Il ne cède pas.
La presse royaliste invite les amis du roi à rejoindre Paris pour défendre le souverain.
L'amalgame est fait entre les aristocrates, le monarque, et ces Autrichiens et Prussiens qui avancent vers la capitale. On crie : « Périssent les tyrans ! Un seul maître, la Loi ! » Et on proclame « la patrie en danger » (le 11 juillet). L' amalgame se fait entre citoyens et patriotes.
Toute la France entend rouler le tambour, battre le tocsin ; 200 000 volontaires s'enrôlent dans les armées de la nation.
Les fédérés marseillais marchent vers Paris en entonnant le Chant de guerre pour l'armée du Rhin, devenu La Marseillaise.
Les camps sont face à face. Entre eux, ce ne peut plus être que la guerre, la victoire de l'un et l'écrasement de l'autre.
La loi des armes est sans appel.
Elle s'exprime dans le manifeste, connu à Paris le 28 juillet, du général prussien Brunswick.
Il a été écrit par le marquis de Limon, un émigré.
Il menace Paris d'une « exécution militaire et d'une subversion totale, et les révoltés au supplice si les Parisiens ne se soumettent pas immédiatement et sans condition à leur roi ».
« Les vengeances approchent », écrivent les journaux royalistes.
C'est la guerre dans Paris.
Le 10 août 1792, l'assaut est donné aux Tuileries.
Les défenseurs du roi sont des aristocrates et des mercenaires suisses ; les gardes-françaises ont rejoint les assaillants, les sans-culottes et les fédérés marseillais. Vrais combats : plus de mille morts, dont six cents défenseurs massacrés.
Une Commune insurrectionnelle est créée.
Désormais, il existe encore une Assemblée législative – auprès de laquelle le roi s'est réfugié –, mais cette démocratie représentative a en face d'elle, détenant la force des sans-culottes en armes, la Commune, démocratie directe, vrai pouvoir qui fait emprisonner le monarque et sa famille au Temple, obtient sa suspension et la création d'un tribunal extraordinaire.
Commence le temps des suspects, des visites domiciliaires.
Sous la pression de la guerre, l'engrenage de la violence et de la terreur tourne de plus en plus vite, parce que les troupes austro-prussiennes avancent, qu'elles occupent Verdun le 2 septembre, et que la peur des représailles, de la vengeance annoncée par le manifeste de Brunswick, suscite la haine.
On massacre, dans les premiers jours de septembre, les suspects emprisonnés à Paris – plus de 1 300 victimes –, et cette « Saint-Barthélemy » révolutionnaire s'étend à tout le royaume.
On tue sans jugement, on profane les corps – ainsi celui de la princesse de Lamballe.
La révolution engendre une nouvelle passion « religieuse », terroriste ; deux cent vingt ans après la Saint-Barthélemy, les rues de Paris sont à nouveau rouges de sang.
La patrie en danger, les volontaires, l'assaut des Tuileries, le 10 août, La Marseillaise, la Commune, les massacres de Septembre : autant de références qui se gravent dans la mémoire nationale, dans l'âme de la France.
L'élan des volontaires, le sang de la guerre et des massacres, déchirent et cimentent à la fois la nation.
Parti des aristocrates contre parti des patriotes.
Ennemis de la révolution face aux révolutionnaires.
Drapeau blanc et fleur de lys contre drapeau tricolore.
Blanc contre bleu.
Mais aussi « bleu » différent du « rouge », car l'exigence d'égalité s'est imposée en même temps que la guerre.
Mourir pour la patrie ? Soit. Mais qu'elle devienne alors aussi la patrie du quart état !
Ces divisions, ces revendications, sont autant de nervures qui se superposent ou s'opposent dans l'âme de la France.
Mais la guerre favorise aussi l'amalgame des patriotes contre l'étranger et ses alliés, les émigrés.
Les paysans mènent une guerre de partisans contre les troupes austro-prussiennes qui avancent vers Valmy, une fois Verdun conquise.
Les troupes françaises composées de jeunes enrôlés, encadrées par des généraux (Dumouriez, Kellermann) et des officiers de l'armée du roi, avec, parmi eux, des aristocrates, comme le duc de Chartres – futur Louis-Philippe –, font reculer les troupes de Brunswick au cri de « Vive la Nation ! »
Mais ce « Vive la Nation ! » a valeur universelle.
« De ce lieu, de ce jour date une nouvelle époque de l'histoire du monde », dira un témoin de l'affrontement de Valmy.
Il se nomme Goethe.
39.
La victoire de l'armée de la nation signe la défaite de la monarchie et la condamnation du roi.
La nouvelle Assemblée, la Convention, abolit à l'unanimité la royauté dès le lendemain de Valmy, le 21 septembre 1792.
Elle proclame la « République une et indivisible ».
Ainsi s'ouvre une séquence majeure de l'histoire nationale, après plus d'un millénaire de monarchie.
Mais cette rupture institutionnelle naît dans le fracas des armes.
La République est combattante. Elle n'a pas surgi du lent travail consensuel de partis qui s'opposent en se respectant. Elle n'est pas enfantée par des débats parlementaires dans le cadre d'une assemblée.
La Convention entérine et traduit le rapport des forces sur le champ de bataille.
Les soldats criaient : « Vive la Nation ! » Cela devient : « Vive la République ! »
Après Valmy, il y aura Jemappes – le 6 novembre 1792 –, l'invasion, l'occupation, l'annexion de la Belgique.
La République est conquérante.
Elle se veut libératrice. Elle annexe les royaumes, les villes, les principautés, pour le bien des peuples. Elle est le germe d'une « Grande Nation ».
Elle apporte « secours et fraternité à tous les peuples qui veulent recouvrer la liberté ». Et la Convention « charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les ordres nécessaires pour porter secours et défendre les citoyens qui auraient été vexés et pourraient l'être pour la cause de la liberté ».
Voici venu le temps des « missionnaires armés » et celui des coalitions antifrançaises qui vont – de 1793 à 1815 – rassembler, au gré des circonstances, l'Angleterre – qui ne saurait tolérer un Anvers français –, l'Autriche, la Hollande, la Prusse, l'Espagne, la Russie, Naples, la Sardaigne...
La République vit sous la menace. L'armée est son glaive et son bouclier.
Mais la guerre n'est pas qu'aux frontières.
Parce qu'il faut une levée en masse pour constituer une armée immense – 400 000 volontaires, 700 000 soldats –, il faut des réquisitions, des fournitures – vivres, armes, uniformes, etc. –, et l'assignat s'effondre. Tandis que les « munitionnaires » font fortune, les paysans se rebiffent contre cet impôt du sang.
Il faut tenir, sévir. La terreur est l'envers de la guerre. Soixante départements – sur quatre-vingt-trois – seront bientôt en insurrection.
La République une et indivisible crée, en même temps qu'elle unifie, le sillon qui divise la nation.
L'âme de la France est ainsi couturée par ces cicatrices sanglantes qui défigurent le pays, en ces années cruciales 1793-1794, et le marquent aussi profondément que des siècles de monarchie.
Il y a la division entre républicains au sein de la Convention.
Les Jacobins « montagnards » – ils siègent en haut de l'Assemblée – sont centralisateurs comme l'étaient – car, sous la rupture, les continuités s'affirment – Richelieu et Louis XIV.
En face, les Girondins sont fédéralistes, veulent réduire « Paris à un quatre-vingt-troisième d'influence ».
Mais la guerre exige – techniquement, mentalement – que la nation se plie à la discipline unique qui s'impose à toute armée. Et les défaites (Neerwinden en mars 1793), les trahisons (Dumouriez passe à l'ennemi), les insurrections (en Vendée, à Lyon, en Provence, où les royalistes livrent Toulon aux Anglais), condamnent en juin 1793 les Girondins – arrêtés, jugés, décapités.