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À son arrivée à Paris, le 20 mars, le « quart état » manifeste dans les faubourgs du Temple, de Saint-Denis, de Saint-Antoine, en chantant La Marseillaise et en brandissant des drapeaux tricolores.

Le Paris des journées révolutionnaires qui, depuis 1794, n'a connu que des défaites et des répressions sort de sa torpeur.

Et les vieux jacobins régicides appellent à soutenir ce nouveau Napoléon qui promulgue l'« Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire », texte libéral qui élargit les pouvoirs des élus.

1 536 000 oui contre 4 802 non approuveront ces nouvelles dispositions.

Ce n'est pourtant là qu'une face de la réalité.

Napoléon n'est pas un jacobin, mais un homme d'ordre, qu'il ne veut pas rompre avec les « notables » qui l'accueillent aux Tuileries pendant que l'on manifeste dans les faubourgs.

« Il faut bien se servir des jacobins pour combattre les dangers les plus pressants, dit Napoléon. Mais soyez tranquilles : je suis là pour les arrêter. »

Le cynisme de l'homme d'action dévoile, dans cette déclaration, l'une des caractéristiques essentielles de l'histoire politique française telle que la Révolution en a redessiné les contours.

La France est une nation « politique ».

Depuis la préparation des élections aux états généraux et par le biais des cahiers de doléances, le peuple est descendu dans l'arène non pas seulement pour protester ou défendre telle ou telle revendication particulière, mais pour intervenir et même s'emparer des problèmes politiques généraux de la nation.

Il y a donc désormais une « opinion populaire », celle qui a provoqué les journées révolutionnaires.

Les « sections » de sans-culottes et les clubs l'orientent.

Elle a pesé sur le sort de la Révolution. Elle est responsable de ses « dérapages » – les massacres de Septembre, la Terreur, l'ébauche de dictature jacobine –, qui, selon certains historiens, sont venus rompre le raisonnable ordonnancement de la monarchie constitutionnelle.

Napoléon Bonaparte a tenté de gouverner au centre de l'échiquier – « ni bonnets rouges ni talons rouges, je suis national » –, mais les « extrémistes » continuent de peser.

Ces néojacobins peuvent servir de contrepoids aux royalistes.

Pour les rallier, il lui faut emprunter leur langage, faire mine de « recommencer la Révolution ».

Et alors que Louis XVIII vient à peine de s'enfuir de Paris pour gagner Gand avec la Cour, Napoléon nomme le régicide Carnot, ancien membre du Comité de salut public, ministre de l'Intérieur.

Manière de rallier à soi les jacobins, de montrer aux royalistes qu'on n'est prêt à aucun compromis avec eux, mais façon aussi de persuader les notables qu'on ne cédera pas aux « anarchistes ».

Cette posture ultime renforce l'image « révolutionnaire » et « républicaine » de l'Empereur.

Ce jeu de bascule – s'appuyer sur le quart état, les sentiments révolutionnaires d'une partie du peuple, pour combattre les royalistes tout en rassurant les notables, puis, une fois le pouvoir consolidé, se dégager du soutien jacobin – devient une figure classique de la vie politique française.

Napoléon Bonaparte en fut l'un des premiers et grands metteurs en œuvre.

Mais, au printemps de 1815, alors que toute l'Europe monarchiste se rassemble pour en finir avec cet « empereur jacobin », la manœuvre ne peut réussir.

Certes, un frémissement patriotique parcourt le pays. On s'enrôle pour aller combattre aux frontières. On entonne Le Chant du départ et La Marseillaise. Et Napoléon ne manquera pas d'hommes pour affronter la septième coalition.

Certes, les fédérés des faubourgs parisiens réclament des armes. Mais Napoléon ne leur en donne pas.

Il veut l'appui des notables, de ce Benjamin Constant qui a rédigé l'« Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire » et qui est précisément un adversaire résolu de la Révolution et de... l'Empire !

Quant aux royalistes, ils se soulèvent en Vendée. Et les électeurs – ce sont des notables – élisent pour la Chambre des représentants des « libéraux » qui aspirent à l'ordre et à la paix.

Or Napoléon ne peut leur apporter que la guerre – puisque les coalisés ont refusé d'entendre ses appels à la paix –, et les notables savent d'expérience que la guerre est un engrenage d'où peut surgir une nouvelle fois le désordre, la terreur, et, au mieux, un renforcement des pouvoirs de ce Napoléon dont l'Europe ne veut plus.

Ainsi, avant même que ne s'engage la bataille de Waterloo, Napoléon a-t-il perdu la guerre politique.

La défaite militaire ne peut que se traduire par une abdication.

Sans doute, après l'annonce de la défaite de Waterloo – un 18 juin –, la foule continue-t-elle à défiler dans Paris, réclamant des armes et criant « Vive l'Empereur ! ». Et Carnot de proposer l'instauration d'une dictature de salut public confiée à Napoléon Bonaparte.

Mais la Chambre des représentants et la Chambre des pairs ne laissent à Napoléon que le choix entre la déchéance – qu'elles voteraient – et l'abdication.

Il faudrait faire contre elles un « 18 Brumaire » du peuple. Mais Napoléon – l'ancien lieutenant qui, en 1789, avait réprimé des émeutes paysannes sans états d'âme – déclare qu'il ne veut pas être « le roi de la Jacquerie ».

Ce ne sont pas ces mots-là que retiendra la légende, mais le retour, le 8 juillet 1815, après la défaite des armées françaises, de Louis XVIII, la trahison de Talleyrand et de Fouché, nommés par le roi l'un à la tête du ministère, l'autre à celle de la police.

La nation retient la Terreur blanche qui se déchaîne contre les bonapartistes et les jacobins, les exécutions de généraux qui ont rejoint Napoléon à son retour de l'île d'Elbe, l'élection d'une Chambre « introuvable » composée d'ultraroyalistes, et la conclusion, le 26 septembre, au nom de la sainte Trinité, d'une Sainte-Alliance des souverains d'Autriche, de Prusse et de Russie pour étouffer tout mouvement révolutionnaire en Europe.

La France, qui subit cette réaction, est fascinée par la déportation de Napoléon – il arrive à Sainte-Hélène le 16 octobre 1815.

Elle pleurera sa mort le 5 mai 1821.

Elle lira avec passion le Mémorial de Sainte-Hélène et, en 1840, elle célébrera le retour de ses cendres.

En 1848, elle élira comme président de la République Louis Napoléon Bonaparte, auteur d'un essai sur L'Extinction du paupérisme, et bientôt du coup d'État du 2 décembre 1851.

Brève – quinze ans –, la séquence napoléonienne s'inscrit ainsi de manière contradictoire dans la longue durée de l'âme et de la politique françaises.

2

L'ÉCHO DE LA RÉVOLUTION

1815-1848

46.

Quel régime pour la France ?

Cette nation qui, en 1792, a déchiré le pacte millénaire qui en faisait une monarchie de droit divin réussira-t-elle, maintenant que l'« Usurpateur » n'est plus que le prisonnier d'une île des antipodes où tous les souverains d'Europe sont décidés à le laisser mourir, à renouer le fil de son histoire après un quart de siècle – 1789-1814 – de révolutions, de terreurs et de guerres ?

Ou bien le pouvoir n'apparaîtra-t-il légitime qu'à une partie seulement de la nation, et la France continuera-t-elle d'osciller d'un régime à l'autre, incapable de trouver la stabilité institutionnelle et la paix civile ?

C'est l'enjeu des trente-trois années qui vont de 1815 à 1848, longue hésitation comprise entre le bloc révolutionnaire et impérial et la domination politique de Louis Napoléon Bonaparte qui va durer vingt-deux ans, de 1848 à 1870.

C'est comme si, de 1815 à 1848, des répliques – en 1830, en 1848 – du grand tremblement de terre révolutionnaire venaient périodiquement saper les régimes successifs, qu'il s'agisse de la restauration monarchique – drapeau blanc et Terreur blanche, fleur de lys et règne des frères de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, renversée en juillet 1830 – ou bien de la monarchie bourgeoise – drapeau tricolore et roi citoyen, Louis-Philippe d'Orléans, fils de régicide, combattant de Jemmapes, balayé lui aussi par une révolution, en février 1848, donnant naissance à une fugace deuxième République qui choisit pour président un Louis Napoléon Bonaparte élu au suffrage universel !