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Le STO, à partir de l'année 1943, provoquera la création de maquis, l'apparition d'une autre France, celle des réfractaires.

Mais les divisions idéologiques, les divergences portant sur les modes d'action, les rivalités personnelles ou de groupe, caractérisent aussi bien cette Résistance que la France libre, les zones occupées ou l'État de Vichy.

La défaite a encore aggravé la fragmentation politique, les oppositions, comme si la France était plus que jamais incapable de se rassembler, comme si la division, cette maladie endémique de l'histoire nationale, était devenue plus aiguë que jamais, symptôme de la gravité du traumatisme subi par la nation.

À Londres, de Gaulle ne regroupe durant les premiers mois que quelques milliers d'hommes. Et il y a déjà, au sein de la France libre, des « antigaullistes ».

Lorsqu'il tente la reconquête des colonies d'Afrique noire, les Français vichystes de Dakar font échouer l'entreprise (septembre-octobre 1940). Elle réussit en Afrique-Équatoriale avec Leclerc de Hauteclocque. Peu à peu se constituent des Forces françaises libres, qui compteront, en 1942, près de soixante-dix mille hommes.

Mais la « guerre civile » menace toujours : en Syrie, en 1941, les troupes fidèles à Vichy affrontent les « gaullistes ».

À Vichy, autour du Maréchal – dont l'esprit, dit-on, n'est éveillé, et la lucidité, réelle, qu'une heure par jour ! –, les querelles et les ambitions s'ajoutent aux choix politiques différents.

Pierre Laval, président du Conseil, est renvoyé par Pétain en décembre 1940, puis son retour est imposé (en avril 1942) par les Allemands, qui, en fait, sont les maîtres. Peut-être pour s'assurer encore mieux de leur soutien, Laval déclare : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne. »

À Paris, Marcel Déat et Jacques Doriot dirigent, l'un le Rassemblement national populaire, l'autre, le Parti populaire français.

Ils incarnent une collaboration idéologique qui critique la « modération » de Vichy et souhaite une « fascisation du régime ».

Une partie de la pègre, contrôlée par les Allemands, s'est mise au service des nazis pour traquer les résistants, les torturer, dénoncer et spolier les Juifs. Elle bénéficie d'une totale impunité, associant vol, trafic, marché noir, pillage et répression.

La collaboration a ce visage d'assassins.

Mais la Résistance est elle aussi divisée sur les modalités d'action comme sur les projets politiques.

L'entrée des communistes et leur volonté de « tuer » l'ennemi sans se soucier des exécutions d'otages sont critiquées par certains mouvements de résistance, et même par le général de Gaulle.

On s'oppose aussi sur les rapports entre la Résistance intérieure et la France libre. De Gaulle n'aurait-il pas les ambitions d'un « dictateur » ?

D'autres sont hostiles à la représentation des partis politiques au sein de la Résistance, puisque ces partis sont estimés responsables de la défaite par nombre de résistants, alors même que Vichy a fait arrêter, afin de les juger, Blum, Daladier et Reynaud. Mais le procès, amorcé à Riom, tourne à la confusion de Vichy et sera donc interrompu.

On s'interroge même sur les relations qu'il convient d'avoir avec Vichy et avec l'armée de l'armistice. Certains résistants nouent là des liens ambigus, sensibles qu'ils sont à l'idéologie de l'État français.

Ainsi, les cadres de Vichy formés dans l'école d'Uriage sont à la fois des partisans de la Révolution nationale et des patriotes antiallemands.

C'est en fait la question du futur régime de la nation, une fois qu'elle aura été libérée, qui est déjà posée.

On craint une prise de pouvoir par les communistes, ou le retour aux jeux politiciens de la IIIe République, ou le pouvoir personnel de De Gaulle ; on espère une « rénovation » des institutions, des avancées démocratiques et sociales prenant parfois la forme d'une authentique révolution.

Mais ces oppositions, ces conflits, cette guerre civile larvée, ne concernent en fait qu'une minorité de Français.

Le peuple survit et souffre, « s'arrange » avec les cartes de rationnement, le « marché noir », les restrictions de toute sorte.

Il continue de penser – surtout en zone libre – que Pétain le protège du pire.

L'entrée en guerre de l'URSS (22 juin 1941), puis des États-Unis (7 décembre 1941), la résistance anglaise, l'échec allemand devant Moscou (décembre 1941), le confirment dans l'idée que le IIIe Reich ne peut gagner la guerre.

Qu'un jour, donc, la France sera libérée.

On commence à souffrir à partir de 1942 des bombardements anglais et américains (qui deviendront presque quotidiens en 1944). Ils provoquent des milliers de victimes, mais on est favorable aux Alliés. On attend leur « débarquement ». On écoute la radio anglaise et de Gaulle.

On imagine même qu'entre la France libre et la France de Vichy il y aurait un partage des tâches : Pétain protège, de Gaulle combat.

La figure de De Gaulle conquiert ainsi, au fil de ces mois, une dimension héroïque et presque mythologique.

Les exploits des Forces françaises libres – Bir Hakeim, en mai 1942 – sont connus. On ignore en revanche les conflits qui opposent les Américains à de Gaulle.

On désire l'unité de la nation.

Et de Gaulle comprend que, s'il veut s'imposer aux Anglo-Américains, il lui faut rassembler autour de lui toute la Résistance intérieure, unir les Forces françaises libres et les résistants.

La tâche qu'il confie à Jean Moulin est donc décisive : il s'agit d'unifier la Résistance et de lui faire reconnaître l'autorité de De Gaulle. Ce qui assurera, face aux Alliés, la représentativité et la prééminence du Général, adoubé par toutes les forces françaises combattantes, qu'elles soient à l'intérieur ou à l'extérieur de la France.

Mais, à la fin de 1942, si l'Allemagne engagée dans la bataille de Stalingrad a potentiellement perdu la guerre, rien n'est joué pour la France.

Réussira-t-elle à recouvrer sa souveraineté et son indépendance, donc sa puissance, sa place en Europe et dans le monde ?

Tel a été, dès juillet 1940, le projet de De Gaulle, qui s'est fixé pour objectif de faire asseoir la France « à la table des vainqueurs ».

Mais les États-Unis de Roosevelt ne le souhaitent pas.

De Gaulle est pour eux un personnage incontrôlable, parce que trop indépendant. Or, selon leurs plans, la France cesse d'être une grande puissance. Ils envisagent même de la démembrer et de lui arracher son empire colonial.

Ils n'ont pas même prévenu de Gaulle de leur débarquement en Afrique du Nord française, le 8 novembre 1942.

Ils veulent l'éliminer de l'avenir politique français.

Une nouvelle partie décisive vient de s'engager pour de Gaulle, et donc pour la France.

63.

En ce début du mois de novembre 1942, alors que les barges de débarquement américaines s'approchent des côtes de l'Algérie et du Maroc, le sort de la France est sur le fil du rasoir.

Quel sera son régime alors que la victoire des Alliés sur l'Allemagne est annoncée, même si personne ne peut encore savoir quand elle interviendra ?

Cette incertitude planant sur l'avenir de la nation ne sera pas levée avant le mois d'août 1944, quand Paris prendra les armes, dressera ses barricades, retrouvant le fil de l'histoire, associant les élans et les formes révolutionnaires à l'insurrection nationale.

Mais, jusque-là, tout demeure possible.

La donne internationale change.

Les États-Unis ont pris le pas sur le Royaume-Uni, Roosevelt, sur Churchill.

« De Gaulle est peut-être un honnête homme, écrira le 8 mai 1943 le président des États-Unis au Premier ministre britannique, mais il est en proie au complexe messianique... Je ne sais qu'en faire. Peut-être voudriez-vous le nommer gouverneur de Madagascar ? »