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L'attitude de l'armée, l'angoisse des Français d'Algérie – les « pieds-noirs » –, l'impuissance du régime et le contexte international sont les ressorts de cette tragédie.

De Gaulle – toujours retiré à Colombey-les-Deux-Églises, mais l'immense succès du premier tome de ses Mémoires (L'Appel, 1954) montre bien que son prestige est inentamé – confie en 1957 :

« Notre pays ne supporte plus la faiblesse de ceux qui le dirigent. Le drame d'Algérie sera sans doute la cause d'un sursaut des meilleurs des Français. Il ne se passera pas longtemps avant qu'ils soient obligés de venir me chercher. »

Seuls quelques gaullistes engagés dans les jeux du pouvoir – Chaban-Delmas sera ministre de la Défense, Jacques Soustelle a été nommé par Pierre Mendès France, en janvier 1955, gouverneur général de l'Algérie – espèrent ce retour de De Gaulle et vont habilement en créer les conditions.

Mais la quasi-totalité des hommes politiques y sont, en 1955, résolument hostiles, persuadés qu'ils vont pouvoir faire face à la crise algérienne. Ils ne perçoivent ni sa gravité, ni l'usure du système, ni le mépris dans lequel les Français tiennent ce régime.

Il a fallu treize tours de scrutin pour que députés et sénateurs élisent le nouveau président de la République, René Coty !

Aux élections anticipées de janvier 1956, le Front républicain conduit par Pierre Mendès France l'emporte, mais c'est le leader de la SFIO, Guy Mollet, qui est investi comme président du Conseil.

Déception des électeurs, qui ont le sentiment d'avoir été privés de leur victoire. D'autant que Guy Mollet, qui se rend à Alger le 6 février 1958 afin d'y installer un nouveau gouverneur général – Soustelle a démissionné –, est l'objet de violentes manifestations européennes, et que le général Catroux, gouverneur désigné, renonce.

Cette capitulation du pouvoir politique devant l'émeute algéroise – soutenue à l'arrière-plan par les autorités militaires et administratives, et par tous ceux qui sont partisans de l'Algérie française – ferme la voie à toute négociation.

Elle ne laisse place qu'à l'emploi de la force armée contre des « rebelles » prêts à toutes les exactions au nom de la légitimité de leur combat.

Des populations qui ne rallient pas le FLN sont massacrées, des soldats français prisonniers, suppliciés et exécutés.

Ainsi l'engrenage de la cruauté se met-il en branle, et derrière le mot de « pacification » se cache une guerre sale : camps de regroupement, tortures afin de faire parler les détenus et de gagner la « bataille d'Alger » – printemps-été 1957 – par n'importe quel moyen et d'enrayer la vague d'attentats déclenchés par le FLN. Et « corvées de bois » – liquidation des prisonniers. On peut aussi administrer la mort dans les formes légales en guillotinant les « rebelles ».

C'est une plaie profonde, une sorte de gangrène qui atteint l'âme de la France.

Des écrivains – Mauriac, Malraux, Sartre, Pierre-Henri Simon –, des professeurs (Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant, Henri-Irénée Marrou) s'élèvent contre la pratique de la torture par l'armée française.

On les censure, on les poursuit, on les révoque.

Face à eux se dressent d'autres intellectuels, des officiers qui n'entendent pas subir une nouvelle défaite. Ils estiment qu'il faut, dans ce type d'affrontement, pratiquer une « guerre révolutionnaire » inéluctable si l'on veut éradiquer une guérilla, neutraliser les terroristes.

Le débat touche toute la nation à partir de 1956.

Le gouvernement Guy Mollet – qui obtient les pleins pouvoirs – rappelle plusieurs classes d'âge sous les drapeaux, envoie le contingent en Algérie, prolonge de fait le service militaire jusqu'à vingt-neuf mois. Deux millions de jeunes Français ont ainsi participé à cette guerre.

Des manifestations de « rappelés » tentent de bloquer les voies ferrées pour arrêter les trains qui les conduisent dans les ports d'embarquement.

Des écrivains se rassemblent dans un « Manifeste des 121 » pour appuyer le « droit à l'insoumission » (Claude Simon, Michel Butor, Claude Sarraute, Jean-François Revel, Jean-Paul Sartre) en septembre 1960.

Mendès France, ministre d'État, démissionne le 23 mai 1956 du gouvernement Guy Mollet afin de marquer son opposition à cette politique algérienne.

La France vit ainsi de manière de plus en plus aiguë, à partir de 1956, un moment de tensions et de divisions qui fait écho aux dissensions qui l'ont partagée tout au long de son histoire.

On évoque l'affaire Dreyfus. On recueille, à la manière de Jaurès, des preuves pour établir les faits, identifier les tortionnaires, condamner ce pouvoir politique qui a remis aux militaires – le général Massu à Alger – les fonctions du maintien de l'ordre en laissant l'armée agir à sa guise, choisir les moyens qu'elle juge nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

La « gangrène » corrompt ainsi le pouvoir politique et certaines unités de l'armée dans une sorte de patriotisme dévoyé.

Certains officiers s'insurgent contre cette guerre qui viole le droit : ainsi le général Pâris de Bollardière, héros de la France libre. D'autres tentent de faire la part des choses afin de conjuguer honneur et efficacité.

Le responsable de ce chaos moral est à l'évidence un pouvoir politique hésitant, instable et impuissant.

En 1956, outre l'envoi du contingent en Algérie – choix d'une solution militaire à laquelle on accorde tous les moyens, et les pleins pouvoirs sur le terrain –, il a tenté de remporter une victoire politique.

Violant le droit international, le gouvernement a détourné un avion de ligne et arrêté les chefs du FLN.

Puis, en octobre-novembre 1956, en accord avec le Royaume-Uni et l'État d'Israël, la France participe à une expédition militaire en Égypte afin de riposter à la nationalisation du canal de Suez décidée par les Égyptiens. Mais, pour Guy Mollet, s'y ajoute l'intention de frapper les soutiens internationaux du FLN en abattant au Caire le régime nationaliste du colonel Nasser.

Le moment paraît bien choisi : les Russes font face à une révolution patriotique en Hongrie.

Les États-Unis sont à la veille d'une élection présidentielle.

Guy Mollet espère aussi obtenir un regain de popularité dans l'opinion, satisfaite d'une opération militaire réussie – et qu'on exalte –, et favorable au soutien à Israël.

Mais Russes et Américains vont dénoncer conjointement cette initiative militaire, et les troupes franco-britanniques seront rapatriées.

Cet échec scelle une nouvelle étape dans la décomposition de la IVe République et annonce celle du Parti socialiste.

Il confirme que la « tragédie algérienne » domine la politique française.

Des événements lourds de conséquences – le traité de Rome, qui crée la Communauté économique européenne et Euratom en 1957, la loi-cadre de Gaston Defferre pour l'Union française, ou même l'attribution d'une troisième semaine de congés payés – sont éclipsés par les graves tensions que crée la guerre d'Algérie.

Le sort de la IVe République est bien déterminé par elle.

Il est scellé au mois de mai 1958, en quelques jours.

Paris et Alger sont les deux pôles de l'action.

À Paris, le 13 mai, Pierre Pflimlin, député MRP, est investi à une très large majorité (473 voix contre 93, les communistes lui ayant apporté leurs suffrages). Président du Conseil, on le soupçonne d'être un partisan de la négociation avec le FLN.

À Alger, depuis plusieurs mois, des gaullistes veulent se servir des complots que trament les « activistes », décidés à maintenir l'Algérie française avec l'appui de l'armée, pour favoriser un retour du général de Gaulle.