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Car les huguenots exilés étaient précisément ouverts sur l'économie moderne telle qu'elle se pratiquait aux Provinces-Unies et déjà en Angleterre.

Sur ce plan-là aussi, le « modèle français » s'oppose au « modèle anglo-hollandais ».

Louis XIV a une vision de la puissance et de la gloire qui s'accorde à ce goût de la terre, de la rente et de l'héritage qui caractérise les élites françaises.

Il revendique ainsi – au nom de sa belle-sœur, la princesse Palatine – le Palatinat.

Ses troupes entrent en Dauphiné pour y combattre les vaudois hérétiques.

Louis tente d'aider Jacques II à reconquérir son trône, mais le débarquement de troupes dans l'Irlande catholique se solde par un échec.

Reste donc la guerre continentale contre la ligue d'Augsbourg, conduite depuis 1686 mais déclarée le 15 avril 1689. Et marquée par l'impitoyable violence des troupes françaises, qui mettent le Palatinat à sac en 1688-1689 :

« Je vois le roi assez disposé à faire raser entièrement la ville et la citadelle de Mannheim, écrit Louvois, et, en ce cas, d'en faire détruire entièrement les habitations. »

On brûle « les villes que l'on ne peut forcer », on fait mettre « le feu dans les villages et leurs dépendances ».

La France apparaît ainsi au reste du continent comme une puissance menaçante et oppressive, persécutrice de ses propres sujets protestants, et les huguenots exilés – Pierre Bayle, Jurieu – décrivent les horreurs des dragonnades, la menace que Louis XIV fait peser sur l'Europe entière.

Ces années 1683-1689 sont bien le tournant du règne de Louis XIV. L'absolutisme s'y déploie et y dévoile sa violence.

Devenu dévot, en quête de toujours plus de gloire et d'autorité, le monarque commence aussi à être harcelé par la maladie – on procède à « la grande opération » d'une fistule le 18 novembre 1686. « Le roi a souffert aujourd'hui sept heures durant comme s'il avait été sur la roue », confie madame de Maintenon.

Louis XIV fait face à la douleur comme à l'Europe coalisée.

Mais on ne danse plus le ballet à Versailles.

29.

C'est la guerre. Elle écrase le dernier quart de siècle du règne de Louis XIV et marque de son empreinte profonde et cruelle l'âme de la France.

Le roi a voulu imposer aux États d'Europe la prépondérance française. Mais, malgré les victoires militaires – Fleurus en 1690, Steinkerke en 1692, Neerwinden en 1693 –, la suprématie navale de l'Angleterre (bataille de la Hougue, 1692) et la résistance des États obligent Louis XIV, aux traités de Turin et de Ryswick (1696, 1697), à renoncer à toutes ses conquêtes. Il ne conserve que Strasbourg. La leçon est nette : une nation ne peut dominer par la force le reste de l'Europe.

Et pourtant la guerre reprend dès 1701.

Le petit-fils de Louis XIV, le duc d'Anjou, devient Philippe V, roi d'Espagne, sans renoncer pour autant à la couronne de France.

Les Français gouvernent à Madrid.

Une compagnie française se voit attribuer l'asiento, le privilège du transport des esclaves vers l'Amérique ; Philippe V et Louis XIV sont actionnaires de cette compagnie négrière.

Ce n'est plus seulement à un empire occidental que s'opposent l'Angleterre, la Hollande, les princes allemands. Au-delà de la question de la succession d'Espagne, la guerre a pour enjeu la domination économique, le grand commerce.

Aux traités d'Utrecht et de Rastadt (1713, 1714), Philippe V doit renoncer à la couronne de France.

L'Angleterre, puissance maritime, commence son ascension. Elle conserve Gibraltar. Elle a brisé l'empire continental qui risquait de se constituer entre Madrid et Paris ; elle s'apprête à contrôler les mers.

Deuxième leçon pour le royaume de France : les États – et d'abord l'Angleterre et les Provinces-Unies – n'acceptent pas le risque de voir un nouvel empire à l'image de celui de Charles Quint se reconstituer en Europe, cette fois au bénéfice de la France.

Ces deux leçons infligées à la France, Louis XIV, qui meurt le 1er septembre 1715, les a-t-il comprises, et ses successeurs les ont-ils retenues, ou, au contraire, voudront-ils poursuivre cette ambition d'une prépondérance française sur le continent ?

Pour le royaume de France – et pour le Grand Roi –, ces années de guerre ont été un long hiver au terme duquel les gains ont été nuls, les souffrances, immenses, les morts, nombreuses, les transformations de la monarchie, profondes.

Si l'on ajoute que les rapports avec les États européens ennemis ont été dominés par ces guerres, on mesure que ces vingt-cinq années ont été décisives pour le royaume et pour l'image que la France a donnée d'elle-même aux peuples d'Europe.

Elle est la nation militaire : plusieurs centaines de milliers d'hommes – de 200 à 400 000 – engagés dans ces guerres.

Elle est la nation guerrière : les défaites, nombreuses, n'ont pas découragé le royaume, les victoires – Denain en 1702 – ayant permis le redressement de la situation.

Elle est la nation brutale (le sac du Palatinat), impérieuse, aux ambitions démesurées, le royaume dont il faut se méfier parce qu'il est puissant, riche et peuplé.

L'âme de la France a enregistré en elle-même ces éléments contradictoires qui ont été à l'œuvre durant ce quart de siècle français (1689-1715).

Et d'abord le coût de la guerre.

Le problème financier est bien la maladie endémique du royaume. L'endettement, l'emprunt, la manipulation des monnaies, l'augmentation des impôts, sont les caractéristiques permanentes des finances de la France.

Pour tenter de colmater le déficit, on multiplie les créations d'offices : vendeurs de bestiaux ou emballeurs, experts jurés, procureurs du roi, contrôleurs aux empilements de bois, visiteurs de beurre frais, visiteurs de beurre salé, etc.

L'argent rentre, mais la société française se fragmente en milliers d'officiers héréditaires.

Les fonctions de maire et de syndic sont mises en vente. Un édit de 1695 décide de l'anoblissement, moyennant finance, de 500 personnes distinguées du royaume.

On crée des « billets de monnaie », et le contrôleur général des finances, Chamillart, écrit à Louis XIV, faisant le bilan de cette introduction du « papier-monnaie » : « Toutes les ressources étant épuisées (en 1701), je proposai à Votre Majesté l'introduction de billets de monnaie non pas comme un grand soulagement, mais comme un mal nécessaire. Je pris la liberté de dire à Votre Majesté qu'il deviendrait irrémédiable, si la guerre obligeait d'en faire un si grand nombre, que le papier prît le dessus de l'argent. Ce que j'avais prévu est arrivé, le désordre qu'ils ont produit est extrême. »

Sur une idée de Vauban, on crée un impôt de capitation qui devrait être payé par tous (1694), puis ce sera l'impôt du dixième (1710).

Ces mesures – qui ne résolvent en rien la crise financière – permettent de payer la guerre, mais appauvrissent le pays, et, conjuguées à des hivers rigoureux, à des printemps pluvieux, aggravent en 1693-1694, puis en 1709 – le grand hiver –, la crise des subsistances, la disette, la famine.

Ainsi s'installe dans l'âme française le sentiment que l'État est un prédateur, que l'inégalité s'accroît, qu'elle s'inscrit définitivement dans ces « statuts » d'officiers qui ont le droit de transmettre leurs charges.

Les « réformateurs » comme Vauban (dans son ouvrage Projet d'une dîme royale) ou Boisguilbert (dans Le Détail de la France, ou Traité de la cause de la diminution de ses biens et des moyens d'y remédier) ont le sentiment qu'ils ne sont pas entendus quand l'un propose un impôt levé sur tous les revenus sans aucune exception, et quand l'autre, condamnant la « rente », l'usure, les ventes d'offices, affirme que « la richesse d'un royaume consiste en son terroir et en son commerce ».