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Dans la rue, Marcelle avait marché, inconsciente, regardant si elle ne trouverait pas de l'argent par terre. Puis l'idée brusque lui était venue de s'adresser à l'oncle Chave ; et, immédiatement, elle s'était présentée au discret rez-de-chaussée de la rue Nollet, pour ne pas le manquer, avant la Bourse. Il y avait eu des chuchotements, des rires de fillettes. Pourtant, la porte ouverte, elle avait aperçu le capitaine seul, fumant sa pipe, et il s'était désolé, l'air furieux contre lui- même, en criant qu'il n'avait jamais cent francs d'avance, qu'il mangeait au jour le jour ses petits gains de Bourse, comme un sale cochon qu'il était. Ensuite, en apprenant le refus des Maugendre, il avait tonné contre eux, de vilains bougres encore ceux-là, qu'il ne voyait plus d'ailleurs, depuis que la hausse de leurs quatre actions les rendait fous. Est-ce que, l'autre semaine, sa soeur ne l'avait pas traité de liardeur, comme pour tourner en ridicule son jeu prudent, parce qu'il lui conseillait amicalement de vendre ? En voilà une qu'il ne plaindrait pas, lorsqu'elle se casserait le cou !

Et Marcelle, de nouveau dans la rue, les mains vides, avait dû se résigner à se rendre au journal, pour avertir son mari de ce qui s'était passé, le matin. Il fallait absolument payer Busch. Jordan, dont le livre n'était encore accepté par aucun éditeur, venait de se lancer à la chasse de l'argent, au travers du Paris boueux de cette journée de pluie, sans savoir où frapper, chez des amis, dans les journaux où il écrivait, au hasard de la rencontre. Bien qu'il l'eût suppliée de rentrer chez eux, elle était tellement anxieuse, qu'elle avait préféré rester là, sur cette banquette, à l'attendre.

Après le départ de sa fille, lorsqu'il la vit seule, Dejoie lui apporta un journal.

" Si madame veut lire, pour prendre patience. "

Mais elle refusa du geste, et comme Saccard arrivait, elle fit la vaillante, elle expliqua gaiement qu'elle avait envoyé son mari dans le quartier, une course ennuyeuse dont elle s'était débarrassée. Saccard, qui avait de l'amitié pour le petit ménage, comme il les nommait, voulait absolument qu'elle entrât chez lui attendre à l'aise. Elle s'en défendit, elle était bien là. Et il cessa d'insister, dans la surprise qu'il éprouva, à se trouver nez à nez, brusquement, avec la baronne Sandorff, qui sortait de chez Jantrou. D'ailleurs, ils se sourirent, d'un air d'aimable intelligence, en gens qui échangent un simple salut, pour ne pas s'afficher.

Jantrou, dans leur conversation, venait de dire à la baronne qu'il n'osait plus lui donner de conseil. Sa perplexité augmentait, devant la solidité de l'Universelle, sous les efforts croissants des baissiers sans doute Gundermann l'emporterait, mais Saccard pouvait durer longtemps, et il y avait peut-être gros à gagner encore avec lui. Il l'avait décidée à temporiser, à les ménager tous deux. Le mieux était de tâcher d'avoir toujours les secrets de l'un, en se montrant aimable, de manière à les garder pour elle et à en profiter, ou bien à les vendre à l'autre, selon l'intérêt. Et cela sans complot noir, arrangé par lui d'un air de plaisanterie, tandis qu'elle-même lui promettait en riant de le mettre dans l'affaire.

" Alors, elle est sans cesse fourrée chez vous, c'est votre tour ? " dit Saccard avec sa brutalité, en entrant dans le cabinet de Jantrou.

Celui-ci joua l'étonnement.

" Qui donc ?... Ah ! la baronne.... Mais, mon cher maître, elle vous adore. Elle me le disait encore tout à l'heure. "

D'un geste d'homme qu'on ne trompe pas, le vieux corsaire l'avait arrêté. Et il le regardait, dans sa déchéance de basse débauche, en pensant que, si elle avait cédé à la curiosité de savoir comment Sabatani était fait, elle pouvait bien vouloir goûter au vice de cette ruine.

" Ne vous défendez pas, mon cher. Quand une femme joue, elle tomberait au commissionnaire du coin, qui lui porterait un ordre. "

Jantrou fut très blessé, et il se contenta de rire, en s'obstinant à expliquer la présence chez lui de la baronne, qui était venue, disait- il, pour une question de publicité.

D'ailleurs, Saccard, d'un haussement d'épaules, avait déjà jeté de côté cette question de femme, sans intérêt, selon lui. Debout, allant et venant, se plantant devant la fenêtre pour regarder tomber l'éternelle pluie grise, il exhalait sa joie énervée. Oui, l'Universelle avait encore monté de vingt francs, la veille ! Mais comment diable se faisait-il que des vendeurs s'acharnaient ? car la hausse serait allée jusqu'à trente francs, sans un paquet de titres qui était tombé sur le marché, dès la première heure. Ce qu'il ignorait, c'était que Mme Caroline avait de nouveau vendu mille de ses actions, luttant elle-même contre la hausse déraisonnable, ainsi que son frère lui en avait laissé l'ordre. Certes, Saccard ne pouvait se plaindre devant le succès grandissant, et cependant il était agité, ce jour-là, d'un tremblement intérieur, fait de sourde crainte et de colère. Il criait que les sales juifs avaient juré sa perte et que cette canaille de Gundermann venait de se mettre à la tête d'un syndicat de baissiers pour l'écraser. On le lui avait affirmé à la Bourse, on y parlait d'une somme de trois cents millions, destinée par le syndicat à nourrir la baisse. Ah ! les brigands ! Et ce qu'il ne répétait pas ainsi tout haut, c'étaient les autres bruits qui couraient, plus nets de jour en jour, des rumeurs contestant la solidité de l'Universelle, alléguant déjà des faits, des symptômes de difficultés prochaines, sans avoir encore, il est vrai, ébranlé en rien l'aveugle confiance du public.