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On voit ainsi s'opposer deux France complémentaires mais antagonistes.

Une France « officielle », adossée aux pouvoirs de l'État, qui cherche dans l'Église, l'armée, la police, la censure, les moyens de contenir l'autre France.

Celle-ci est minoritaire, souterraine, juvénile, conduite parfois par le sentiment qu'elle ne peut rien contre la citadelle du régime à une sorte de rage désespérée.

L'hypocrisie du pouvoir, qui masque sa corruption et sa débauche sous le vernis des discours moralisateurs, révolte les « vieux » républicains révolutionnaires – ils avaient, pour les plus jeunes, une vingtaine d'années en 1848. Ils sont rejoints par des éléments des nouvelles générations, « nouvelles couches » elles aussi républicaines.

Mais, jusqu'aux années 1860, le pouvoir semble enfermé dans son autoritarisme. C'est Thiers qui, en 1864, parle au Corps législatif des « libertés nécessaires ».

Il reste aux opposants à s'enivrer, à vivre dans la « bohème », à clamer leur athéisme, leur anticléricalisme, leur haine des autorités.

Mais ils sont le pot de terre heurtant le pot de fer.

Car la France se transforme, et son développement sert le second Empire.

C'est sous Napoléon III que le réseau ferré devient cette toile d'araignée de 6 000 kilomètres qui couvre l'Hexagone.

C'est durant cette période que la métallurgie – et le Comité des forges, où les grandes fortunes se retrouvent – augmente ses capacités. Houillères et sidérurgie dressent pour plus d'un siècle leurs chevalets, leurs terrils et leurs hauts-fourneaux dans le Nord, au Creusot, en Lorraine.

C'est le second Empire qui dessine le nouveau paysage industriel français, qui trace les nouvelles voies de circulation, en même temps qu'ici et là des progrès sont accomplis dans l'agriculture.

Les traités de libre-échange contraignent les industriels français à se moderniser.

Et c'est une fois encore l'État qui donne les impulsions nécessaires, qui soutient le développement du système bancaire.

Vallès écrira : « Le Panthéon est descendu jusqu'à la Bourse. »

Car l'argent irrigue la haute société et ses laudateurs (journalistes, écrivains), ses alliés (banquiers, industriels), ses protecteurs (les militaires, les juges), ses parasites (les corrompus).

Le visage de Paris se transforme : Haussmann perce les vieux quartiers, crée de grands boulevards qui rendront difficile à l'avenir la construction de barricades.

Et chaque immeuble construit sur les ruines d'une vieille demeure enrichit un peu plus ceux qui, avertis parce que proches du pouvoir, anticipent les développements urbains.

Le modèle français se trouve ainsi conforté.

Le pouvoir personnalisé est entouré de ses courtisans et de ses privilégiés.

Centralisé, autoritaire, il préside aux bouleversements économiques et sociaux qu'il encadre. Et la richesse nationale s'accroît.

On fait confiance à cet État qui maintient l'ordre : les emprunts lancés sont couverts quarante fois !

Structure étatique et fortunes privées, pouvoir et épargne, se soutiennent mutuellement.

Quant aux pauvres, aux salariés, aux « misérables », aux « ouvriers » – Napoléon III se souvient d'avoir écrit et voulu L'Extinction du paupérisme –, ces humbles obtiennent quelques miettes au grand banquet de la fête impériale.

C'est la particularité d'un pouvoir personnel issu d'un coup d'État, mais aussi du suffrage universel, de n'être pas totalement dépendant des intérêts de telle ou telle couche sociale.

Napoléon III va accorder en 1864, dans un cadre très strict, le droit de grève.

Dès 1862, il a permis à une délégation ouvrière de se rendre à Londres à l'Exposition universelle, d'adhérer à l'Association internationale des travailleurs à l'origine de laquelle se trouvent Marx et Engels.

Ces ouvriers peuvent faire entendre leurs voix dans le « Manifeste des 60 » sans connaître la prison de Sainte-Pélagie (1864).

Ainsi s'esquisse, toujours en liaison avec l'État – et dans le cadre de sa stratégie politique –, une nouvelle séquence de l'histoire nationale : elle voit apparaître sur la scène sociale des « ouvriers » d'industrie qui manifestent au cours de violentes grèves et créent à Paris, en 1865, une section de l'Internationale ouvrière.

Pourtant, ces manifestations, ces novations, n'affaiblissent pas le régime. L'État les encadre, il conserve l'appui des bourgeoisies et la neutralité bienveillante des paysans, qui constituent encore la majorité de la population française.

Mais Napoléon le Petit aspire à chausser les bottes de Napoléon le Grand. Sa politique étrangère active, après une période de succès, connaîtra des difficultés qui saperont son régime.

La tradition bonapartiste, qui a été l'un des leviers de la conquête du pouvoir, devient ainsi la cause de sa perte.

Dans l'âme française, la quête d'un grand rôle international pour la nation aveugle le pouvoir.

Il croit avoir barre sur le monde comme il a barre sur son pays.

Là est l'illusion mortelle.

Certes, Napoléon III jette les bases d'un empire colonial français au Sénégal, à Saigon. La Kabylie est « pacifiée » ; Napoléon III pense à promouvoir un « royaume arabe » en Algérie, et non pas une domination classiquement coloniale : anticipation hardie !

Il intervient en Italie en s'alliant au Piémont contre l'Autriche, et les victoires de Magenta et de Solferino (4 et 24 juin 1859) permettront à la France, en retour, d'acquérir, après plébiscite, Nice et la Savoie (1860).

Pourtant, la guerre contre la Russie (1855) en Crimée, pour défendre l'Empire ottoman contre les visées russes, était déjà une entreprise discutable.

Elle avait cependant pour contrepartie l'alliance avec l'Angleterre, dont Napoléon III, tirant les leçons de l'échec du premier Empire, voulait faire le pivot de sa politique étrangère, prolongeant ainsi l'Entente cordiale mise en œuvre par Louis-Philippe.

Cette alliance Paris-Londres demeurera d'ailleurs, durant toute la fin du xixe siècle et tout le xxe siècle – et malgré quelques anicroches –, l'axe majeur de la politique extérieure française.

Mais l'expédition au Mexique « au profit d'un prince étranger (Maximilien d'Autriche) et d'un créancier suisse », dira Jules Favre, républicain modéré, alors que la situation en Europe est mouvante et périlleuse pour les intérêts français, constitue un échec cuisant (1863-1866).

Plus graves encore sont les hésitations devant les entreprises de Bismarck, qui, le 3 juillet 1866, écrase l'Autriche à Sadowa, la Prusse faisant désormais figure de grande puissance allemande.

Toutes les contradictions de la politique étrangère de Napoléon III apparaissent alors au grand jour.

Il a été l'adversaire de l'Autriche, servant ainsi le Risorgimento italien. Mais les troupes françaises ont soutenu le pape contre les ambitions italiennes. Et Napoléon III a perdu de ce fait le bénéfice de ses interventions en Italie. À Mentana, en 1867, des troupes françaises se sont opposées à celles de Garibaldi : il fallait bien satisfaire, en défendant le Saint-Siège contre les patriotes italiens, les catholiques français, socle du pouvoir impérial.

Et c'est seul que Napoléon III doit affronter Bismarck, qui, en 1867, rejette toutes les revendications de compensation émises par Paris (rive gauche du Rhin, Belgique, Luxembourg...). Ni l'Angleterre, ni la Russie, ni l'Italie, ni bien sûr l'Autriche, ne soutiennent la France contre la Prusse.