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La première bataille à conduire doit donc avoir pour but d'affirmer la continuité de la République et de l'État.

De Gaulle s'y emploie en déclarant aux membres du CNR qui lui demandent de proclamer la République, le 26 août 1944 : « La République n'a jamais cessé d'être... Vichy fut toujours nul et non avenu. Moi-même, je suis président du gouvernement de la République. Pourquoi vais-je la proclamer ? »

Attitude radicale et lourde de sens.

Si Vichy a « été nul et non avenu », sans légitimité, les lois qu'il a promulguées, les actes qu'il a exécutés, n'ont aucune valeur légale. Ils n'engagent en rien la France.

Les lois antisémites, la rafle des 16 et 17 juillet 1942, ne peuvent être imputées à la nation.

La France n'a pas à faire repentance. Ce sont des individus – Pétain, Laval, Darnand, Bousquet… – qui doivent répondre de leurs actes criminels, et non la France.

La France et la République étaient incarnées par de Gaulle, la France libre et le Conseil national de la Résistance.

Les vilenies, les lâchetés et les trahisons sont rapportées à des individus, non à la nation.

L'âme de la France ne saurait être entachée par les crimes de Vichy.

Pirouette hypocrite ?

Décision raisonnée pour que le socle sur lequel est bâtie la nation, qui doit beaucoup au regard que l'on porte sur son histoire, ne soit pas fissuré, brisé, corrodé.

Mais, dans cette France dont l'histoire ne saurait être ternie, en sorte qu'on puisse continuer à l'aimer et donc à se battre pour elle, à assurer son avenir, l'État ne peut être affaibli.

Or la principale menace vient des communistes, adossés à l'URSS, dont l'ombre s'étend sur l'Europe.

Ils sont forts de leur engagement dans la Résistance – fût-il tardif et plein d'arrière-pensées –, des « organisations de masse » qu'ils contrôlent et de leur poids électoral. De Gaulle, dont la personnalité et l'action, en 1944, ne peuvent être contestées, exige et obtient le désarmement des milices patriotiques, l'enrôlement des résistants dans l'armée régulière, le rétablissement des autorités étatiques (préfets, etc.). Il refuse aux communistes les postes gouvernementaux clés – Affaires étrangères, Intérieur, Armées – et met sa démission en jeu pour imposer cette décision.

En même temps, il applique le programme économique et social du CNR, et répète que « l'intérêt privé doit céder à l'intérêt général ».

Les nationalisations – des houillères, de l'électricité, des banques –, la création des comités d'entreprise, sont les bases d'une « République sociale » dans le droit fil des mesures prises par le gouvernement de Front populaire, mais en même temps relèvent de la tradition interventionniste de l'État dans la vie économique, inscrite dans la longue durée de l'histoire nationale, de François Ier à Louis XIV, de la Révolution aux premier et second Empires.

La France de 1944-1946 retrouve ainsi les éléments de son histoire que la collaboration avait – mais non sur tous les plans – voulu effacer, s'affirmant comme l'expression d'une autre tradition : non pas 1936, mais 1934, non plus l'édit de Nantes, mais la Saint-Barthélemy ; non plus la Ligue des droits de l'homme et les dreyfusards, mais la Ligue des patriotes et les antidreyfusards.

Cette « restauration » de l'État centralisé, issu de la monarchie absolue, mais aussi des Jacobins et des Empires napoléoniens, se retrouve dans la politique extérieure.

Il s'agit d'assurer à la France sa place dans le concert des Grands.

De Gaulle a réussi à imposer la présence d'un général français à la signature de l'acte de capitulation allemande.

Il obtient une zone d'occupation française en Allemagne, à l'égal de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'URSS.

Avec cette dernière, il a signé un traité d'amitié (décembre 1944), manière d'affirmer l'indépendance diplomatique de la France alors que s'annonce la politique des blocs.

En même temps, la France reçoit un siège permanent – avec droit de veto – au Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies. Paris est choisi comme siège de l'Unesco. La France a ainsi retrouvé son rang de grande puissance, et quand on se remémore l'effondrement total de 1940 on mesure l'exceptionnel redressement accompli.

Le fait que la France ait été capable, dans la dernière année de la guerre, de mobiliser plusieurs centaines de milliers d'hommes (500 000) engagés dans les combats en Italie et sur le Rhin, puis en Allemagne, a été la preuve de la reconstitution rapide de l'État national et a favorisé la réadmission de la France parmi les grandes puissances.

Elle est l'un des vainqueurs.

Le plus faible, certes, le plus blessé en profondeur, celui qui commence déjà à subir en Indochine et en Algérie – à Sétif, le 8 mai 1945 – les revendications d'indépendance des nationalistes des colonies.

Mais elle peut à nouveau faire entendre sa voix, envisager une entente avec l'Allemagne.

Depuis 1870, entre les deux nations, c'est une alternance de défaites et de revanches : 1870, effacé par la victoire de 1918 ; celle-ci gommée par l'étrange défaite de 1940, annulée à son tour par la capitulation allemande de 1945. Se rendant cette année-là à Mayence, de Gaulle, face à cet affrontement toujours renouvelé et stérile entre « Germains et Gaulois », peut dire :

« Ici, tant que nous sommes, nous sortons de la même race. Vous êtes, comme nous, des enfants de l'Occident et de l'Europe. »

Ces constats ne peuvent devenir les fondations d'une politique étrangère nouvelle que si le régime échappe aux faiblesses institutionnelles qui ont caractérisé la IIIe République.

Ainsi se pose à la France, dès la fin de 1944, la question de sa Constitution.

De Gaulle a obtenu par référendum, contre tous les partis, que l'Assemblée élue le 21 octobre 1944 soit constituante.

Mais, dès les premiers débats, les partis politiques choisissent de soumettre le pouvoir exécutif au pouvoir parlementaire, le président de la République se trouvant ainsi réduit à une fonction de représentation.

On peut prévoir que les maux de la IIIe République – instabilité gouvernementale, jeux des partis, méfiance à l'égard de la consultation directe des électeurs par référendum – paralyseront de nouveau le régime, le réduisant à l'impuissance.

De Gaulle tire la conséquence de cet état de fait et démissionne le 20 janvier 1946 en demandant « aux partis d'assumer leurs responsabilités ».

C'est la fin de l'unité nationale issue de la Résistance. Dès le 16 juin 1946, le Général se présente comme le « recours » contre la trop prévisible impotence de la IVe République qui commence.

La France unie a donc été capable de restaurer l'État, de reprendre sa place dans le monde. Mais les facteurs de division issus de son histoire, avivés par la conjoncture internationale (la guerre froide s'annonce, isolant les communistes, liés perinde ac cadaver à l'URSS), font éclater l'union fragile des forces politiques. Les partis veulent être maîtres du jeu comme sous la IIIe République. L'exécutif leur est soumis. Il ne peut prendre les décisions qui s'imposent alors que, dans l'empire colonial, se lèvent les orages.

65.

De 1946 à 1958, durant la courte durée de vie de la IVe République, la France change en profondeur. Mais le visage politique du pays s'est à peine modifié. Le président du Conseil subit la loi implacable de l'Assemblée nationale. Il lui faut obtenir une investiture personnelle, puis, une fois le gouvernement constitué, il doit solliciter à nouveau un vote de confiance des députés.

L'Assemblée est donc toute-puissante, et le Conseil de la République (la deuxième chambre, qui a remplacé le Sénat) n'émet qu'un vote consultatif.