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Des dispositions sont prises par les Alliés pour traiter la France en pays « occupé », administré par les autorités militaires. Sa monnaie est déjà imprimée par les Alliés.

La France « libérée » ne pourra recouvrer ni son indépendance ni sa souveraineté.

De Gaulle n'est autorisé à prendre pied en France que huit jours après le débarquement du 6 juin 1944.

Mais la France alors se soulève, payant cher le prix de cet élan (le Vercors, les Glières, tant d'autres combats et tant d'autres villes où sont exécutés des otages : pendus de Tulle, population massacrée d'Oradour-sur-Glane, etc.).

De Gaulle, le 6 juin, a lancé : « C'est la bataille de France, c'est la bataille de la France », et, replaçant ce moment dans la trajectoire nationale, il ajoute : « Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes, voici que reparaît le soleil de notre grandeur ! »

Paris s'insurge le 19 août 1944.

Acte symbolique majeur : « Paris outragé, Paris martyrisé, mais Paris libéré, libéré par lui-même avec le concours des armées de la France. »

La population a dressé des barricades – tradition des journées révolutionnaires.

Les combats sont sévères (3 000 tués, 7 000 blessés). Les chars de la 2e division blindée du général Leclerc – de Gaulle a dû arracher au commandement allié l'autorisation d'avancer vers Paris – et la démoralisation allemande permettent, le 25 août, d'obtenir la reddition de l'occupant.

Forces françaises de l'intérieur et Forces françaises libres sont donc associées dans cette « insurrection » victorieuse.

Les millions de Parisiens rassemblés le 26 août de l'Arc de triomphe à Notre-Dame, qui acclament de Gaulle, expriment l'âme de la France, lavée de la souillure de la défaite et des compromissions comme si elle voulait faire oublier ses lâchetés, sa passivité, son attentisme.

Ainsi le passé héroïque de Paris et de la nation est-il ressuscité par ces journées de combats.

« L'histoire ramassée dans ces pierres et dans ces places, dit de Gaulle, on dirait qu'elle nous sourit. »

Un témoin ajoute que de Gaulle, ce jour-là, semblait « sorti de la tapisserie de Bayeux ».

Quatre années noires, commencées en mai 1940, s'achèvent en ce mois d'août 1944.

Elles ont condensé dans toutes leurs oppositions, et même leurs haines, les tendances contradictoires de l'histoire de la France. Chaque Français, engagé dans les combats de ces années-là, les a vécus comme la continuation d'autres affrontements enfouis dans le tréfonds de la nation.

La Révolution nationale aura été une tentative, à l'occasion de la défaite, de revenir sur les choix que la nation avait faits avec Voltaire, puis la Révolution française. Il s'agissait de retrouver la « tradition » en l'adaptant aux circonstances du xxe siècle, en s'inspirant de Salazar, le dictateur portugais, de Franco et de Mussolini plus que de Hitler.

Mais c'était nier le cours majeur de l'histoire nationale, la spécificité de la France.

Et aussi la singularité de De Gaulle, homme de tradition, mais ouverte, celle-ci, et unifiant toute la nation, ne la divisant pas.

C'est parce que ce choix et ce projet correspondent à l'âme de la France qu'ils s'imposent en août 1944.

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L'IMPUISSANCE RÉPUBLICAINE

1944-1958

64.

Combien de temps ceux qui parlent au nom de la France – de Gaulle, les représentants des partis politiques et des mouvements de résistance – resteront-ils unis ?

Dès août 1944, le regard qu'ils portent sur les « années noires » les oppose déjà.

Chacun veut s'approprier la gloire et l'héroïsme de la Résistance, masquer ainsi ses calculs, ses ambiguïtés, ses lâchetés et même ses trahisons.

Les communistes du PCF font silence sur la période août 1939-22 juin 1941, quand ils essayaient d'obtenir des autorités d'occupation le droit de faire reparaître leur journal L'Humanité. N'étaient-ils pas alors les fidèles servants de l'URSS, partenaire des nazis ?

En 1944-1945, alors que la guerre continue (Strasbourg sera libéré le 23 novembre 1944, les troupes de Leclerc entrent à Berchtesgaden le 4 mai 1945, la capitulation allemande intervient le 8 mai et le général de Lattre de Tassigny est présent aux côtés des Américains, des Russes et des Anglais : victoire diplomatique à forte charge symbolique), les communistes se proclament le « parti des fusillés » – 75 000 héros de la Résistance, précise Maurice Thorez, déserteur rentré amnistié de Moscou et bientôt ministre d'État.

Le tribunal de Nuremberg dénombrera 30 000 exécutés.

Ce qui se joue, c'est la place des forces politiques dans la France qui recouvre son indépendance. Le comportement des hommes et des partis durant l'Occupation sert de discriminant. On réclame l'épuration et la condamnation des traîtres, des « collabos », avec d'autant plus d'acharnement qu'on ne s'est soi-même engagé dans la Résistance que tardivement.

La magistrature, qui a tout entière – à un juge près ! – prêté serment à Pétain et poursuivi les résistants, condamne maintenant les « collabos ».

On fusille (Laval), on commue la peine de mort de Pétain en prison à vie. Il y a, durant quelques semaines, l'esquisse d'une justice populaire, expéditive, comme l'écho très atténué des jours de violence qui marquèrent jadis les guerres de Religion ou la Révolution, qui tachent de sang l'histoire nationale. Les passions françaises resurgissent.

En 1944, vingt mille femmes, dénoncées, accusées de complaisances envers l'ennemi, sont tondues, promenées nues, insultées, battues, maculées.

Des miliciens et des « collabos » sont fusillés sans jugement. On dénombre peut-être dix mille victimes de ces exécutions sommaires.

Dans le milieu littéraire, le Comité national des écrivains met à l'index, épure, sous la houlette d'Aragon.

Robert Brasillach est condamné à mort et de Gaulle refuse de le gracier malgré les appels à la clémence de François Mauriac.

Drieu la Rochelle se suicidera, prenant acte de la défaite de ses idées, de l'échec de ses engagements.

Jean Paulhan – un résistant – critiquera, dans sa Lettre aux directeurs de la Résistance, ces communistes devenus épurateurs, qui n'étaient que des « collaborateurs » d'une espèce différente : « Ils avaient fait choix d'une autre collaboration. Ils ne voulaient pas du tout s'entendre avec l'Allemagne, non, ils voulaient s'entendre avec la Russie. »

C'est bien la question de la Russie soviétique et des communistes qui, en fait, domine la scène française.

Ceux-ci représentent en 1945 près de 27 % des voix, et vont encore progresser.

Avec les socialistes (SFIO) – 24 % des voix –, ils disposent de la majorité absolue à l'Assemblée constituante élue le 21 octobre 1945.

Mais les socialistes préfèrent associer au gouvernement le Mouvement républicain populaire (MRP, 25,6 % des voix), issu de la Résistance et d'inspiration démocrate-chrétienne.

Ainsi se met en place un « gouvernement des partis » : d'abord tripartisme (MRP, SFIO, PCF) puis « Troisième Force » quand le PCF sera écarté du pouvoir à partir de 1947.

En 1944-1945, c'est encore l'union, mais déjà pleine de tensions.

De la résistance victorieuse, passera-t-on à la révolution ?

En août 1944, un Albert Camus le souhaitera. Mais la révolution, est-ce abandonner le pouvoir aux mains des communistes ?

Le risque existe : des milices patriotiques en armes, contrôlées par ces derniers, sont présentes dans de nombreux départements.

Le Front national, le Mouvement de libération nationale, sont des « organisations de masse » dépendantes en fait du PCF.

On peut craindre une subversion, voire une guerre civile, en tout cas une paralysie de l'État républicain soumis au chantage communiste.