaume. La vie quotidienne des esclaves est réglementée. Quant à la justification de l'esclavage, elle est double : d'une part, elle exprime « le besoin indispensable qu'on a d'eux pour les cultures des sucres, des tabacs, des indigos » ; d'autre part, on leur apporte le salut « à raison de l'instruction chrétienne qu'on leur donne ».

Car l'État absolutiste a désormais explicitement comme l'un de ses buts majeurs de contraindre tous les sujets du royaume – et les esclaves eux-mêmes – à pratiquer la religion du roi.

Les huguenots ne sont plus seulement dépossédés de leurs droits, cantonnés, surveillés, ils sont désormais « forcés ».

La conversion des enfants de sept ans est autorisée.

Les intendants peuvent imposer une « garnison de gens de guerre » aux religionnaires réticents.

Ces « dragonnades », qui entraînent humiliations, déprédations et saccages, vols, violences, viols, morts, sont mises en œuvre avec zèle par les intendants. Dans le Poitou, Marillac aurait ainsi obtenu plus de 30 000 conversions. Convertir devient une manière, pour les agents du roi, de faire leur cour. Car Louis XIV, remarié secrètement à madame de Maintenon, pieuse et habile ambitieuse qui l'entoure de ses attentions, est désormais résolu à extirper l'hérésie.

La Cour est devenue dévote. Madame de Maintenon et le confesseur jésuite du monarque l'en félicitent.

« La conversion du roi est admirable, écrit madame de Maintenon, et les dames qui en paraissaient les plus éloignées ne partent plus de l'église... Les simples dimanches sont comme autrefois les jours de Pâques. »

Chaque jour, le roi se réjouit des listes de conversions qu'on lui envoie, qui ne relatent pas les scènes cruelles que provoquent les dragonnades ni les résistances qui déjà s'organisent dans les Cévennes.

Car le système absolutiste, en même temps qu'il accroît le contrôle et la domination de l'État sur tout le royaume, rend opaque la réalité.

Le souverain ne tolère plus qu'on échappe à l'État. « Il est de plus en plus jaloux et amoureux de gloire et d'autorité » (Saint-Simon), mais il ne connaît pas la situation réelle du royaume alors qu'ici et là, devant l'augmentation des taxes et des impôts, la misère s'aggrave, la disette reparaît et les communautés protestantes sont occupées par les dragons.

En fait, le roi ne veut pas voir.

Il veut à n'importe quel prix en finir avec « les obstinés religionnaires », ces « mauvais Français ».

Il décide donc, le 18 octobre 1685, par l'édit de Fontainebleau, la révocation de l'édit de Nantes, qui entraîne aussitôt l'exil de près de deux cent mille huguenots en Angleterre, dans les Provinces-Unies et au Brandebourg. Ils apportent à ces États leur savoir, leur esprit d'initiative, leur énergie, mais aussi leur haine envers celui qu'ils vont décrire comme le « souverain turc des chrétiens », et contre lequel ils vont contribuer à dresser toute l'Europe, inquiète de cette prépondérance française qui ne se reconnaît pour limites que celles qu'elle se donne elle-même.

Mais la révocation de l'édit de Nantes est approuvée dans le royaume de France. L'unité de la foi apparaît comme l'état naturel et indispensable de la monarchie.

Et Louis XIV, en conflit avec la papauté, jaloux de la victoire remportée par l'empereur Léopold et ses armées chrétiennes sur les 200 000 Turcs qui assiégeaient Vienne – bataille du Kalhenberg, le 12 septembre 1683 –, veut, avec la révocation, confirmer qu'il est bien le Roi Très-Chrétien.

Cette mesure absolutiste marque très profondément l'âme de la France.

L'unité religieuse autour du pouvoir royal – central – y est confirmée, renforcée. La puissance étatique doit l'imposer aux sujets réticents.

L'État est violence. Contre lui, on en vient à se dresser, à prendre les armes : ce que feront les huguenots dans les Cévennes. Et les paysans se rebellent contre les « percepteurs » d'impôts. C'est dire que l'âme de la France est aussi marquée par ces résistances.

Plus l'État est unifié, mieux il impose sa loi en tous domaines, plus il risque de susciter des oppositions, d'autant plus violentes qu'aucun espace de tolérance ne leur est ménagé.

Le royaume doit affronter non seulement ces risques d'insurrection intérieure – de guerre civile –, mais aussi ceux de guerre contre l'Europe coalisée, dressée contre Louis XIV, « souverain turc des chrétiens ».

Dans une dialectique équivalant à celle qui régit la vie intérieure du royaume – contrôle de plus en plus étendu de l'État, et résistances –, l'Europe est subjuguée par le royaume de France, fascinée par la majesté de Louis XIV, par sa puissance, sa Cour, Versailles, et en même temps décidée à se coaliser contre lui dans une guerre prolongée, si nécessaire.

Le maître d'œuvre de cette coalition est Guillaume d'Orange. Au terme d'une révolution (1688), il a chassé d'Angleterre le roi Jacques II Stuart, catholique, qui se réfugie en France. Il a reconnu les droits du Parlement anglais et s'est fait proclamer par lui roi d'Angleterre.

Deux « modèles » s'opposent ainsi en Europe : le français, continental, absolutiste, catholique, et l'anglais – lié aux Provinces-Unies –, antipapiste, s'appuyant sur une Déclaration des droits, instaurant une « monarchie » contrôlée.

La guerre entre les deux « modèles » paraît inéluctable.

L'empereur des princes allemands, l'Angleterre et les Provinces-Unies, mais aussi l'Espagne catholique, se rassemblent dans la ligue d'Augsbourg dès 1686.

Quant à Louis XIV, renforcé par le succès de sa révocation de l'édit de Nantes, sûr de sa puissance, il a une ambition plus grande encore : il est le « Nouveau Constantin » dont les courtisans chantent les mérites, que madame de Sévigné, La Fontaine et La Bruyère louent pour son action pieuse.

Il n'est que Vauban pour mesurer les conséquences négatives du départ de tant de talents huguenots à l'étranger alors même que le royaume est de plus en plus endetté, qu'au lieu d'investir leur fortune dans les activités manufacturières ou marchandes les riches préfèrent l'achat de terres, le prêt à intérêt, l'acquisition d'offices, les garanties offertes par un État absolutiste plutôt que les risques économiques.