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À mon tour, je retournai au salon. Le grand homme, flanqué de l’hôte et de l’hôtesse, entouré des pères et des mères de famille, parlait avec emphase à une dame devant laquelle on l’avait amené. Celle-ci tenait par la main la petite fille avec qui, dix minutes auparavant, Julian Mastakovitch avait eu la scène décrite ci-dessus.

Maintenant il se répandait en compliments sur la beauté, les talents et la bonne éducation de l’enfant. La mère écoutait tout cela les larmes aux yeux. Je vis aussi que les lèvres du père tremblaient dans un sourire ému, tandis que notre amphitryon ne pouvait pas cacher la joie que lui causaient ces épanchements. Les invités eux-mêmes se joignaient à cet enthousiasme et les jeux des enfants avaient cessé pour ne pas déranger la conversation. Jusqu’à l’air de la salle qui paraissait saturé de respect.

J’entendis que la mère de l’enfant, émue jusqu’au fond de l’âme par les compliments qui lui avaient été prodigués, invitait en termes choisis le grand homme à bien vouloir honorer leur maison de sa précieuse amitié. Julian Mastakovitch répondit avec une émotion sincère et les invités se répandirent aussitôt en d’infinis éloges de l’hôte, de l’hôtesse, du négociant, de sa femme, de leur petite fille et surtout de Julian Mastakovitch.

– Ce monsieur est-il marié? demandai-je aussitôt à l’un des convives qui se trouvait le plus près de Julian Mastakovitch.

L’homme rondelet qui avait sans doute entendu ma question, me mesura d’un regard mauvais.

– Non, répondit mon voisin, très vexé de cette question qu’il estimait indélicate, et que j’avais lancée avec intention.

* * *

Or, il y a quelques jours, je passais devant l’église, quand mon attention fut attirée par un grand rassemblement de voitures. Une foule stationnait sur la place. On parlait d’un grand mariage. La journée était sombre, la neige tombait imperceptiblement. Pris de curiosité je pénétrai dans le temple et du regard je recherchai le fiancé: c’était un petit homme rond? bien nourri, pourvu d’un ventre proéminent et portant de nombreuses décorations. Il courait, se démenait, donnait des ordres. Enfin, un murmure s’éleva parmi l’assistance: on venait d’introduire la fiancée.

Jouant des coudes, je pris place au premier rang et mon regard tomba sur une beauté splendide, à l’aurore de son printemps. Elle était cependant pâle et triste. Son regard distrait errait sur l’entourage et il me sembla que ses yeux étaient rouges de pleurs. La pureté antique de ses traits donnait à sa beauté un aspect indiciblement solennel. Mais perçant à travers cette sévérité et cette tristesse, quelque chose d’enfantin et d’infiniment naïf semblait demander grâce. On disait qu’elle avait à peine atteint sa seizième année.

Ayant regardé le fiancé, je reconnus en lui le brave Julian Mastakovitch que je n’avais pas revu depuis cinq ans. Puis mon regard retourna vers la jeune fille et…

Mon Dieu!… sans chercher à voir davantage je me précipitai vers la sortie, poursuivi par le vague murmure de la foule entassée.

– La fiancée a bien cinq cent mille roubles de dot… sans compter les chiffons!… entendis-je.

Une fois dans la rue je songeai:

– Le calcul avait été juste!…

(1848)