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On sait ce qui se joue au théâtre : en 1775, Beaumarchais donne Le Barbier de Séville, et bientôt ce sera Le Mariage de Figaro. On n'a pas feuilleté l'Encyclopédie, mais on connaît son existence. Malesherbes, que Louis XVI a appelé à son Conseil, s'en est fait le protecteur. Lorsque, en mars 1778, il séjourne à Paris – où il meurt –, Voltaire, dont on n'ignore pas qu'il a contesté avec succès les verdicts de la justice – Calas, Sirven, La Barre, Lally-Tollendal –, est célébré comme le roi des Lettres et du parti philosophique. On couronne en sa présence son buste sur la scène de la Comédie-Française.

Tel est le climat social et intellectuel qui cerne la monarchie et ses privilégiés.

Or ce pouvoir « central » est divisé : les parlementaires et les grands sont hostiles aux réformes qui amputeraient leurs privilèges. Le roi ne pourrait s'opposer à eux qu'en s'appuyant sur la volonté réformatrice du tiers état, qu'anime désormais une bourgeoisie d'affaires et de talent.

Mais celui-ci est le groupe social le plus pénétré par l'esprit des Lumières. Il se rend au théâtre. Il lit. Il participe aux assemblées des sociétés de pensée, aux tenues des loges maçonniques.

Ce tiers état – et de jeunes nobles : La Fayette, le comte de Ségur, le duc de Noailles – s'enthousiasme pour la rébellion des « Américains » (des Insurgents) contre l'Angleterre.

Volonté de revanche contre Londres après la guerre de Sept Ans – c'est Vergennes, chargé des Affaires étrangères, qui aura conduit avec talent la diplomatie française jusqu'à la guerre en 1778 –, mais, surtout une sympathie pour la « révolution américaine » semble portée par les Lumières.

On publie à Paris les textes de la Déclaration des droits de Philadelphie, la Constitution républicaine de la Virginie (1776) et la Déclaration d'indépendance (4 juillet 1776).

Ces textes qui affirment que « tous les hommes sont par nature libres et indépendants », que « tout pouvoir appartient au peuple et donc dérive de lui », sont lus comme autant d'incitations à contester la monarchie absolue.

On y évoque la séparation des pouvoirs, on y déclare qu'il existe des droits inaliénables, et que les gouvernements n'ont été institués que pour les faire respecter.

« Ils ne tirent leur juste pouvoir que du consentement de ceux qui sont gouvernés. »

« Liaisons dangereuses » (le livre de Laclos paraît en 1782) que celles qui se nouent entre une monarchie arc-boutée sur des principes immuables et les États-Unis d'Amérique, que cette même monarchie aide à vaincre et donc à instaurer un pouvoir républicain !

Même si le traité de Versailles – 3 septembre 1783 – marque la revanche française sur Londres et efface l'humiliation subie, conférant une once de gloire à Louis XVI, ce succès est lourd de conséquences.

Le retour de La Fayette à Paris, en 1782 est triomphal. Il est nommé maréchal de camp. L'esprit des Lumières, réformateur, est hissé au cœur du pouvoir.

Louis XVI a d'ailleurs choisi comme « directeur du Trésor » – il n'est pas membre du Conseil du roi – un banquier suisse, huguenot, donc hérétique, Necker, dont le salon parisien – son épouse est fille de pasteur ; sa fille Germaine est la future madame de Staël – est un lieu de rencontres entre tenants du parti philosophique et hommes de pouvoir.

Mais cette situation même affaiblit Necker aux yeux des adversaires des réformes.

Or, chargé par le roi de rétablir les finances du royaume, il ne peut que songer à réformer le système fiscal.

Afin de tourner l'opposition des parlements, il crée des assemblées territoriales où le tiers état obtient autant de sièges que ceux, additionnés, des ordres de la noblesse et du clergé. Il tente donc par là une politique qui cherche à s'appuyer sur l'opinion éclairée.

Le problème est d'autant plus grave qu'il a fallu financer la guerre d'Amérique, que les emprunts contractés ont été levés à 10 % d'intérêt et que la moitié des dépenses du royaume est affectée au service de la dette !

À la recherche du soutien de l'opinion, Necker, qui se heurte aux milieux privilégiés, publie un Compte rendu au roi sur l'état des finances du royaume. Il y dissimule l'ampleur du déficit, mais dévoile les dépenses de la Cour, le coût des fêtes, des cadeaux offerts par le roi ou la reine à tel ou tel membre de son entourage. Les chiffres cités – 800 000 livres de dot pour la fille d'une amie de la reine ! – représentent, pour l'opinion, des sommes inimaginables : le salaire quotidien d'un ouvrier est alors d'environ une livre...

Comment ne pas s'indigner, alors même que le pouvoir célèbre la victoire des Insurgents dont les textes constitutionnels affirment : « Tous les hommes ont été créés égaux et ont reçu de leur Créateur des droits inaliénables » ?

Le pouvoir monarchique est pris dans une contradiction difficile à résoudre.

Solidaire des privilégiés, il ne peut faire la réforme que contre eux, mais il n'ose la conduire, et, pour le peuple et le tiers état, il est l'incarnation même des privilégiés et de l'inégalité.

Lorsque, le 12 mai 1781, Necker remet sa démission au roi, constatant que le souverain ne le soutient pas, il est, pour le parti philosophique et l'opinion, la preuve vivante que le souverain ne veut pas introduire plus de justice et d'égalité dans le système fiscal, mais est le défenseur des ordres privilégiés.

On ne s'étonne donc pas que Louis interdise la représentation aux Menus Plaisirs du Mariage de Figaro, et qu'il nomme en novembre 1783, comme contrôleur général des finances, un ancien intendant, Charles Alexandre de Calonne.

Necker est l'homme du parti philosophique ; Calonne apparaît comme le serviteur du monarque, donc le défenseur des privilèges.

L'un est populaire, l'autre, suspect à l'opinion éclairée.

Mais l'un et l'autre, comme Louis XVI, sont confrontés en fait au même problème : comment résoudre la crise financière du royaume ?

34.

Que peut encore le roi de France en ces années 80 du xviiie siècle ?

Rien ne paraît devoir changer dans le grand apparat du pouvoir monarchique.

Et cette permanence du décor et du rituel, cette succession des fêtes, cet isolement de la Cour, dans les jardins illuminés de Versailles, renforcent le sentiment des souverains que rien ne saurait détruire l'ordre royal, qu'on peut indéfiniment continuer la partie, même s'il faut rebattre les cartes, changer les hommes.

Mais qu'à la fin le roi, parce qu'il est le roi, finira bien par imposer son autorité.

C'est le propre d'une vieille et grande nation, d'un pouvoir plusieurs fois séculaire, que de donner l'illusion qu'ils ne peuvent s'effondrer.

La politique de Calonne entretient ce mirage.

Il multiplie les emprunts, creuse encore le gouffre du déficit, mais l'argent roule.

Il achète les châteaux de Saint-Cloud et de Rambouillet pour le roi. Il investit dans la Compagnie des Indes orientales.

Disciple des physiocrates, il pense qu'une politique « libérale », facilitant la circulation des marchandises et de l'argent, fera naître la prospérité, mettra fin à cette crise économique qui ronge le royaume, suscite rébellion et misère.

Il signe le premier traité de libre-échange avec l'Angleterre en 1786. Il entend supprimer toutes les douanes intérieures.

Mais la réalité des finances vient crever le soyeux rideau de l'illusion.

Calonne est confronté, comme Turgot, comme Necker, à l'obligation de modifier le système fiscal afin de faire payer les privilégiés, ceux qu'on commence à appeler les aristocrates.