Ce courant est influencé par Charles Maurras, qui identifie les intérêts de la nation à ceux des partisans de la « royauté ».
Ainsi, aucune des forces politiques ne place au cœur de son projet et de son action la défense bec et ongles de la nation.
Chacune d'elles est dominée par une idéologie ou par la défense de la « clientèle » qui assure électoralement sa survie.
De ce fait, les « instruments » d'une grande politique extérieure – la diplomatie et l'armée – ne sont ni orientées ni dirigées par la main ferme du pouvoir politique.
Seules quelques personnalités indépendantes d'esprit accordent priorité aux intérêts de la nation et sont capables de prendre des décisions au vu des nécessités nationales sans se soumettre à des présupposés idéologiques.
Mais ces individualités sont peu nombreuses et ne peuvent imposer leurs vues et leurs décisions aux forces politiques ou aux grands corps.
Un Paul Reynaud, par exemple, a soutenu les idées novatrices du colonel de Gaulle – création de divisions blindées – sans réussir à imposer assez tôt leur constitution.
De Gaulle (1890-1970) est évidemment l'un de ces patriotes lucides qui n'ont pas encore le pouvoir de décision ni même celui de l'influence.
Dès 1937, il peut écrire : « Notre haut commandement en est encore aux conceptions de 1919, voire de 1914. Il croit à l'inviolabilité de la ligne Maginot, d'ailleurs incomplète (elle ne couvre pas le massif des Ardennes, réputé infranchissable). [...] Seule la mobilité d'une puissante armée blindée pourrait nous préserver d'une cruelle épreuve. Notre territoire sera sans doute une fois de plus envahi ; quelques jours peuvent suffire pour atteindre Paris. »
De Gaulle anticipe aussi les évolutions de la situation internationale lorsqu'il identifie la menace nazie et le risque d'un accord germano-russe que n'empêchera pas le heurt des idéologies, car, estime-t-il, la géopolitique commande à l'idéologie.
Ils ne sont qu'une poignée, ceux qui ont envisagé cette hypothèse, relevé les signes avant-coureurs du double jeu de Staline.
Le maître de l'URSS négocie avec les Français et les Anglais, d'une part, et, de l'autre, avec les Allemands.
Il écarte le ministre des Affaires étrangères juif, Litvinov, et le remplace par Molotov dès le mois de mai 1939.
Des réfugiés antinazis sont livrés par les Russes aux Allemands.
Le 23 août 1939, la nouvelle de la signature d'un pacte de non-agression germano-soviétique plonge les milieux politiques dans la stupeur, le désarroi, la colère.
Malgré de nombreuses défections, les communistes français vont justifier la position soviétique. Se plaçant ainsi en dehors de la communauté nationale, ils vont subir la répression policière.
Car le pacte signifie évidemment le déclenchement de la guerre.
Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes entrent en Pologne – Russes et Allemands se sont « partagé » le pays. L'Angleterre d'abord, puis la France, le 3 septembre, déclarent la guerre à l'Allemagne.
On n'avait pas voulu se battre pour les Sudètes.
On va mourir pour Dantzig.
L'opinion française perd tous ses repères. Les communistes sont désormais hostiles à la « guerre impérialiste » !
La guerre s'impose comme une fatalité.
On la subit sans enthousiasme.
Le frémissement patriotique qui avait saisi l'âme de la France pendant les six premiers mois de 1939 est retombé.
Restent le devoir, l'acceptation morose, l'obligation de faire cette guerre dont on ne comprend pas les enjeux parce qu'à aucun moment les élites politiques n'ont évoqué clairement les intérêts français ni n'ont agi avec détermination.
Les élites ont oublié la France, prétendant ainsi suivre les Français qui, au contraire, attendaient qu'on leur parle de la nation et des raisons qu'il y avait, vingt ans après la fin d'une guerre, de se battre à nouveau et de mourir pour elle.
61.
En onze mois, de septembre 1939 à juillet 1940, la France, entrée dans la guerre résignée, mais qui s'imaginait puissante, a été terrassée, humiliée, mutilée, occupée après avoir succombé à une « étrange défaite », la plus grave de son histoire.
Car ce n'est pas seulement la crise nationale qui couvait depuis les années 30 qui est responsable de cet effondrement.
Si des millions de Français se sont jetés sur les routes de l'exode, si Paris n'a pas été défendu, si deux millions de soldats se sont rendus à l'ennemi, si la IIIe République s'est immolée dans un théâtre de Vichy, et si seulement 80 parlementaires ont refusé de confier les pleins pouvoirs à Pétain, alors que 589 d'entre eux votaient pour le nouveau chef de l'État, c'est que la gangrène rongeait la nation depuis bien avant les années 30.
C'était comme si, en 1940, la débâcle rouvrait les plaies de 1815, de 1870, qu'on avait crues cicatrisées et qui étaient encore purulentes.
Pis : c'était comme si, à l'origine et à l'occasion de l'« étrange défaite », toutes les maladies, les noirceurs de l'âme de la France s'étaient emparées du corps de la nation, comme s'il fallait faire payer au peuple français aussi bien l'édit de Nantes, la tolérance envers les hérétiques, que la décapitation de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la loi de séparation de l'Église et de l'État, la réhabilitation de Dreyfus et le Front populaire !
Le désastre de 1940 fut un temps de revanche et de repentance, le châtiment enfin infligé à un peuple trop rétif.
Il fallait le faire rentrer dans le rang, lui extirper de la mémoire Henri IV et Voltaire, les communards et Blum, et même ce dernier venu, ce grand rebelle, de Gaulle, ce colonel promu général de brigade à titre temporaire en juin 1940 et qui, depuis Londres, clamait que « la flamme de la Résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ».
Il osait dénoncer le nouvel État français, refuser une « France livrée, une France pillée, une France asservie ».
Le 3 août 1940, on le condamnait à mort par contumace pour trahison et désertion à l'étranger en temps de guerre.
Et Philippe Pétain, beau vieillard patelin de quatre-vingt-quatre ans, derrière lequel se cachaient les ligueurs de 1934, les politiciens ambitieux vaincus en 1936, dont Pierre Laval, tous les tenants de la politique d'apaisement, invitait au retour à la terre, parce que la « terre ne ment pas ».
Il morigénait le peuple, l'invitait à un « redressement intellectuel et moral », à une « révolution nationale » – comme en avaient connu l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne. Mais celle-ci serait une contre-révolution française : il fallait oublier la devise républicaine, « Liberté, Égalité, Fraternité », et la remplacer par le nouveau triptyque de l'État français : Travail, Famille, Patrie.
L'ordre moral, celui des années 1870, s'avance avec ce maréchal qui avait dix-sept ans au temps du maréchal de Mac-Mahon et du duc de Broglie.
« Depuis la victoire [de 1918], dit Pétain, l'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on n'a servi. On a voulu épargner l'effort. On rencontre aujourd'hui le malheur. »
Le malheur s'est avancé à petits pas sournois.
« Drôle de guerre » entre septembre et mai 1940.
On ne tente rien, ou presque – une offensive en direction de la Sarre, vite interrompue – pour secourir les Polonais broyés dès le début du mois d'octobre.
Et Hitler, le 6 de ce mois, lance un appel à la paix qui trouble et rassure.
Peut-être n'est-ce là qu'un simulacre de guerre ?
Les Allemands ont obtenu ce qu'ils voulaient ; pourquoi pas une paix honorable ?
Ce qu'il reste de communistes prêche pour elle, contre la guerre conduite par la France impérialiste. Ils ne dénoncent plus l'Allemagne. On les emprisonne, ces martyrs de la paix, et leur secrétaire général, Thorez, a déserté et gagné Moscou !