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En fait, c'est aux rapports de forces en Europe que pensent Roosevelt et Churchill, et, au fur et à mesure que la menace nazie s'affaiblit – bientôt, on le sait, elle disparaîtra –, au danger croissant que représente l'URSS.

La confrontation avec le communisme a été cachée sous la grande alliance contre l'Allemagne. Mieux valait s'allier avec Staline que se soumettre à Hitler. Mais l'opposition entre les démocraties et l'Union soviétique refait surface et commence même à envahir les esprits à la fin de 1942.

Dans cette perspective, peut-on faire confiance à de Gaulle ?

L'URSS a été parmi les premiers États à reconnaître la France libre.

De plus, le Parti communiste français et ses Francs-tireurs et partisans (FTP), ou encore la Main-d'œuvre immigrée (MOI), auteur des attentats les plus spectaculaires, jouent un rôle majeur dans la Résistance intérieure que de Gaulle entend rassembler autour de lui.

L'ancien préfet Jean Moulin, qu'il a chargé de cette tâche, est soupçonné par certains d'être un agent communiste.

Plus fondamentalement, il y a la tradition française d'alliance avec la Russie comme moyen d'accroître le poids de la France en Europe. Or cela n'apparaît souhaitable ni aux Américains ni aux Anglais.

Dès lors, ce qui s'esquisse en novembre 1942 – puis tout au long de l'année 1943 –, c'est une politique qui favoriserait le passage du gouvernement de Vichy de la collaboration avec l'Allemagne à l'acceptation du tutorat américain.

La continuité de l'État serait ainsi assurée, écartant les risques de troubles, de prise du pouvoir par les communistes et/ou de Gaulle.

Cette politique se met en place à l'occasion du débarquement américain en Afrique du Nord.

L'amiral Darlan – qui, en 1941, a ouvert aux Allemands les aéroports de Syrie, et qui est le numéro un du gouvernement après le renvoi de Laval – se trouve à Alger.

Les Américains le reconnaissent comme président, chef du Comité impérial français : mutation réussie d'un « collaborateur » de haut rang en rallié aux Américains.

« Ce qui se passe en Afrique du Nord du fait de Roosevelt est une ignominie, dira de Gaulle. L'effet sur la Résistance en France est désastreux. »

Les Américains poussent aussi le général Giraud à jouer les premiers rôles – en tant que rival de De Gaulle. Giraud s'est évadé d'Allemagne, c'est à la fois un adepte de la Révolution nationale, un fervent de Pétain et un anti-allemand.

Mais cet « arrangement », qui évite toute rupture politique entre l'occupation et la libération, et ferait de Vichy le gouvernement de la transition, la France changeant simplement de « maîtres », va échouer.

D'abord parce que les hommes de Vichy ne sont pas à la hauteur de ce dessein.

Au lieu de rejoindre Alger – il en aurait eu l'intention –, Pétain reste à Vichy alors même que la zone libre est occupée par les troupes allemandes le 11 novembre 1942.

L'armée de l'armistice n'ébauche pas même un simulacre de résistance.

La flotte – joyau de Vichy – se saborde à Toulon le 27 novembre. Cet acte est le symbole de l'impuissance de Vichy.

Darlan est assassiné le 24 décembre par un jeune monarchiste lié à certains gaullistes, Fernand Bonnier de La Chapelle. Et Giraud, soldat valeureux mais piètre politique, ne peut rivaliser avec de Gaulle, en dépit du soutien américain.

En fait, c'est l'âme de la France qui s'est rebellée contre cette tentative de la soumettre à une nouvelle sujétion.

Le patriotisme, la volonté de voir la nation recouvrer son indépendance et sa souveraineté, de retrouver sa fierté par le combat libérateur, le sentiment que l'histoire de la France lui dicte une conduite à la hauteur de son passé, qu'il faut effacer cette « étrange défaite », ce 1940 qui est un écho de 1815 et de 1870 – Pétain en Bazaine, et non plus le « chef vénéré » –, ont peu à peu gagné l'ensemble du pays.

Cela ne se traduit pas par un soulèvement général.

La Résistance représente à peine plus de 2 % de la population.

Mais ces FFI, ces FTPF, ces réfractaires, ces maquisards, ces « terroristes », ne sont pas seulement de plus en plus nombreux – le risque du travail obligatoire en Allemagne pousse les jeunes vers la clandestinité dans les villages, les maquis : leurs actions sont approuvées.

Les Allemands (la Gestapo) et les miliciens mènent des opérations de répression efficaces, mais, même s'ils remportent des succès – en juin 1943, arrestation à Calluire des chefs de la Résistance, dont Jean Moulin –, ils ne peuvent étouffer ce mouvement qui vient des profondeurs du pays.

Ce désir de voir renaître la France est si fort que, le 27 mai 1943, les représentants des différents mouvements et partis politiques créent – grâce à la ténacité de Jean Moulin, l'« unificateur » – le Conseil national de la Résistance.

Le CNR élabore un programme politique, économique et social qui le situe dans le droit fil de la République sociale et du Front populaire, par opposition aux principes de la Révolution nationale.

Le CNR reconnaît l'autorité du général de Gaulle, chef de la France combattante.

Dès lors, de Gaulle ne peut que l'emporter face à Giraud.

Il deviendra le président du Comité français de Libération nationale, créé le 3 juin 1943. Une Assemblée consultative provisoire est mise en place le 17 septembre 1943.

« C'est le début de la résurrection des institutions représentatives françaises », dit de Gaulle.

Une armée est reconstituée. Elle libérera la Corse en septembre 1943 – après la capitulation italienne du 8 septembre. Cent trente mille soldats (Algériens, Marocains, Européens d'Algérie) combattront en Italie. L'armée française comptera bientôt 500 000 hommes.

Pétain, Laval et leur gouvernement, dans une France entièrement occupée, ne sont plus que des ombres avec lesquelles jouent les Allemands.

Lorsqu'il tente de justifier sa politique, Laval déclare le 13 décembre 1942 : « C'est une guerre de religion que celle-ci. La victoire de l'Allemagne empêchera notre civilisation de sombrer dans le communisme. La victoire des Américains serait le triomphe des Juifs et du communisme. Quant à moi, j'ai choisi... Je renverserai impitoyablement tout ce qui, sur ma route, m'empêchera de sauver la France. »

Mais sa parole – sans doute sincère – ne peut être entendue. Elle se heurte à la réalité d'une occupation qui devient impitoyable.

Le 26 décembre, vingt-cinq Français sont exécutés à Rennes pour avoir fait sauter le siège de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme et le bureau de recrutement de travailleurs français pour l'Allemagne.

Qui peut croire au patriotisme de Laval ?

De Gaulle, au contraire, incarne la France qui a soif de renouveau, d'une République sociale, mais aussi l'ordre, le sens de l'État, le patriotisme qui rassemble toutes les tendances françaises.

Il est le symbole de l'union sacrée.

Cette réussite est due à la conjugaison d'un homme d'État exceptionnel, comme la nation en suscite quand elle est au fond de l'abîme, et du soutien des plus courageux des Français, sachant dépasser leurs divisions et leurs querelles gauloises.

Lui, de Gaulle, a foi en la France, porte un projet pour elle, fait preuve d'une volonté et d'une lucidité hors pair. Il est l'égal des plus grands dont les noms jalonnent l'histoire nationale. Eux, pour le temps du combat salvateur, le soutiennent. Et parce qu'ils sont ensemble, le chef charismatique et les citoyens dévoués à la patrie, rien ne peut leur résister.

Cependant, les Américains s'obstinent.

De Gaulle, chef légitime du Gouvernement provisoire de la République, n'est pas averti de la date et du jour du débarquement en France.