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Le pays se replie sur sa victoire et sur ses deuils.

Quand le débat s'engage pour savoir quelles dispositions militaires prendre pour se protéger d'une future volonté de revanche et de la contestation allemande du traité de Versailles, le maréchal Pétain propose un système de forteresses qui empêchera toute invasion.

C'est la prise de conscience d'un affaiblissement, malgré la victoire du pays.

On peut lire dans La Nouvelle Revue française, en novembre 1919, sous la plume de l'écrivain Henri Ghéon :

« L'être de la France est en suspens. Si le triomphe de nos armes l'a sauvée de la destruction et du servage, il la laisse si anémiée, et de son plus précieux sang, et de son capital-travail, et de son capital-richesse, que sa position, son assiette, est matériellement moins bonne, moins sûre, moins solide, malgré la récupération de deux provinces et l'occupation provisoire du Rhin, qu'en juillet 1914. »

Et Ghéon d'ajouter :

« Il nous paraît que la France n'aura vaincu, qu'elle ne sera, ne vivra qu'en proportion de nos efforts nouveaux pour faire durer sa victoire. »

Mais, après la tension de la guerre, les sacrifices consentis, l'âme de la France a-t-elle encore les ressources pour faire face aux problèmes que la guerre – et la victoire – lui posent : déclin démographique, reconstruction, accord entre les forces sociales et politiques pour adapter le pays, affronter les périls, crise financière d'une nation endettée, appauvrie ?

Or c'est la division qui s'installe.

Les ouvriers, les cheminots et les fonctionnaires se lancent dans la grève, manifestent pour la journée de huit heures (deux morts le 1er mai 1919).

En utilisant la réquisition et la mobilisation du matériel et des cheminots, le gouvernement brise la grève dans les chemins de fer au printemps de 1920.

Échec syndical et politique : des milliers de cheminots (18 000, soit 5 % de l'effectif) sont révoqués.

La justice envisage même la dissolution de la CGT.

Fort de la majorité qu'il détient, le Bloc national, républicain conservateur, inquiet de la vague révolutionnaire qui, à partir de la Russie, semble déferler sur l'Europe, est décidé à briser le mouvement social, donc à creuser un peu plus le fossé entre la majorité de la population et une minorité plus revendicative et contestatrice que révolutionnaire.

L'union sacrée est bien morte.

Pourtant, au-delà des divisions politiques, la république parlementaire continue d'écarter ceux qui, par leur personnalité, leur popularité, tentent de résister aux jeux des combinaisons politiciennes.

En janvier 1920, les parlementaires ont écarté la candidature à la présidence de la République de Georges Clemenceau, homme politique à l'esprit indépendant. À sa place, ils élisent Paul Deschanel.

Quand la folie aura contraint ce dernier à démissionner, en septembre 1920, ils choisiront Alexandre Millerand, ancien socialiste, devenu homme d'ordre et chef du Bloc national.

Mais dès que le même Millerand s'efforcera de donner quelque pouvoir à sa fonction, il rencontrera des oppositions.

Ainsi, deux ans seulement après l'armistice, la France apparaît à la fois épuisée, saignée par la guerre et divisée, cherchant des modèles dans les révolutions et les contre-révolutions qui fleurissent en Europe.

D'aucuns regardent vers Moscou et adhèrent au bolchevisme.

D'autres se tournent vers Rome, où l'on entend résonner le mot « fascisme », inventé en mars 1919 par Benito Mussolini.

Quant au pays profond, il se souvient de ceux qui sont tombés, il fleurit les tombes et les monuments aux morts.

CHRONOLOGIE IV

Vingt dates clés (1799-1920)

1804 : 21 mars, promulgation du Code civil ; 2 décembre, couronnement de Napoléon empereur

1805 : 2 décembre, Austerlitz

1812 : Campagne et retraite de Russie

1815 : 1er mars, retour de l'île d'Elbe, et, le 18 juin, Waterloo

5 mai 1821 : Mort de Napoléon à Sainte-Hélène

1824 : Mort de Louis XVIII. Accession au trône de son frère Charles X

27, 28, 29 juillet 1830 : les Trois Glorieuses – Louis-Philipped'Orléans, roi des Français

1831 : Révolte des canuts lyonnais

25 février 1848 : Proclamation de la République

Juin 1848 : Répression contre les ouvriers des ateliers nationaux

10 décembre 1848 : Louis-Napoléon Bonaparte élu présidentde la République

2 décembre 1851 : Coup d'État. L'Empire sera proclamé le 1er décembre 1852

4 septembre 1870 : Déchéance de l'Empire. IIIe République

21-28 mai 1871 : Semaine sanglante. Fin de la Commune

1875 : Vote de l'amendement Wallon. Le mot « république » dans les textes constitutionnels

1er mai 1891 : Grèves et incidents à Fourmies

30 janvier 1898 : « J'accuse ! », de Zola, en défense d'Alfred Dreyfus

9 décembre 1905 : Loi de séparation de l'Église et de l'État

3 août 1914-11 novembre 1918 : Déclaration de guerre de l'Allemagne à la France – armistice de Rethondes

28 juin 1919 : Signature du traité de Versailles.

LIVRE V

L'ÉTRANGE DÉFAITE

ET LA FRANCE INCERTAINE

1920-2007

1

LA CRISE NATIONALE

1920-1938

58.

En une quinzaine d'années – des années 20 aux années 30 du xxe siècle –, la France, passe d'un après-guerre à un avant-guerre, même si elle refuse d'imaginer que ce qu'elle vit à partir de 1933 annonce un nouveau conflit contre les mêmes ennemis allemands qu'elle croyait avoir vaincus.

Mais il existe, en fait, plusieurs France, comme si, après la « brutalisation » exercée par la guerre, l'âme de la nation avait non seulement été traumatisée, mais avait éclaté.

Il y a les Français qui pleurent dans les cimetières et se recueillent devant les monuments aux morts.

Il y a les anciens combattants qui se regroupent à partir des années 30 dans une ligue patriotique antiparlementaire rassemblant ceux qui ont combattu en première ligne : les Croix-de-Feu. Ils seront près de cent cinquante mille.

Il y a ceux que la « boucherie » guerrière a révoltés, qui ne veulent plus revoir « ça ». Ils sont pacifistes. D'autres se pensent révolutionnaires parce que, selon Jaurès « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ». Ceux-là sont devenus communistes.

Il y a ceux qui croient à l'entente possible entre les États.

Ils font confiance à la Société des Nations pour régler les différends internationaux. Ils pleurent en écoutant Aristide Briand, pèlerin de la paix, plusieurs fois président du Conseil et ministre des Affaires étrangères durant sept années –, lorsqu'il salue l'adhésion de l'Allemagne à la Société des Nations (1926), signe le pacte Briand-Kellog mettant la guerre hors la loi (1928) ou appelle à la constitution d'une Union européenne (1929) et déclare : « Arrière, les fusils, les mitrailleuses, les canons ! Place à la conciliation, à l'arbitrage, à la paix ! »

Il y a ceux qui, après la « marche sur Rome », la prise du pouvoir par Mussolini (octobre 1922), veulent imiter le fascisme italien et sont parfois financés par lui.

Ils créent un Faisceau des combattants et des producteurs (Georges Valois, 1925), des mouvements qui se dotent d'un uniforme – les Jeunesses patriotes, les Francistes –, comme si ces jeunes hommes qui ont vécu la discipline militaire et porté le bleu horizon ne pouvaient y renoncer et voulaient pour la France un « régime fort », ce que Mussolini a qualifié, dans les années 30, d'État « totalitaire », inventant ce mot.