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Le 12 février, les syndicats, les socialistes et les communistes – unis de fait dans la rue – manifestent au cri de « Le fascisme ne passera pas ! ».

On peut craindre que ces affrontements ne conduisent à une situation de guerre de religion ou de guerre civile comme la France en a si souvent connu.

Perspective d'autant plus grave et « classique » que les camps qui s'affrontent affichent aussi des positions radicalement différentes en politique extérieure.

Dès ce mois de février 1934, alors que Hitler passe en revue les troupes allemandes, que Mussolini déclare qu'il faut que l'Italie obtienne en Afrique (en Éthiopie) des récompenses pour sa politique européenne, qu'en Asie le Japon a attaqué la Chine, la République semble être incapable de susciter une nouvelle « union sacrée ».

Où est le parti de la France ? Chacun se réclame de la nation mais regarde vers l'étranger.

Le pouvoir républicain a d'ailleurs cédé devant l'émeute du 6 février.

Daladier a démissionné.

Il est remplacé par Gaston Doumergue (soixante et onze ans) qui a été naguère président de la République. Ce radical-socialiste modéré est entouré de Tardieu et Herriot.

Le ministre de la Guerre est un maréchal populaire parmi les anciens combattants, Philippe Pétain (soixante-dix-huit ans).

Comment ces septuagénaires pourraient-ils unir et galvaniser l'âme de la France blessée, angoissée, repliée sur elle-même ?

De l'autre côté du Rhin, la jeunesse acclame le chancelier Hitler.

Il n'a que quarante-cinq ans.

59.

À partir de 1934, il n'y aura plus de répit pour la France. Durant quelques semaines, au printemps et au début de l'été 1936, l'opinion populaire aura beau se laisser griser par les accordéons des bals du 14 Juillet dans les cours des usines occupées par les ouvriers en grève, ce ne sera qu'une brève illusion.

L'espoir, le rêve, la jouissance des avantages obtenus du gouvernement du Front populaire – congés payés ; quarante heures de travail par semaine, etc. –, seront vite ternis, effacés même, par le déclenchement de la guerre d'Espagne, le 17 juillet 1936, et l'aggravation de la situation internationale.

La France est entrée dans l'avant-guerre.

Mais le pays refuse d'en prendre conscience.

Qui peut accepter, vingt ans seulement après la fin de la Première Guerre mondiale, si présente dans les corps et les mémoires, qu'une nouvelle boucherie recommence à abattre des hommes dont certains sont les survivants de 14-18 ?

Dès lors, on ne veut mourir ni pour les Sudètes, ces 3 millions d'Allemands de Tchécoslovaquie séduits par le Reich de Hitler, ni pour Dantzig, cette « ville libre » séparée du Reich par un « corridor » polonais.

Certes, la France a signé des traités avec la Tchécoslovaquie et la Pologne !

Mais quoi, le respect de la parole donnée vaut-il une guerre ?

Il faut la paix à tout prix, à n'importe lequel !

Et quand, à Munich, le 29 septembre 1938, Daladier et l'Anglais Chamberlain abandonnent sur la question des Sudètes, et donc, à terme, livrent la Tchécoslovaquie à Hitler, c'est dans toute la France un « lâche soulagement », selon le mot de Léon Blum.

Embellie illusoire du Front populaire !

Apparente sagesse de Léon Blum de ne pas intervenir en Espagne pour soutenir un Frente popular menacé par le pronunciamiento du général Franco !

Lâche soulagement au moment de Munich.

Ce sont là les signes de la crise nationale qui rend la France aboulique, passant de l'exaltation à l'abattement, de brefs élans au repliement.

Aussi les volontaires français qui s'enrôlent dans les Brigades internationales pour aller combattre auprès des républicains espagnols – Malraux est le plus illustre d'entre eux – sont-ils peu nombreux (moins de 10 000).

Même si le « peuple » ouvrier est solidaire de ses camarades espagnols, il aspire d'abord à « profiter » des congés payés et des auberges de jeunesse !

Attitude significative : elle révèle qu'on imagine que la France peut rester comme un îlot préservé alors que monte la marée guerrière.

Et, avec la non-intervention en Espagne, la ligne Maginot, l'accord de Munich, les élites renforcent cette croyance, cette illusion.

Comment, dans ces conditions, préparer la France à ce qui vient : la guerre contre l'Allemagne nazie ?

En fait, durant ces quatre années (de 1934 à 1938), c'est comme si le pays et ses élites avaient été incapables – ou avaient refusé – de voir la réalité, de trancher le nœud gordien de cette crise nationale qui mêlait chaque jour de façon plus étroite politiques intérieure et extérieure.

Au temps du Front populaire, le 14 Juillet, on défile avec un bonnet phrygien, et l'entente des communistes, des socialistes et des radicaux se fait ainsi dans l'évocation et la continuité de la tradition révolutionnaire.

L'hebdomadaire qui exprime cette sensibilité du Front populaire s'intitule Marianne.

On célèbre aussi – en mai 1936 – le souvenir de la Commune de Paris en se rendant en cortège au mur des Fédérés en hommage aux communards fusillés au cimetière du Père-Lachaise.

Nouvelle référence révolutionnaire alors que les mesures du Front populaire sont importantes – congés payés, scolarité obligatoire et gratuite jusqu'à quatorze ans –, mais ne « révolutionnent » pas la société française.

Au reste, les radicaux de Daladier, interprètes des classes moyennes, sont des modérés qui n'accepteront jamais une dérive révolutionnaire du Front populaire. D'autant moins que le basculement électoral qui a permis la victoire du Front, aux élections d'avril-mai 1936, ne porte que sur... 150 000 voix !

Les « discours » et « références » révolutionnaires ne sont donc qu'illusion, simulacre.

Mais ils sont suffisants pour provoquer l'inquiétude et même une « grande peur » parmi l'opinion modérée, dans les couches moyennes, chez les paysans.

Parce que, derrière le Front populaire, on craint les communistes ; ils ont désormais 76 députés – plus que les radicaux –, et il y a 149 députés socialistes. Ils ont refusé de participer au gouvernement radical et socialiste de Léon Blum, tout en le « soutenant ». Pourquoi, si ce n'est pour « organiser » les masses (les adhérents du Parti communiste sont passés de 40 000 en 1933 à plus de 300 000 en 1937) ?

Les propos révolutionnaires, joints à ces réalités, aggravent les tensions.

Lorsqu'on entend chanter les militants du Front populaire, portant le bonnet phrygien, « Allons au-devant de la vie. Allons au-devant du bonheur. Il va vers le soleil levant, notre pays », l'opinion modérée ne craint pas seulement un retour à la terreur de 1793. Ce chant est soviétique.

On a donc peur des « bolcheviks » au moment précis où les grands procès de Moscou dévoilent la terreur stalinienne.

Donc, indissociablement, à chaque instant de la vie politique, la situation intérieure renvoie à des choix de politique extérieure.

La peur, la haine entre Français, s'exacerbent. Salengro, ministre de l'Intérieur de Blum, est calomnié et se suicide. Georges Bernanos écrira : « L'ouvrier syndiqué a pris la place du Boche ». La nation, sur tous les sujets, est divisée.

Ainsi, en 1935, les élites intellectuelles s'indignent dans leur majorité que la France, à la Société des Nations, vote des sanctions contre l'Italie fasciste qui a entrepris la conquête de l'Éthiopie, État membre de la SDN.

Dans les rues du Quartier latin, à Paris, les étudiants de droite manifestent contre le professeur Jèze, défenseur du Négus.

Les académiciens évoquent la mission civilisatrice de l'Italie fasciste face à l'un des pays les plus arriérés du monde : cette « Italie fasciste, une nation où se sont affirmées, relevées, organisées, fortifiées depuis quinze ans quelques-unes des vertus essentielles de la haute humanité ». Et c'est pour protéger l'Éthiopie qu'on risque de déchaîner « la guerre universelle, de coaliser toutes les anarchies, tous les désordres » !