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Dans l'entourage même de Napoléon, les généraux faits rois – Bernadotte et Murat en Suède et à Naples – et une bonne partie de la noblesse impériale ne songent plus qu'à trahir ou à s'éloigner de l'Empereur afin de parvenir à un compromis avec les « alliés ».

Au Corps législatif, le 29 décembre 1813, un rapport voté par 223 voix contre 51 décrit une France épuisée et condamne implicitement la politique impériale.

« Une guerre barbare et sans but engloutit périodiquement une jeunesse arrachée à l'éducation, à l'agriculture, au commerce et aux arts... Il est temps que l'on cesse de reprocher à la France de vouloir porter dans le monde entier les torches révolutionnaires. »

C'est un appel à la restauration de l'ordre monarchique.

Face à cet abandon des notables, et avant de choisir d'abdiquer, Napoléon tente, par une brillante campagne de France, d'arrêter l'avance des troupes des coalisés qui, pour la première fois depuis 1792, pénètrent sur le sol national.

Napoléon retrouve alors les tactiques et les mots du général de 1793, de l'empereur qui a été « choisi par quatre millions de Français pour monter sur le trône ».

Et la légende napoléonienne se grossit de ce retour au patriotisme de l'époque révolutionnaire.

« J'appelle les Français au secours des Français ! » s'écrie Napoléon.

« La patrie est en danger, il faut reprendre ses bottes et sa résolution de 93 ! »

Les victoires de Champaubert, de Montmirail, de Château-Thierry, scandent ce retour. Des paysans, sur les arrières des coalisés, mènent une guerre d'embuscades contre les troupes occupantes.

Mais, abandonné par ses généraux, trahi, Napoléon sera contraint de capituler et de faire à Fontainebleau ses adieux à la Garde impériale avant de gagner l'île d'Elbe, dont les coalisés lui ont offert la royauté.

Première Restauration.

Les frères de Louis XVI, Louis XVIII et le comte d'Artois, rentrent à Paris.

La France est « ramenée » aux frontières de 1792.

Une charte est octroyée.

La Révolution a-t-elle eu lieu ? Le drapeau blanc à fleurs de lys remplace le drapeau tricolore.

Des milliers de soldats et d'officiers, les grognards qui ont construit la légende napoléonienne, sont placés en demi-solde.

La maison militaire du roi est rétablie.

Les nobles rentrent de l'émigration. Certains sont réintégrés dans l'armée ; ils ont acquis leurs grades dans les armées des coalisés.

On célèbre le sacrifice de Cadoudal, et une cérémonie expiatoire est organisée à la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Ici et là, des actes de vengeance sont perpétrés. Et le ministre de la Guerre nomme généraux des contre-révolutionnaires qui ont participé aux guerres de Vendée.

Il semble à la nation qu'une France, celle des princes, des émigrés, de ceux qui ont fait la guerre aux côtés de l'étranger, veuille imposer sa loi et ses valeurs à la France non plus de 1794 – celle de la Terreur –, ni à celle de 1804 – celle du sacre de Napoléon –, mais à celle de 1789.

Les ci-devant ont en effet recouvré leur arrogance, et souvent leurs châteaux.

Ce n'est donc pas une nation réconciliée que désirent Louis XVIII et les royalistes, mais cette France d'Ancien Régime que les Français avaient rejetée.

Dans l'âme de la nation, dès ces années 1814-1815, la monarchie apparaît ainsi liée à l'étranger.

Elle est rentrée dans les fourgons des armées ennemies.

Dans ce climat, Napoléon incarne, au contraire, l'amour de la patrie.

Le 1er mars 1815, il débarque à Golfe-Juan.

Il adresse une proclamation à l'armée :

« La victoire marchera au pas de charge ; l'Aigle avec les couleurs nationales volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame : alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices – vous serez les libérateurs de la France ! »

Le souffle de la légende balaie à nouveau le pays.

Napoléon est l'homme des trois couleurs de la Révolution et de La Marseillaise, du patriotisme et de la gloire. Et même, ô paradoxe, de la République !

45.

En cent jours, du 1er mars au 22 juin 1815, du débarquement de Golfe-Juan à l'abdication, la légende s'empare de tous les actes de Napoléon et achève de transformer son parcours historique en mythe qui, irriguant l'âme de la France, oriente par là l'histoire de la nation.

Homme providentiel, Napoléon est grandi par la défaite, la déportation à Sainte-Hélène.

Il devient le persécuté, le héros crucifié, et ces Cent-Jours, la défaite sacrificielle de Waterloo, font de lui, par une forme de « sacre », ainsi que l'écrira Victor Hugo, l'« homme-peuple comme Jésus est l'homme-Dieu ».

Lucidement, méticuleusement, lorsque, à Sainte-Hélène, il dicte à Las Casas ses Mémoires, ce Mémorial de Sainte-Hélène qui deviendra le livre de chevet de centaines de milliers de Français – mais aussi d'Européens –, Napoléon s'applique à faire coïncider l'histoire avec le mythe, avec les désirs des nouvelles générations, et à transformer son destin en épopée de la liberté.

Hugo, Stendhal, Vigny, Edmond Rostand, une foule d'écrivains ont contribué à façonner cette légende, et, par là même, à créer dans l'imaginaire français – dans l'âme de la France – une nostalgie qui est attente de l'homme du destin.

Tel Napoléon Bonaparte, celui-ci sera l'incarnation de la nation, il lui procurera grandeur et gloire, confirmera qu'elle occupe avec lui une place singulière dans l'histoire des nations.

Il sera aussi un homme du sacrifice, gravissant le Golgotha, aimé, célébré, entrant au Panthéon de la nation après avoir été trahi par les judas qui l'auront vendu pour quelques deniers.

La légende napoléonienne sous-tend à son tour et renforce cette lecture « christique » de l'histoire nationale.

La France se veut une nation singulière, et il lui faut des héros qui expriment l'exception qu'elle représente.

Elle les attend, les sacre, s'en détourne, puis elle prie en célébrant leur culte.

« Fille aînée de l'Église », cette nation a gardé le souvenir des baptêmes et des sacres royaux, des rois thaumaturges.

La Révolution laïque n'a changé que les apparences de cette posture.

Robespierre lui-même ne conduisit-il pas un grand cortège célébrant l'Être suprême dont il apparaissait comme le représentant sur terre ? Et sa chute, sa mort, ne furent-elles pas autant de signes de cette « passion » révolutionnaire qui l'habitait ?

Et lorsque l'on célèbre, dans une cérémonie expiatoire, la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, c'est, sur l'autre versant du Golgotha, le même sacrifice, le même destin qu'on magnifie.

Plus prosaïquement, et avec habileté, durant les Cent-Jours, Napoléon joue du rejet par l'opinion de la restauration monarchique.

Il se présente comme l'homme de 1789 et même de 1793.

Dès le 12 mars, par les décrets de Lyon (ville d'où le comte d'Artois vient de s'enfuir), il réaffirme que l'ancienne noblesse est « abolie », que les chambres sont dissoutes, que les électeurs sont convoqués pour en élire de nouvelles, et que le drapeau tricolore est à nouveau celui de leur nation.

Tout au long de cette marche vers Paris, les troupes se rallient – autant de faits qui deviendront des images d'Épinal, des épisodes de légende –, les paysans l'acclament. Il a choisi de passer par les Alpes et non par la vallée du Rhône, « royaliste ». On plante des « arbres de la liberté », comme en 1789. Il répond qu'il compte « lanterner » les prêtres et les nobles qui veulent rétablir la dîme et les droits féodaux, et il affirme même : « Nous recommençons la Révolution ! »