Parmi les élites de cette France de la Restauration, puis de la monarchie orléaniste dite de Juillet, il existe des « doctrinaires » libéraux.
Après les « dérapages » révolutionnaires et la dictature impériale, ils voudraient voir naître une France pacifique et sage gouvernée par une monarchie constitutionnelle, retrouvant ainsi les projets des années 1790-1791.
Ces hommes – Benjamin Constant, François Guizot… – sont actifs, influents ; ils seront même au pouvoir aux côtés de Louis-Philippe d'Orléans.
Comme Constant, ils affirment : « Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées, et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances... Par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité » (1819).
Guizot inspire les lois de 1819 sur la presse, qui précisent dans leur préambule que « la liberté de presse, c'est la liberté des opinions et la publication des opinions. Une opinion quelle qu'elle soit ne devient pas criminelle en devenant publique. »
Les journaux peuvent désormais paraître sans autorisation préalable. Les jurys d'assises sont seuls juges des délits de presse.
Après les années de censure et de propagande napoléoniennes, ainsi surgissent, en pleine Restauration, des journaux d'opinion qui vont peser sur la vie politique. Et la bataille pour la liberté de la presse devient dès lors un élément majeur du débat public. Un tournant est pris à l'initiative des libéraux :
« La liberté de la presse, c'est l'expansion et l'impulsion de la vapeur dans l'ordre intellectuel, écrit Guizot, force terrible mais vivifiante qui porte et répand en un clin d'œil les faits et les idées sur toute la face de la terre. J'ai toujours souhaité la presse libre ; je la crois, à tout prendre, plus utile que nuisible à la moralité publique. »
Ce mouvement que les pouvoirs vont tenter d'entraver est cependant irrésistible, parce que l'aspiration à la liberté, après la discipline militaire d'un Empire engagé en permanence dans la guerre, est générale.
C'est ainsi que le romantisme, qui marquait par de nombreux aspects une rupture avec l'esprit des Lumières et le triomphe de la Raison, et donc un retour à la tradition, à la sensibilité, rencontre le « libéralisme ».
L'évolution de Victor Hugo, poète monarchiste en 1820 – il célèbre le sacre de Charles X en 1825 –, le porte à écrire dans la préface de Cromwell, en 1827 :
« La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques. Nous voilà sortis de la vieille formule sociale. Comment ne sortirions-nous pas de la vieille formule poétique ? »
Phénomène générationnel : en 1827, les deux tiers de la génération nouvelle sont nés après 1789, et la majorité du corps électoral (100 000 notables) avait moins de vingt ans lors de la prise de la Bastille.
Cependant, ces « libéraux », ces « modernes », qui ont un projet politique clair, des convictions arrêtées, ne parviennent pas, malgré leur proximité du pouvoir et l'influence qu'ils exercent, à l'emporter.
Un Bonaparte va sortir vainqueur de l'épisode 1815-1848.
Un empire va succéder à une monarchie qui s'était voulue « constitutionnelle » et à une république « conciliatrice ».
Des « journées révolutionnaires se sont succédé, renversant des régimes en juillet 1830 et en février 1848, ou provoquant des heurts sanglants en 1831, 1832 et juin 1848.
Cet échec des « libéraux », cet écho de la révolution répercuté tout au long du xixe siècle, marquent profondément l'âme du pays et orientent son histoire.
De 1815 à 1848, la France n'a pas pris le tournant libéral, mais est restée une nation partagée en camps qui s'excluent l'un l'autre de la légitimité.
On le voit bien de 1815 à 1830. Les doctrinaires libéraux, les partisans de la prise en compte des conséquences politiques, sociales, économiques et psychologiques de la Révolution, sont constamment débordés par les ultraroyalistes sans obtenir pour autant l'appui des révolutionnaires « jacobins » ou des bonapartistes.
Une fois encore, la France élitiste, celle des « notables » du centre, est écrasée par les « extrêmes » qui les excommunient tout en se combattant, selon la règle : « Qui n'est pas avec moi totalement est contre moi ! »
Le réaliste Louis XVIII et les libéraux ont d'abord accepté, en 1814-1815, que la Terreur blanche massacre, que des bandes royalistes – les Verdet – se comportent en brigands, qu'on proscrive et qu'on assassine les généraux Brune et Ramel, qu'on fusille le maréchal Ney et le général de La Bédoyère.
Il faut peser les conséquences de cette politique terroriste de revanche et de vengeance royaliste, appliquée alors que le pays est encore occupé – jusqu'en 1818 – par des troupes étrangères.
Elle achève de « déchirer » le lien entre le peuple et les Bourbons.
Ils apparaissent comme la « réaction », la « contre-révolution », le « parti de l'étranger ». Certes, le monde paysan (75 % de la population) reste silencieux, mais, dans les villes et d'abord à Paris – 700 000 habitants –, la rupture est consommée entre une grande partie de la jeunesse des « écoles » et le camp « légitimiste ».
Durant la Restauration, ce dernier joue son avenir.
Plus profondément encore, le retour en force du clergé catholique et d'associations secrètes liées à l'Église qui contrôlent l'esprit public – Chevaliers de la foi, Congrégation – dresse contre le « parti prêtre » une partie de l'opinion.
L'Université, placée sous l'autorité du grand maître, monseigneur de Frayssinous, bientôt ministre des Cultes, est mise au pas.
Les Julien Sorel grandissent dans ce climat politique d'ordre moral, de surveillance et de régression.
L'âme de la France, déjà pénétrée par les idées des Lumières, se rebiffe contre cette « conversion » forcée que pratiquent « missions » et directeurs de conscience.
L'anticléricalisme français qu'on verra s'épanouir dans la seconde moitié du siècle trouve une de ses sources dans ces quinze années de restauration et de réaction.
Cette politique ultra ne peut changer qu'à la marge (dans la période 1816-1820) sous l'influence du ministre Decazes, qui a la confiance de Louis XVIII.
Les ultraroyalistes la condamnent, pratiquent la politique du pire : « Il vaut mieux des élections jacobines que des élections ministérielles », disent-ils.
Ils favorisent ainsi l'élection du conventionnel Grégoire, ancien évêque constitutionnel, partisan de la Constitution civile du clergé.
Or « jacobins » et bonapartistes se sont organisés en sociétés secrètes (sur le modèle de la Charbonnerie, ou dans la société « Aide-toi, le Ciel t'aidera »). Ils complotent.
Le 13 février 1820, le bonapartiste Louvel assassine le duc de Berry, fils du comte d'Artois, seul héritier mâle des Bourbons.
La France se trouve ainsi emportée dans un cycle politique où s'affrontent tenants de la réaction, ultraroyalistes et révolutionnaires. À peine entr'ouverte, la voie étroite de la monarchie constitutionnelle se referme.