Puis, il insista d’une voix torturée d’émotion :
— Une grâce encore, madame.
— Laquelle ?
— Votre main à baiser.
D’un geste gracieux, la grande dame tendit à l’officier ses jolis doigts, et le jeune homme les porta à ses lèvres où il les maintint longuement.
***
Jean-Marie, maintenu au collet par Nikita, épaule démise, poignet foulé, se laissa faire. Enfin, l’équarrisseur s’expliqua :
— Vous n’êtes pas trop rosse pour moi, car maintenant que je suis démoli, vous pourriez me faire boucler, or, vous ne le faites pas. Une charité en vaut une autre. À mon tour de vous rendre un service.
— En êtes-vous donc capable ?
— Pourquoi pas ? fit Jean-Marie. Tout à l’heure, j’ai entendu votre conversation avec la femme du manoir, une femme que je ne connais pas d’ailleurs, car moi qui suis depuis trois mois jardinier dans cette boîte, je n’ai jamais vu qu’une vieille toupie qui s’appelle dame Brigitte, et qui s’est bien gardée de se montrer ce soir. Je vous disais donc que j’ai entendu votre conversation. Vous êtes de ceux qui cherchez le portefeuille ?
— Hein.
— Hé oui, la jolie rombière avec qui vous avez jaspiné pendant la moitié de la nuit ne vous a pas balancé des blagues. Elle ne sait pas où est le portefeuille. Seulement moi Jean-Marie, je le sais.
— Où ?
— Il est entre les mains d’une femme, une jeune et une chouette, une qui n’a pas froid aux yeux, une môme à la redresse, une qui est un peu là.
— Jean-Marie, si tu m’aides à le retrouver, je te couvre d’or.
— Suffit d’avoir la poule, et l’œuf d’or n’est pas loin. Mais attention, son poulailler, il est un peu gardé.
— Et où est-il ?
— C’est simple. Vous aurez compris quand vous saurez que la fille de Fantômas est sous les verrous à la prison de Morlaix.
16 – PISTE ROMPUE
Nous avons laissé Hélène à Morlaix, au moment où elle a blessé Fandor, alors qu’elle était persuadée que, comme tous les soirs, une cartouche truquée chargeait l’arme qu’elle avait épaulée.
Hélas, la cartouche n’était pas à blanc comme toujours jusque là.
Et ce Jérôme Fandor qui surgissait là sans crier gare, Jérôme qu’elle n’avait pas revu depuis le moment où on l’avait recueilli avec Juve à bord du Skobeleff.
En attendant, le pandémonium s’était déchaîné dans la baraque.
La foule s’était jetée sur la jeune fille, hurlant à mort. Il y avait surtout une sorte de colosse à grosse voix qui réclamait l’intervention de la police.
Alors tout s’était brouillé devant les yeux d’Hélène.
Arrêtée par les robustes gars qui eux, du moins, la protégeaient de la colère de la populace, accablée, elle s’était laissée conduire en prison sans même protester.
Mais qu’allait-il se passer ?
Allait-on réellement la maintenir en état d’arrestation ?
Hélène commençait à se le demander. Elle attendait Jérôme Fandor, qu’elle avait aperçu s’en allant vers une pharmacie, se frottant l’épaule vigoureusement, mais qui ne paraissait pas, somme toute, être grièvement blessé.
Le commissaire avait fait entrer dans le local où il tenait ses assises, non seulement la jeune fille, mais encore tout un groupe de spectateurs qui demandaient à être entendus en qualité de témoins.
Là, les témoins affirmèrent d’une seule voix que la jeune fille avait, de ses propres mains, et sous leurs yeux, remplacé la cartouche truquée par une véritable.
— C’est encore une histoire d’amoureux, criait un jeune homme à mine d’ouvrier d’usine, encore une garce qui a voulu se venger de son amant. Elle a fait feu sur lui, exprès.
Un autre, d’une bonne foi tout aussi apparente, affirmait :
— On a parfaitement vu quand elle a glissé la deuxième cartouche.
Et d’autres, toujours aussi convaincus, s’acharnaient contre la malheureuse, victime sans s’en douter même, de ce besoin de jouer un rôle inné au cœur de certains.
Le commissaire ne pouvait rien évidemment contre des témoignages aussi précis et aussi concordants. Il signa un mandat de dépôt.
Tant et si bien qu’Hélène couchait, le soir même, dans la chambre de force de la maison de détenus de Morlaix, d’où elle devait être, le lendemain, dirigée sur la prison de Brest.
— Monsieur le commissaire, protesta enfin Hélène, comme on s’apprêtait à l’entraîner, est-ce que vous n’allez pas interroger le jeune homme que j’ai blessé ? Il serait le premier à dire que je suis innocente et que tout ceci est le fait d’un horrible malentendu.
Malheureusement, le commissaire n’écouta pas cette requête, il y attachait même d’autant moins d’importance, qu’Hélène semblait la faire avec une réelle hésitation, comme étant elle-même peu convaincue de ce qu’elle avançait.
C’est qu’en vérité, tout en parlant, la fille de Fantômas venait d’être prise d’un doute affreux.
Littéralement bouleversée par la marche rapide des événement dont elle était victime, la jeune fille, qui n’avait rien compris à ce qui lui arrivait, venait d’y trouver une explication tragique.
C’était si extraordinaire à ses yeux, en effet, cette apparition de Fandor sur l’estrade où elle-même allait faire feu, qu’elle se prenait à se demander si le journaliste était bien arrivé là par hasard, si le coup de fusil n’avait pas été machiné, combiné par l’ami de Juve à des fins qu’elle n’entrevoyait pas encore, mais qui devaient à coup sûr se rattacher à l’implacable poursuite que le policier et le journaliste conduisaient contre son père.
— Fandor ne vient pas, songeait Hélène tandis que les gendarmes l’emmenait brutalement, c’est assurément qu’il ne veut pas venir, c’est qu’il ne doit pas venir, c’est qu’il se venge de mon père et de moi en favorisant mon arrestation.
Hélène, à vrai dire, se trompait du tout au tout.
À peine Fandor avait-il rappelé à lui ses esprits dans la pharmacie où il venait de panser ses blessures – une écorchure à l’épaule – qu’il songeait au sort de la malheureuse enfant.
— Miséricorde, pensait le journaliste, se rappelant brusquement le brouhaha, la colère de la foule au moment de l’accident, miséricorde, ils vont l’écharper.
Qu’allait dire, d’ailleurs, la fille de Fantômas si on l’arrêtait ?
Allait-elle livrer son identité ? refuserait-elle de répondre ?
Mais, dans ce cas, que déciderait le magistrat ? Ne trouverait-il pas dans ce mutisme une raison suffisante pour maintenir la jeune fille sous les verrous ?
Quittant la pharmacie où l’on venait de le soigner, Fandor se précipita au Palais de Justice de Morlaix, demanda le Procureur, décidé à obtenir la mise en liberté de l’innocente Hélène.
Mais au Palais de Justice, Fandor ne trouva qu’un greffier imbécile, un certain M. Lerouge, qui refusa d’abord de le recevoir à cette heure avancée de la nuit, puis enfin, consentit à s’entretenir quelques minutes avec lui, mais avec un mécontentement visible, car il était fort occupé à consulter l’indicateur des chemins de fer pour trouver un train qui le menât rapidement le lendemain à Paris, où il comptait aller faire un peu la fête.
Fandor finit par éclater lorsque le greffier lui communiqua que le procureur était à Brest, occupé non des devoirs de sa charge, mais d’une charmante petite amie qu’il avait là.
Quand il arriva enfin au commissariat, Fandor y trouva, non plus le commissaire, qui venait de partir se coucher, mais bien un simple brigadier de gendarmerie, fort aimable, celui-là, mais terriblement désireux de ne rien faire de nature à le compromettre.
Fandor dut parlementer pendant plus de vingt minutes pour obtenir que le brigadier consentît à enregistrer une déclaration formelle dans laquelle le journaliste affirmait qu’il y avait eu « accident », non pas « crime », et qu’il se refusait à porter plainte.
À quoi bon d’ailleurs, étant donné que la jeune fille resterait, dans tous les cas, enfermée jusqu’au lendemain matin.