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Le père et la mère Zizi s’étaient donc éloignés de leur roulotte, en devisant. Ils avaient traversé l’extraordinaire agglomération que constituent les cabanes de chiffonniers, des biffins parisiens qui habitent en grand nombre derrière la porte de Saint-Ouen, sur les terrains de zone militaire.

Aussi bien les deux bohémiens échangeaient en passant de nombreux bonjours, donnaient force poignées de mains. Ils étaient populaires, les deux époux, il y avait bien dix ans qu’ils venaient chaque année camper à la même place, et il n’était pas un seul biffin qui ne tînt à honneur de leur présenter ses devoirs.

— Et alors, ça va, la mère Zizi ?

— Pas trop mal, mon vieux, pas trop mal. Et vous, la chiffonnerie ?

— Euh, le cuivre ne donne rien cette année, il y a un peu de boîtes de sardines et des bouteilles d’eau minérale, mais c’est bien tout.

— De quoi joindre les deux bouts, alors ?

— Comme vous dites, la mère Zizi. Mais il y a un gosse de plus à la maison.

Le père Zizi éclatait de rire.

— Ah bien vous, alors, vous suffiriez à repeupler la France. Combien donc que vous êtes ?

— Quatorze, maintenant. Tous bien portants et travailleurs.

Plus loin, par-dessus la haie, se trouvait un petit enclos, dont le sol était exhaussé d’un amas de détritus tirés des poubelles parisiennes et classés avec un soin extrême : à droite des bouchons, un peu plus loin des vieux papiers, plus loin encore les morceaux de ferraille.

Un autre couple interpellait le père et la mère Zizi :

— Eh là, les deux rentiers, la santé est bonne ?

— Mais oui, mais oui, et vous-mêmes ?

— Toujours excellente chez nous. Dites donc, vous avez des nouvelles de votre môme ?

— Non, vous l’avez vue ?

— Elle est chez l’Accapareur.

— Eh bien, elle fera quelques sous.

— Sûr et certain, si elle est travailleuse.

— Oh, elle l’est.

Quelle était donc « la môme » dont on demandait des nouvelles au père et à la mère Zizi ?

Huit jours avant, alors que les deux bohémiens venaient à peine d’arriver aux portes de la capitale, tandis qu’ils s’occupaient d’installer leur campement, ils n’avaient pas été peu surpris de voir apparaître devant eux celle qu’ils avaient surnommée « la merveilleuse jeune femme », et qui n’était autre que la fille de Fantômas.

— Bonjour, père et mère Zizi, comment donc allez-vous ?

De stupéfaction, le père et la mère Zizi avaient failli tomber à la renverse.

Après l’accident de Morlaix, l’accident au cours duquel leur compagne, si malencontreusement, avait blessé un malheureux jeune homme, puis s’était vue arrêtée, les deux bohémiens, effrayés, terrifiés même, s’étaient hâté de reprendre la route.

Ils avaient voyagé à marche forcée. Alors qu’ils s’apprêtaient à faire encore campagne pendant un mois, le père et la mère Zizi brusquement avaient décidé de regagner Paris, espérant bien que la police, la justice, institutions qui veulent du mal aux pauvres gens, perdraient leurs traces et ne les retrouveraient pas dans la plaine de Saint-Ouen.

Hélène avait été avare d’explications.

— Bah, ne vous faites pas de mauvais sang. Tout s’est très bien arrangé. On a reconnu que j’étais innocente. On m’a remise en liberté. En liberté provisoire, et vous le voyez, je me suis hâtée de vous suivre à la piste, pour reprendre ma place dans la roulotte.

— Mais ma pauvre petite, c’est que pendant l’hiver on ne peut pas t’employer. Nous avons juste, le père et moi, de quoi ne pas mourir de faim.

Par bonheur, l’esprit inventif du père Zizi avait trouvé moyen d’arranger les choses.

Il savait que la jeune fille était travailleuse, il savait aussi qu’elle avait besoin de gagner sa vie, il n’avait pas hésité à lui proposer une place :

— Allons, j’ai assez de relations pour pouvoir te caser. Ici, vois-tu, ma fille, nous sommes au centre des installations de biffins. C’est bien le diable si je n’en trouve pas un qui veuille t’engager.

La fille de Fantômas avait accepté d’enthousiasme, et, deux heures plus tard, en effet elle était « engagée » par l’un des chiffonnier les plus importants de la plaine Saint-Ouen, un chiffonnier qui s’occupait tout spécialement des vieux métaux, et que, par plaisanterie, ses compagnons avaient surnommé « l’Accapareur ». Hélène était ainsi devenue chiffonnière. Elle gagnait sa vie. Mais était-ce bien pour gagner sa vie qu’elle avait accepté ce rude métier ? N’avait-elle pas une raison secrète de ne pas quitter les époux Zizi ?

***

— Chauffeur, vous me mènerez à la porte de Saint-Ouen.

Juve qui venait de sauter dans un fiacre et de donner cette adresse vague, s’enfonça sur la banquette de la voiture, s’accouda, parut profondément réfléchir.

— De plus en plus bizarre, murmurait le policier, d’un air préoccupé, c’est à n’y rien comprendre, et je me demande si jamais je renouerai les fils rompus de cet extraordinaire écheveau. Où est le portefeuille ? Nikita m’écrit qu’il ne trouve rien. Diable, cela c’est le plus grave de tout. Mais il y a mieux. Qu’est devenu Fandor ? Lui me télégraphie que la fille de Fantômas est arrêtée, puis ne me donne plus de nouvelles. Pourquoi ? Qu’est devenue même la fille de Fantômas ? «  Détenue dans la prison de Brest », m’a télégraphié Fandor. Je t’en fiche, à la prison de Brest, il y a bien eu, en effet, une jeune fille répondant au signalement d’Hélène, mais elle a trouvé le moyen de s’enfuir, avec l’aide probable d’un jeune chirurgien-dentiste. Un complice de Fantômas ? C’est possible, mais ce n’est pas certain. Et puis où a été Hélène ? Ah, nom d’un chien de nom d’un chien, il faudrait pourtant que j’arrive à comprendre quelque chose avant que ça commence à se gâter.

Juve avait raison de s’inquiéter.

Non seulement il n’avait pas de nouvelles de Fandor, ce qui, étant donné leurs conventions, ne devait pas le tourmenter outre mesure, mais encore il n’avait pas la moindre idée de ce qu’avait pu devenir le portefeuille.

Quand Fandor et lui l’avaient caché dans le creux de la falaise, se rendant compte qu’ils n’avaient aucun moyen de l’emporter en sécurité jusqu’à Paris et qu’il valait mieux le laisser en lieu sûr pour détourner sur eux l’attention de Fantômas et laisser au lieutenant Nikita le temps de venir le chercher, Juve avait été persuadé que nul n’avait pu le voir dissimuler le précieux document. Nikita cependant n’avait rien trouvé dans la cachette. Quelqu’un l’avait donc pris ?

— Fantômas, songeait Juve, nous a attaqués, Fandor et moi, à la petite gendarmerie, où il a tué le malheureux Pancrace. C’est la preuve certaine que Fantômas ne se doutait pas, ne pouvait pas se douter de ce qu’était devenu le portefeuille. Il croyait à ce moment-là que nous l’emportions, Fandor et moi. Il ne soupçonnait nullement que nous avions caché l’objet. Rien n’a pu le faire changer d’opinion. Rien n’a pu lui faire découvrir notre cachette. Or, l’explication est la même pour Sonia Danidoff et Ellis Marshall. Ils nous poursuivaient, donc ils croyaient que nous possédions le portefeuille. Donc ce ne sont pas eux comme ce n’est pas lui qui sont allés le reprendre. Qui, alors ?

Juve, de réflexion en réflexion, de déduction en déduction, en était arrivé à se demander s’il ne fallait pas croire qu’une seule personne avait pu voler le portefeuille rouge, une personne qui n’était autre que la fille de Fantômas.

— Elle, songeait Juve, ne nous a jamais poursuivis. J’ignore ce qu’elle a fait depuis le naufrage du Skobeleff. Ne serait-il pas à supposer qu’embusquée derrière un rocher, elle ait pu nous voir, Fandor et moi, en train de dissimuler le portefeuille ? Dès lors, pourquoi ne l’aurait-elle pas retiré de sa cachette ? pourquoi ne l’aurait-elle pas volé, soit pour le remettre à son père, soit par haine de la police, soit encore pour s’en faire une arme terrible contre quiconque – agents russes ou agents français – voudrait attenter à sa liberté ?