Deux personnages en descendirent qui, après avoir donné leurs instructions à leur chauffeur, pénétrèrent dans la maison.
— Monsieur l’hôtelier, criait avec un fort accent anglais, l’un des voyageurs.
Et comme celui-ci accourait, fort ému d’avoir à loger d’aussi riches clients, le même étranger continuait :
— Avez-vous, monsieur l’hôtelier, une chambre disponible pour moâ ?
— Une chambre à deux lits ?
— Non, une chambre seulement pour moâ.
— Et une autre pour moi, alors, s’empressa d’ajouter la jeune femme en souriant.
— Alors, c’est deux chambres qu’il vous faut ? demanda l’aubergiste, je n’en ai plus qu’une. Justement, je viens de recevoir deux pauvres bougres qui m’ont pris l’autre. Si j’avais su que vous veniez.
— Eh bien, mettez-nous tous les deux dans la même chambre, dit la jeune femme, on s’arrangera.
— C’est un peu choquant, commença l’Anglais.
— Bah, laissez donc, dit la jeune femme, vous êtes toujours, mon cher Ellis, à vous préoccuper d’un tas de questions protocolaires qui sont véritablement déplacées dans la situation où nous nous trouvons. Prenons une chambre en commun, que diable, vous verrez bien ce qui arrivera.
— Honni soit qui mal y pense, reprit l’Anglais, monsieur l’hôtelier, conduisez madame et moâ dans la chambre que vous avez.
Le brave homme eût été bien autrement surpris s’il avait pu voir ce que, à peine la porte refermée sur lui, entreprenait la remuante jeune femme, qui, de force, avait conquis droit d’asile dans la chambre de l’Anglais.
— Ellis, ordonnait en effet Sonia Danidoff, tout shocking que cela peut vous sembler, il convient que j’enlève ma robe pour être plus libre de mes mouvements. Ne vous inquiétez pas. J’ai des dessous qui n’offusqueront en rien votre pudeur.
Tout en parlant, la jolie Sonia Danidoff se dépouillait en hâte pour apparaître très sobrement vêtue d’un jupon noir, d’une chemisette noire, vêtements très ajustés qui ne devait aucunement gêner ses évolutions.
— Ellis, continuait ia jeune femme en frappant sur l’épaule de son compagnon, qui, de plus en plus pudique, avait trouvé bon de se mettre lui-même en pénitence, tournant le dos et regardant fixement le mur, Ellis, il s’agit maintenant de ne plus perdre un instant. Vous avez vu la disposition des lieux et l’endroit où se trouve la chambre de Juve et de Fandor ? Croyez-vous qu’ils soient chez eux ?
— Possible, Sonia, ma chère, le contraire aussi.
— Eh bien, Ellis, il faut nous en assurer. Comment, monter sur le toit ? Ah, au fait, prenez donc ça.
Elle venait d’arracher à la toilette une petite glace ovale.
— Prenez cette glace, répétait Sonia, tendant le miroir à l’Anglais ébahi, et maintenant, suivez-moi.
Ébahi, Ellis l’était. Il n’en suivit pas moins la princesse. Le couloir de l’auberge était vide.
— Il doit y avoir un grenier.
Sonia trouva une échelle accrochée à la muraille, juste au-dessous d’une trappe :
— Dressez ça, commanda-t-elle, allons, dépêchez.
— Vous prétendez aller sur les toits ? Ce n’est pas sur les toits que se trouve le portefeuille rouge.
Sonia ne répondit rien. Elle venait de monter à l’échelle, avait soulevé la petite trappe qui la mettait en communication avec le couloir, et là, elle se livrait à une étrange manœuvre. Sonia accomplissait le tour complet du toit. La jeune femme arriva de la sorte au-dessus de la fenêtre de la chambre de Juve et de Fandor. Se couchant alors sur les tuiles de la toiture, Sonia arracha la petite glace des mains de l’Anglais. À bout de bras, elle la tendit alors devant la fenêtre et, de la sorte, dans le miroir, elle aperçut l’intérieur de la pièce.
— Personne, s’écria Sonia joyeusement, nous avons de la chance. Vous, dit-elle encore à Ellis, mon cher ami, vous m’avez l’air tout indiqué pour redescendre dans le couloir et faire le guet pendant que je pénètre dans cette chambre. J’imagine que Juve et Fandor ne vont pas tarder à revenir. Je ne tiens pas à être surprise par eux en flagrant délit de perquisition. Allez, montez la garde, vous dis-je. Si jamais vous les aperceviez, vous n’auriez qu’à siffler l’air de la Marseillaise.
— Aoh, dit l’Anglais, ce ne serait point convenable. On ne siffle pas la marche nationale d’un pays. Je ferai le chant du hibou.
Et, comme Sonia haussait des épaules narquoises, Ellis Marshall, gravement, quitta le toit pour aller faire le guet dans le couloir de l’auberge.
Bientôt, il entendit Sonia redescendre. La jeune femme était radieuse.
— Vite, murmurait-elle en se précipitant dans la chambre qu’elle occupait avec Ellis Marshall. Ne perdons pas une seconde.
Et Sonia Danidoff agitait le portefeuille rouge qu’elle avait découvert dissimulé dans la chambre de Juve et de Fandor.
Sonia avait compté sans son hôte.
Elle n’avait pas sitôt montré à Ellis Marshall le fameux portefeuille, en effet, que soudain l’Anglais sortit de son apathie.
— Je vous somme, madame, de me remettre ce portefeuille, dit-il.
Et très tranquillement, comme s’il eût été certain que Sonia allait accéder à ses désirs, Ellis Marshall tendait la main.
La jeune femme fit un bond en arrière.
— C’est moi qui l’ai trouvé, il m’appartient.
Mais Ellis Marshall s’obstinait :
— Mille regrets, madame. Il est possible que ce soit vous qui ayez pris ce portefeuille, mais il est certain que Sa Majesté mon Roi sera heureux de l’avoir. Je suis plus fort que vous, j’ai besoin de ce document, vous l’avez, je le prends.
La jeune femme tira un poignard de son corsage.
— Il est possible que vous soyez le plus fort, cria-t-elle, mais ce n’est pas certain.
Malheureusement, si Sonia, son poignard en main, pouvait tenir Ellis Marshall en respect, celui-ci n’en était pas moins le maître de la situation.
Il était, en effet, adossé à la porte de la chambre, et ne paraissait pas disposé à reculer.
— Vous ne sortirez pas avant que je connaisse le contenu de ce portefeuille rouge.
— Et d’abord, vous vous conduisez comme un sot, Ellis, en exigeant que je vous remette cette serviette de maroquin. Rien ne nous dit que nous ne nous trompons pas, que c’est bien là le portefeuille qui nous intéresse tous les deux.
— Si. Je suis certain de le reconnaître, Madame.
— Vraiment ?
Brusquement, Sonia, du bout de son poignard introduit en guise de levier, venait de faire sauter la serrure du portefeuille.
Et, à peine eut-elle jeté un coup d’œil, qu’elle éclata d’un grand rire :
— Nous sommes joués, Juve et Fandor se sont moqués de nous. Voyez plutôt, Ellis.
Et la jeune femme brandit une feuille de papier blanc prise dans la pochette de sûreté, une feuille de papier blanc sur laquelle on pouvait lire :
« Il y a portefeuille et portefeuille. Il y a documents et documents. Avis aux amateurs. »
11 – LA REMPLAÇANTE
Tandis qu’Ellis Marshall, en compagnie de Sonia Danidoff, s’emparait du portefeuille rouge que Juve et Fandor promenaient depuis leur départ de Brest, les deux amis, embusqués au sommet du viaduc de Morlaix, ne perdaient pas un geste des deux agents diplomatiques.
Et Juve et Fandor, enthousiasmés par le succès de leur ruse, ne se tenaient pas de joie, en vérité, en constatant combien la jolie représentante du gouvernement russe, tout comme le policier anglais, étaient tombés facilement dans le piège tendu à leur simplicité.
— Ma foi, Juve, s’écriait Fandor, qui venait de rire aux larmes, c’est une scène digne du Palais-Royal que celle à laquelle nous venons d’assister. Sonia volant un portefeuille qui n’a aucune valeur, se disputant poignard en main avec Ellis Marshall pour garder sa conquête, puis, enfin, s’apercevant qu’elle est illusoire.
— Tu avoueras, Fandor, que j’ai été fort bien inspiré en inventant cette ruse du portefeuille vide et en te parlant comme je l’ai fait, à haute et intelligible voix, dans la cour de l’hôtel de Brest. Sonia et Ellis Marshall sont complètement dépistés. Après avoir réussi à nous voler ce portefeuille qui ne contenait rien, ils ne vont évidemment plus savoir où donner de la tête. N’en doute pas, tous deux, ils imagineront que nous n’avons jamais eu en notre possession le véritable portefeuille, et je gage qu’en conséquence nous aurons la paix avec eux d’ici notre retour à Paris.