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En zone occupée, la présence allemande – armée, police, Gestapo – rappelle à chaque pas la défaite.

En zone libre, on s'illusionne, on arbore le drapeau tricolore le jour de la fête de Jeanne d'Arc. Une « armée de l'armistice » cache ses armes, préparant la revanche, et à Vichy même les officiers du Service de renseignements arrêtent des espions allemands.

La défaite et l'occupation, ce sont aussi ces ambiguïtés, ce double jeu, ces excuses à la lâcheté, aux malversations, au « marché noir », à toute cette érosion des valeurs morales et républicaines.

Le malheur corrompt le pays.

Et la silhouette chenue d'un Pétain en uniforme couvre toutes les compromissions, les délations, les vilenies.

On livre à la Gestapo les antinazis qui s'étaient réfugiés en France.

On promulgue, à partir d'octobre 1940, des lois antisémites, sans même que les Allemands l'aient demandé. Et la persécution commence à ronger la société française, avec son cortège de dénonciations, d'égoïsmes, de lâchetés.

Les 16 et 17 juillet 1942, grande rafle des Juifs à Paris : la tache infamante, sur l'uniforme de l'État français, a la forme d'une étoile jaune.

80 000 de ceux qui ont été raflés, avec le concours de la police française, disparaîtront, déportés, dans les camps d'extermination.

L'ogre nazi est insatiable. Il exige, pour faire fonctionner ses usines de guerre, un Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne qui s'applique à tous les jeunes Français.

L'âme de la France est souillée par cette complicité et cette collaboration avec l'occupant, fruits de la lâcheté, de l'ambition – le vainqueur détient le pouvoir, il favorise, il paie, il ferme les yeux sur les malversations –, mais aussi d'un accord idéologique.

Car toutes ces motivations se mêlent.

On est un jeune homme qui, en 1935, manifeste contre les sanctions de la SDN frappant l'Italie fasciste qui a agressé l'Éthiopie.

On a des sympathies pour la Cagoule. On a baigné dans la tradition antisémite illustrée par les œuvres de Drumont, qui ont imprégné les droites françaises.

On aurait été antidreyfusard si l'on avait vécu pendant l'Affaire.

On est aussi patriote, défenseur de cette France-là, « antirévolutionnaire », antisémite.

On fait son devoir en 1939. On est prisonnier, on s'évade comme un bon patriote. On retrouve ses amis cagoulards à Vichy. On y exerce des fonctions officielles. On ne prête pas attention aux lois antisémites. C'est le prolongement naturel de la Révolution nationale.

On est décoré de la francisque par Pétain. Et on a pour ami le secrétaire général de la police, Bousquet, qui organise les rafles antisémites de Paris et fera déporter la petite-fille d'Alfred Dreyfus.

On est resté un beau jeune homme aux mains pures, et quand, en 1943, le vent aura tourné, poussant l'Allemagne vers la défaite, on s'engagera contre elle dans la Résistance.

On pourrait s'appeler François Mitterrand, futur président socialiste de la République.

Jamais d'ailleurs on n'a été pronazi ni même pro-allemand. On a été partisan d'une certaine France, celle du maréchal Pétain, de la Révolution nationale, qui voit bientôt naître un Service d'ordre légionnaire, noyau de la future Milice, force de police, de répression et de maintien de l'ordre aux uniformes noirs, imitation malingre de la milice fasciste, des SA et des SS nazis.

On n'a pas été choqué quand, le 24 octobre 1940, à Montoire, Pétain a serré la main de Hitler et déclaré : « J'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration. »

On écoute d'autant plus cette voix qui prêche pour une « Europe nouvelle » continentale – Drieu la Rochelle le faisait dès les années 30 – que les événements ont ravivé le vieux fonds d'anglophobie d'une partie des élites françaises.

Il y a eu l'évacuation du réduit de Dunkerque, où les Anglais ont d'abord embarqué les leurs.

Il y a eu surtout, le 3 juillet 1940, l'attaque de la flotte française en rade de Mers el-Kébir par une escadre anglaise : 1 300 marins français tués, l'indignation de toute la France contre cette agression vécue comme une trahison, alors qu'elle n'était pour les Anglais qu'une mesure de précaution contre un pays qui, contrairement à ses engagements, venait de signer un armistice séparé. Et qu'allait devenir cette flotte ? Un butin pour les Allemands ?

Mais le ressentiment français est grand. Et les cadres de la marine (l'amiral Darlan) sont farouchement antianglais.

Le ressentiment vichyste est alimenté chaque jour par la présence à Londres du général de Gaulle, la reconnaissance par Churchill de la représentativité de cette « France libre » qui s'adresse par la radio au peuple français – « Ici Londres, des Français parlent aux Français » –, l'incitant à la résistance.

Il y a en effet des Français qui résistent et qui veulent exprimer et incarner les vertus propres à l'âme de la France.

Car le patriotisme d'une vieille nation survit au naufrage de la défaite. Il est si profondément ancré dans le cœur des citoyens qu'il est présent jusque chez ceux qui « collaborent » ou s'enrôlent dans la Milice ou dans la légion des volontaires français pour défendre – sous l'uniforme allemand – l'Europe contre le bolchevisme.

C'est un patriotisme « dévoyé », criminel, mais même chez un Joseph Darnand – chef de la Milice, héros des guerres de 14-18 et de 39-40 –, il est perceptible.

Et on peut en créditer, sans que cela leur tienne lieu de justification ou d'excuse, bien des serviteurs de l'État français qui côtoient cependant à Vichy des aigrefins, des cyniques, des ambitieux sordides, des politiciens aigris et ratés, voire des fanatiques, journalistes, écrivains, que la passion antisémite obsède.

Mais la pierre de touche du patriotisme véritable et rigoureux, c'est le refus de l'occupation du sol de la nation et l'engagement dans la lutte pour lui rendre indépendance et souveraineté.

Ce patriotisme-là, il ne se calcule pas, il est instinctif.

L'ennemi occupe la France, il faut l'en chasser. C'est nécessaire. Donc il faut engager le combat.

Dès juin 1940, de jeunes officiers (Messmer), des fonctionnaires (Jean Moulin), des anonymes, des chrétiens (Edmond Michelet), des philosophes (Cavaillès) refusent de cesser le combat, rejettent l'armistice. Ils gagnent Londres, puisque là-bas on continue la lutte.

Ils éditent des tracts, des journaux clandestins qui appellent à la résistance, et certains effectuent pour les Anglais des missions de renseignement.

Ainsi, la défaite fait coexister plusieurs France durant les deux premières années (1940-novembre 1942) de l'Occupation.

Il y a les départements qui échappent à toute autorité française : annexés à l'Allemagne, ou rattachés à la Belgique, ou constituant une zone interdite.

Il y a la zone occupée, de la frontière des Pyrénées à Chambéry en passant par Moulins.

Il y a la « zone libre », l'État français, dont la capitale est Vichy.

Et puis il y a la France libre de Charles de Gaulle, qui, à partir de juillet 1942, s'intitulera France combattante. Elle a commencé à rassembler autour d'elle la France de la Résistance intérieure.

De nombreux mouvements clandestins se sont en effet constitués : Combat, Libération, Franc-Tireur, Défense de la France.

À compter du 22 juin 1941, jour de l'attaque allemande contre l'URSS, les communistes se lancent enfin à leur tour dans la Résistance et en deviennent l'une des principales composantes, engageant leurs militants dans l'action armée – attentats, attaques de militaires allemands, etc.