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Cette faiblesse de l'exécutif, cette instabilité ministérielle, seront, dès les origines, une tare du régime républicain, qui le caractérisera jusqu'à sa fin, en 1940. Si un gouvernement veut « durer », il doit « composer ».

Un Jules Ferry le dira clairement : « Le gouvernement est résolu à observer une méthode politique et parlementaire qui consiste à ne pas aborder toutes les questions à la fois, à limiter le champ des réformes..., à écarter les questions irritantes. »

Cependant, Ferry est l'un des initiateurs majeurs de ce « modèle républicain ».

Ses lois scolaires (1882-1886) introduisent la laïcité aux côtés de l'obligation et de la gratuité de l'instruction publique.

Elles créent un enseignement féminin.

Jules Ferry est ainsi celui qui, avec lucidité et conviction, veut arracher les citoyens à l'emprise cléricale identifiée à la cause monarchiste.

Cette « laïcité » déborde le domaine scolaire en devenant, à partir de 1901, le grand thème républicain.

Des lois sur les associations visent les congrégations enseignantes, puis imposent l'inventaire des biens de l'Église.

On débouche ainsi sur la loi capitale de séparation des Églises et de l'État en 1905. Ses deux premiers articles précisent que la République garantit la liberté de conscience et qu'elle « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Cette « séparation » crée une « exception française ». Elle définit la République.

Elle a été voulue par des forces politiques nouvelles – radicaux, socialistes (son rapporteur est Aristide Briand) –, des courants de pensée – franc-maçonnerie du Grand Orient de France, farouchement anticlérical et vigoureusement athée depuis 1877 ; protestantisme.

Hostile à tout « ralliement » des catholiques à la République, l'attitude de la papauté a conféré à cette législation laïque le caractère d'une politique de « défense républicaine ».

La laïcité, disent Jean Jaurès et Émile Combes (1835-1921, ancien séminariste), est une manière de « républicaniser la République ». « Le parti républicain a le sentiment du danger. Il a perçu […] que la congrégation s'était accordée avec le militarisme. Il exige qu'il soit agi contre elle. »

Car la République, en ces années 1880-1906, se sent en effet menacée.

Dans ses profondeurs, le pays reste rural et modéré. Le nouveau régime ne s'y enracine que lentement.

L'élection des maires, le rôle des instituteurs (les « hussards noirs de la République »), l'action des notables laïques « libres penseurs », opposés au curé, à l'aristocrate, au grand propriétaire, au milieu clérical, favorisent le développement de l'esprit républicain.

L'école laïque gratuite et obligatoire enseigne un « catéchisme républicain » qui redessine les contours de l'histoire officielle.

Il est relayé par les symboles et rituels républicains : La Marseillaise, le 14 Juillet, Marianne...

Mais le fonctionnement politique du régime – l'instabilité ministérielle, la corruption, les scandales (celui du canal de Panama, dans lequel des députés sont compromis : la « plus grande flibusterie du siècle ») – crée des foyers de troubles.

Nostalgie du militaire providentiel : le général Boulanger, « brave général », « général revanche », un temps ministre de la Guerre (1887), soutenu par la Ligue des patriotes de Paul Déroulède, est tenté de prendre le pouvoir. Ce n'est qu'un rêve vite brisé.

Un courant anarchiste se dresse contre la « société bourgeoise », contre l'État, veut mener une « guerre sans pitié » contre cette société injuste. Une vague d'attentats – la « propagande par le fait », à savoir des actes de délinquance comme la « reprise individuelle » – culmine avec l'assassinat, en 1894, du président de la République Sadi Carnot par l'anarchiste Caserio.

La guillotine fonctionne.

La police, qui manipule parfois ces anarchistes de manière à déconsidérer toute protestation sociale, contrôle en fait cette poussée qui ne met pas le régime en péril.

Derrière l'autosatisfaction des « notables » républicains et les « frous-frous » de la « Belle Époque », ces troubles n'en révèlent pas moins l'existence d'une question sociale, de plus en plus présente.

Des syndicats se créent par branches professionnelles. La CGT, née en 1895, les regroupe.

En 1906, au congrès d'Amiens, elle adopte une charte « anarcho-syndicaliste ». La charte d'Amiens préconise la grève générale, affirme la volonté d'en finir un jour avec le patronat et le salariat. Dans le même temps, cette confédération veut rester « indépendante des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ».

Cette radicalité syndicale et ce souci d'autonomie sont d'abord le reflet de la violence de la répression qui frappe les ouvriers grévistes à Anzin (1884), à Fourmies (1899-1901), à Courrières (1906) après un accident minier qui a fait 1 100 morts. Clemenceau (1841-1929), ministre de l'Intérieur, « premier flic de France », fait donner la troupe qui ouvre le feu, et qui, le 1er mai 1906, met en état de siège la capitale, où toute manifestation est interdite.

Face aux socialistes et aux revendications ouvrières, un bloc républicain s'est constitué ; il regroupe les radicaux-socialistes (Clemenceau), les modérés (Poincaré, Barthou). Il s'oppose aux socialistes (leur premier congrès a lieu en 1879). Ceux-ci s'unifieront dans la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) en 1905.

Il y a là, en fait, deux conceptions de la République qui s'opposent. Cet affrontement est symbolisé par le débat qui met face à face, à la Chambre des députés, en avril 1906, le radical Clemenceau et le socialiste Jaurès.

Jaurès dénonce l'inégalité, dépose une proposition de loi sur la transformation de la propriété individuelle en propriété collective.

Clemenceau voit dans le socialisme une rêverie prophétique et choisit « contre vous, Jaurès, la justice et le libre développement de l'individu. Voilà le programme que j'oppose à votre collectivisme ! »

En fait, pour importants qu'ils soient et pour majeurs que soient les enjeux qu'ils sous-tendent, ces débats ne mobilisent pas les grandes masses du pays. Elles s'expriment néanmoins dans le cadre du suffrage universel.

Le nombre des électeurs qui votent pour le Parti socialiste augmente ainsi lentement.

Mais ce parti, comme les syndicats ou comme le Parti radical, ne compte que peu d'adhérents. Le citoyen est individualiste et sceptique. Il accepte le système politique en place. Ceux qui le contestent autrement que dans les urnes ne sont qu'une minorité.

La République « intègre » : en 1899, Millerand devient le premier socialiste à accéder à un ministère, et Jaurès soutient ce gouvernement Waldeck-Rousseau « de défense républicaine », bien que le ministre de la Guerre y soit le général de Galliffet, l'un des « fusilleurs » des communards.

Maurice Barrès (1862-1923), écrivain et député nationaliste, avait écrit à propos du ministère Jules Ferry : « Il donne à ses amis, à son parti, une série d'expédients pour qu'ils demeurent en apparence fidèles à leurs engagements et paraissent s'en acquitter, cependant qu'ils se rangent du côté des forces organisées et deviennent des conservateurs. »

Tel sera le chemin suivi par Alexandre Millerand ou Aristide Briand, tous deux socialistes, puis ministres « républicains » et cessant, du coup, d'agir en socialistes.

Produit d'une longue histoire « révolutionnaire », la IIIe République a construit entre 1880 et 1906 un système représentatif imparfait, contesté, mais capable de résister, dès lors qu'il sent sa politique républicaine modérée menacée soit par l'Église (et ce sont les lois laïques), soit par l'anarchisme et le socialisme (et c'est la répression), soit par le « militarisme », et ce seront les combats contre le général Boulanger ou pour la défense de l'innocent capitaine Alfred Dreyfus.